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Luc part en petites foulées jusqu’à la supérette. Il trouve Amanda au fond du magasin, son téléphone collé à l’oreille. Lorsqu’il pose une main sur son épaule, elle sursaute.

— Je dois vous laisser, dit-elle à son interlocuteur.

Elle raccroche et Luc prend le panier déjà plein qu’elle tient en main.

— Tu comptes faire à bouffer pour un régiment, ou quoi ? Je te signale qu’il y a déjà deux sacs de provisions dans le coffre de la caisse…

— Laisse-moi gérer ça, tu veux ?

Elle attrape encore deux ou trois choses qu’elle met dans le panier de son porteur.

— Je t’avais demandé d’éteindre ton portable, non ? rappelle le jeune homme.

— Je l’ai rallumé il y a cinq minutes pour voir si j’avais des messages, avoue Amanda d’une voix piteuse. Mais je vais l’éteindre, promis !

— Et tu téléphonais à qui ?

— Je te trouve bien curieux ! rétorque la gouvernante avec un sourire crispé.

Il attrape son poignet, la force à s’arrêter.

— À qui tu téléphonais ? répète-t-il.

— C’était mon banquier. Il m’a appelée pour me dire que je n’allais pas tarder à être à découvert…

— Vraiment ? Comment tu fais pour claquer ton fric sans jamais sortir de la maison des Reynier ?

— Tu sais qu’on peut acheter des trucs sur Internet ? fait Amanda en se dirigeant vers la caisse.

Armand regarde un groupe d’enfants qui jouent au bord de la rivière. À côté de lui, Maud se ronge les ongles.

— Ça va ? s’inquiète-t-il.

— Ça irait mieux si on n’était pas traqués par un malade.

— Je sais, ma puce… Je suis désolé, je t’assure.

— Tu peux l’être ! balance Maud. Parce que c’est ta faute si on en est là aujourd’hui.

Un reproche venant de Maud est une gifle cinglante. Armand a l’impression qu’elle vient de lui écorcher la figure.

— Tu m’en veux ?

— Évidemment que je t’en veux ! J’ai failli me faire tuer à cause de tes conneries ! Et si ça se trouve, le cauchemar n’est pas terminé…

— Luc et moi essayons de trouver une solution, ma chérie. Et on va la trouver, fais-moi confiance.

— En attendant, on est obligés de tout plaquer pour venir se réfugier au milieu de nulle part ! Je risque pas d’oublier mon vingt et unième anniversaire !

Demain, elle aura vingt et un ans.

Demain, il sera peut-être mort.

— Tout s’arrangera, prétend son père. Tu verras.

— Voilà Luc, dit-elle.

Le jeune homme place le sac de courses dans le coffre et reprend le volant. Le Range Rover s’engage sur la route sinueuse qui surplombe la rivière. Au fil des kilomètres, la vallée devient de plus en plus étroite, deux immenses murailles s’élèvent de chaque côté de la route. Une épaisse végétation escalade hardiment ces impressionnants remparts jusqu’à mi-hauteur.

Leur horizon s’assombrit de minute en minute.

— Tu m’étonnes qu’il n’y ait pas de réseau ! murmure Maud.

Les tunnels se succèdent, le ravin se transforme en abîme.

— J’ai le vertige, gémit soudain Amanda.

— Ferme les yeux ! souffle Maud.

Luc, lui, ne dit rien. À l’aise sur cette route pourtant accidentée. Comme s’il l’avait empruntée des dizaines de fois.

— On est presque arrivés ? s’inquiète Reynier.

— Regardez le GPS, répond Luc. On y sera dans dix minutes…

Progressivement, les montagnes semblent s’écarter légèrement et soudain, Luc ralentit pour prendre une petite route qui descend sur sa droite.

La voiture traverse un pont puis remonte de l’autre côté de la rivière sur quelques lacets.

— Quand tu disais que c’était perdu, tu ne plaisantais pas ! dit Maud en apercevant la maison.

— Vous avez les clefs ? s’étonne Armand.

— Bien sûr que non, dit Luc en stoppant la voiture devant le portail. La propriétaire les a laissées à côté de l’entrée.

Il descend de la voiture et les passagers le voient ouvrir la boîte aux lettres et en sortir un jeu de clefs.

— Ils ont peur de rien dans ce bled ! dit Maud.

— Tu vois un cambrioleur venir jusqu’ici ? marmonne son père.

Luc ouvre le portail et se remet au volant. Une courte piste les conduit jusque devant l’imposante bâtisse.

— Voilà, dit-il en coupant le contact. On y est…

50

Une immense cuisine qui fait office de salle à manger, un grand salon et un cellier composent le rez-de-chaussée. À l’étage, trois chambres et une salle de bains.

Peu de confort mais beaucoup d’espace.

Luc a investi le salon et dormira sur le canapé, tandis que le professeur, Maud et Amanda auront chacun leur chambre.

Ici, comme à Grasse, rien n’a changé : alors que Reynier et sa fille visitaient les lieux, Luc et la gouvernante ont débarrassé le coffre du Range Rover et rangé les provisions dans l’unique et grand placard de la cuisine. Si grand qu’on pourrait y enfermer quelqu’un.

Luc rejoint Reynier et sa fille sur la petite terrasse, devant la maison. Un salon de jardin borde une petite fontaine qui chante à un rythme saccadé.

— C’est sympa, finalement, dit Maud avec un sourire un peu triste.

— Ravi que ça te plaise, répond Luc en allumant sa clope.

— Tu crois qu’on va rester combien de temps ?

— Je ne sais pas… Le temps que mon ami me donne les informations que j’attends.

— Les infos sur Abramov ?

Luc hoche la tête.

— Vu qu’il n’y a pas de réseau, comment va-t-il vous joindre ? s’inquiète Armand.

— J’irai au village chaque jour et l’appellerai de là-bas. C’est ce que nous avons convenu.

— Et si jamais tu sais où le trouver, qu’est-ce que tu feras ? demande Maud.

Luc réfléchit un instant.

— Vous resterez ici pendant que j’irai sécuriser le terrain.

— Ça veut dire ?

— Ça veut dire que vous ne reviendrez à Grasse que lorsque j’aurai mis ce type hors d’état de nuire, précise Luc.

— Tu… Tu ne vas pas le tuer quand même ?

— Je te l’ai déjà dit : seulement en cas de légitime défense… Il faut que je récupère les preuves qu’il détient, si toutefois il en détient. Et ensuite, faut que je le pousse à la faute. Pour qu’il finisse en taule.

— Mais comment ?

— Ça, ça me regarde, conclut Luc.

— En taule pour longtemps, espère Armand.

— Pour longtemps, confirme le jeune homme.

Amanda leur apporte de quoi se rafraîchir, même si les températures n’ont pas grand-chose à voir avec celles de la Côte d’Azur.

Il est près de dix-neuf heures et le soleil a déjà déserté cette petite vallée encaissée.

— Asseyez-vous avec nous, Amanda, propose Reynier.

Surprise, la gouvernante hésite à obéir.

— Allez, asseyez-vous. Prenez un verre.

Aussi étonné qu’elle, Luc dévisage le professeur. Il n’y a pas que son visage qui ait changé…

Ils traînent dans le jardin jusqu’à ce que le froid les pousse à l’intérieur de la maison. Amanda leur a préparé un savoureux dîner, malgré le manque d’ustensiles, et pour la première fois depuis qu’elle travaille pour cette famille elle partage leur table.

Le repas est un moment étrange où chacun tente de faire bonne figure.

Armand parle beaucoup, comme pour ensevelir ses angoisses sous une avalanche de paroles. Maud s’exerce à dissimuler sa soif d’héroïne derrière un excès de gestes et de rires.