Armand avale bruyamment sa salive, une corde lovée autour du cou.
— Tu vas tout nous raconter en détail, continue le tueur. Toutes les saloperies que tu as faites dans ta vie. Le chemin qui t’a conduit ici. Et je crois que ta confession va être longue et douloureuse…
— Je peux vous donner beaucoup d’argent ! tente le chirurgien.
Abramov s’approche de sa cible, pose le canon du pistolet sur sa tempe. Reynier ferme les yeux, s’accroche à la table.
— Tu ne jures que par le fric, hein ? Tu crois que tu peux tout acheter !
— Je ne peux pas vous rendre votre fils, murmure le professeur. Mais je peux vous donner tout ce que j’ai…
— Rien à foutre. La seule chose qui m’intéresse, c’est que le monde apprenne qui tu es… Qui tu es vraiment. Alors tu vas bien gentiment te mettre à table.
Abramov recule de quelques pas et se positionne en face du chirurgien. Il appuie sur la touche enregistrement, un témoin lumineux s’allume.
— On t’écoute, dit-il.
Reynier met quelques secondes à réagir.
Puis il se lance, conscient qu’il n’a pas d’autre choix.
« Je m’appelle Armand Reynier, je suis professeur, chirurgien, et je dirige la clinique de l’Espérance à Nice… »
Maud retient ses larmes et encourage son père du regard. Amanda, elle, baisse les yeux, comme si elle était soudain gênée d’avoir à entendre les révélations de son patron.
« Le 16 mars 2010, je me suis occupé d’un jeune garçon qui s’appelait Dimitri Abramov. C’était une intervention bénigne sur la vessie. C’était en fin de journée, j’avais enchaîné beaucoup d’opérations ce jour-là… J’étais épuisé et malade. Je me souviens que je sortais d’une grippe. J’aurais dû renoncer à cette opération, mais… Mais je n’ai pas voulu passer la main. Pendant l’intervention, j’ai fait un mauvais geste et j’ai perforé l’intestin de mon patient… de Dimitri. Immédiatement, avec mon équipe, nous avons fait le nécessaire pour réparer mon erreur. Nous pensions avoir réagi suffisamment vite pour qu’il n’y ait pas de complications ultérieures, mais Dimitri est mort trois jours plus tard d’une septicémie. Je reconnais que j’aurais dû prendre plus de précautions suite à cette opération. Je reconnais également que c’est à cause de mon erreur que ce jeune garçon est décédé. »
Reynier reprend sa respiration, regarde ses mains posées sur la table et qui tremblent légèrement.
« Je reconnais également avoir caché la vérité sur ce qui s’est passé au bloc. Avoir demandé à mon équipe de garder le silence. Et pendant le procès qui a suivi, je reconnais avoir menti et demandé à mes collaborateurs de fournir de faux témoignages. »
Reynier relève la tête vers Abramov, espérant déceler une certaine satisfaction sur son visage. L’homme met l’enregistrement en pause et dévisage le chirurgien quelques instants.
— Je veux que tu dises que tu as tué mon fils.
— Mais c’est ce que je viens de dire ! rétorque Armand.
— Avec ces mots-là. J’ai tué Dimitri.
Abramov remet le caméscope en marche, Reynier reprend.
« Je reconnais avoir tué Dimitri Abramov, même si à aucun moment je n’ai souhaité sa mort. C’était un homicide involontaire. Un accident, une erreur médicale. »
Les deux hommes s’affrontent du regard.
— C’était un meurtre, souffle le colosse. Un putain de meurtre !
— Non ! s’insurge soudain Maud. Un meurtre, c’est quand on tue volontairement quelqu’un ! Mon père n’a jamais voulu tuer votre fils !
Surpris, les deux hommes tournent la tête vers la jeune femme.
— Tais-toi, Maud ! implore Armand.
— Non, je me tairai pas ! C’est la vérité ! Le meurtrier, c’est vous ! C’est vous qui avez assassiné Luc !
Quelques larmes coulent à nouveau sur ses joues et quand Abramov s’approche d’elle, elle se ratatine contre le meuble.
— Qu’est-ce qui t’arrive, mon petit cœur ? Tu as les boules, c’est ça ? Tu étais amoureuse de ton beau garde du corps ?
Maud hésite. Mais ce visage, ce regard, fait remonter brutalement les images de l’agression. Ses yeux se soumettent, le silence se fait.
— Je m’occuperai de toi plus tard, prévient Abramov. Là, c’est au tour de ton père… Alors tu fermes ta gueule, compris ?
Satisfait, il se replace derrière le caméscope. C’est alors que Reynier perçoit un mouvement dans le dos du tueur.
Dans la pénombre, Luc vient de bouger.
Sidéré, le chirurgien fixe la silhouette qui se relève lentement dans le salon et prend appui sur l’accoudoir du canapé. Un espoir fulgurant le traverse de part en part. Immédiatement, il baisse les yeux vers la table. Surtout, ne pas alerter Abramov du danger qui le guette.
Dans le cerveau du chirurgien, les pensées se mettent à tourbillonner. Luc est vivant, certes, mais il a perdu tant de sang qu’il ne va pas pouvoir aligner trois pas ! Et a-t-il encore son arme à feu ?
Incapable de se contenir, il se met à remuer les jambes.
— Bon, on continue, professeur, annonce le tueur. Je remets en marche et tu enchaînes avec le reste.
Gagner du temps. Détourner son attention.
Reynier jette un rapide coup d’œil vers le salon. Luc est debout à l’entrée de la pièce. Il tient quelque chose dans la main. Sans doute son pistolet automatique.
— Que voulez-vous que je dise ? demande-t-il à son ennemi.
— Allons, Reynier, tu sais très bien de quoi je parle !
Soudain, le professeur regarde Amanda. Elle aussi a vu Luc.
Va-t-elle crier ? Prévenir Abramov ?
Sa tension est si élevée qu’il a l’impression que sa carotide va lâcher.
— Non, je ne sais pas, dit-il. Mais je dirai tout ce que vous voulez à condition que vous me promettiez de ne pas toucher à ma fille.
— Je veux juste la vérité, soupire Abramov. Juste ça… Une confession complète et sincère. Je veux que tu n’oublies rien des choses ignobles commises durant ta vie.
Luc s’avance de quelques mètres, sans aucun bruit. Son pas hésite, tel celui d’un mauvais funambule marchant au-dessus d’un gouffre.
Reynier retient sa respiration, priant pour que le garde du corps ne s’écroule pas.
Le jeune homme continue à avancer lentement, serrant la crosse de son pistolet dans la main droite. Il porte un tee-shirt clair, imbibé de sang sur tout l’abdomen. Il en a aussi sur le visage et sur les mains. Il semble revenir d’entre les morts.
Il est effrayant.
Vas-y, tire ! songe le chirurgien. Descends-le, bon sang !
Mais non, Luc ne peut pas abattre un homme d’une balle dans le dos, il l’a si souvent répété…
— Quelle vérité ? continue Reynier à l’intention d’Abramov. Dites-moi ce que je dois dire !
À son tour, Maud voit Luc avancer lentement vers sa cible. Dans le même réflexe que son père, elle se force à tourner à nouveau la tête vers la fenêtre et à dissimuler la joie qui vient de s’emparer de tout son être.
— Merde ! maugrée Abramov en bidouillant son caméscope.
Luc n’est plus qu’à deux mètres de lui, il lève son pistolet dans sa direction.
Dans une seconde, tout sera fini.
Enfin, le canon du Glock vient se coller contre la nuque du colosse, qui s’immobilise complètement.
— Tiens, on dirait que notre ami est réveillé, murmure-t-il.
— Luc ! s’écrie Maud. Luc ! Dieu soit loué, tu es vivant !
D’un bond, Reynier se lève, prêt à aider le jeune homme à neutraliser Abramov. Mais alors qu’il va s’avancer, le canon du Glock se déplace vers lui.