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— C’est ça que tu veux ?

— Oui… C’est pour toi.

— Pour moi ?

— En… la lisant, tu… comprendras. Et j’espère que tu… me pardonneras.

Reynier essaie de recouvrer ses esprits. Ils doivent s’éloigner d’ici au plus vite. Il se relève, pose une main sur l’épaule de Maud.

— Viens, ma chérie, allons-nous-en… On ne peut plus rien faire pour lui !

Elle le repousse avec tant de violence qu’il manque de tomber.

— Tu veux l’abandonner ? Comment peux-tu… ?

— Mais il a voulu te tuer ! rappelle Reynier. Il a voulu te tuer !

— Jamais, murmure Luc. Jamais…

— Barre-toi si tu veux ! hurle Maud. Moi je reste.

Le professeur hésite un instant puis se rassoit près d’elle. Il n’a d’autre choix que de rester jusqu’au bout. D’aller au terme de l’agonie d’un fils qu’il n’aura pas eu le temps de connaître.

D’un fils qui aura été sa perte.

Maud continue à presser le linge sur la blessure. Luc se met à tousser. Du sang coule maintenant de sa bouche.

Hémorragie interne.

— Qui a écrit cette lettre ? demande Maud pour le tenir éveillé.

— Ma mère…

— Ta mère ?

— Oui… Elle me l’a laissée… avant de mourir.

Maud fronce les sourcils.

— Ta mère est morte ? Mais je croyais que…

Reynier se souvient d’elle un instant. Il n’a jamais oublié son visage. Son regard de lionne. Une des plus belles femmes qu’il ait jamais rencontrées.

— Mon père lui a fait du mal, c’est ça ?

Armand sent son cœur se déchirer. Il voudrait achever Luc. Avant qu’il ne parle. Qu’il ne détruise le peu qui lui reste. Qu’il ne finisse de piétiner sa vie.

— Notre… père, répond Luc.

Une profonde stupéfaction bouleverse le visage de la jeune femme.

— Maud… Promets-moi de…

Luc crache encore du sang, son beau visage prend la couleur de la mort.

— Promets-moi de vivre.

— Oui… Oui, je te promets.

En cet instant, elle promettrait n’importe quoi.

Il ferme les yeux, Maud se met à hurler.

— Luc, reste avec moi !… Papa, fais quelque chose, je t’en supplie !

Reynier secoue la tête.

Remords, impuissance et douleur.

Les paupières de Luc se soulèvent à nouveau. Derrière un voile gris, il aperçoit un visage. Un sourire triste. Celui de Marianne.

Sa chère Marianne…

Un jour, sans s’en rendre compte, Luc s’est coupé en deux.

Il n’était encore qu’un enfant.

De cette déchirure, Marianne est née.

C’était ça ou mourir.

Être deux pour affronter l’indicible.

Une main à tenir, un étai pour ne pas s’effondrer. Une attache pour ne pas sombrer.

Quelqu’un à qui chuchoter ses peurs, raconter ses cauchemars et ses rêves.

Quelqu’un pour partager le moindre secret.

Quelqu’un à aimer…

Marianne, seul être capable de l’empêcher de sombrer définitivement dans la folie.

Marianne, qui a tout fait pour qu’il renonce à cette vengeance.

Luc parvient à lever son bras, ses doigts effleurent la joue de la jeune femme.

Elle est bien là. Près de lui.

La peur s’envole, tel l’oiseau d’un magicien.

Alors, Luc sourit. Marianne est revenue, ne l’a pas abandonné.

Ne l’abandonnera jamais.

Elle qui venait le rassurer dans les moments les plus durs. Qui se blottissait contre lui quand sa mère l’enfermait dans le noir.

Sa seule lumière.

Son seul espoir.

Son seul rempart contre la solitude et le désespoir.

Marianne pleure et Luc sent ses larmes réchauffer son visage. Il entend les sanglots qui la ravagent.

Lentement, ses traits se confondent avec ceux de Maud.

— Marianne…

— Je suis là, répond Maud. Je suis là… Juste à côté de toi.

Seconde après seconde, tout devient flou. Les bruits s’éloignent, le jour s’éteint, les souvenirs se fanent.

La douleur s’oublie.

Peu à peu, Marianne disparaît derrière un écran noir.

Alors, le cœur de Luc s’arrête.

J’étais un traumatisme, une névrose.

Une blessure.

Lorsqu’elle me regardait, je plongeais dans une eau noire et glacée.

Je me noyais dans mon chagrin.

Du fond de cet abysse, j’implorais mon père.

De venir me chercher, me délivrer.

De venir m’aimer, enfin.

Ce père fantôme, je lui inventais mille visages, mille vies.

Mille raisons de ne pas être là.

Pour construire quelque chose, il faut des fondations solides. Des racines saines.

Les miennes étaient pourries.

L’arbre en apparence si résistant s’est couché au sol.

Emportant tout dans sa chute…

57

Reynier fixe sa fille, effondrée sur le corps de son frère.

Anéantie par d’interminables sanglots.

Il voit le visage de Luc, ses yeux ouverts qui ne le défient plus.

Ne le défieront plus jamais.

Il trouve la force de se lever à nouveau et attrape Maud à bras-le-corps pour l’arracher au corps sans vie.

— Laisse-moi ! hurle-t-elle.

— Calme-toi, implore Armand. Il est mort… Viens avec moi !

Maud se débat si fort qu’elle échappe à son emprise. Elle s’effondre sur une chaise et déplie la lettre, y laissant ses empreintes sanglantes au passage.

Il y a deux feuilles.

Sur la première, quelques lignes écrites par Luc. À son intention.

Pourtant, Maud reconnaît immédiatement cette écriture. La même que sur les lettres qu’il recevait à la maison.

Ce n’est pas sa mère qui les écrivait. C’était lui…

Bouleversée, Maud décide de lire à haute voix. Comme si elle voulait achever son père, debout près de la table et qui la dévisage avec désespoir.

Maud,

Je sais que je t’ai fait du mal. Beaucoup de mal.

Et je te demande pardon.

Lorsque je t’ai vue la première fois, il y a de cela presque deux ans, je t’ai détestée. Parce que je pensais que tu étais heureuse, que tu avais eu une enfance dorée, que tu avais reçu tout l’amour qui m’a si cruellement manqué.

Et puis, ces dernières semaines, j’ai appris à te connaître. J’ai compris tes douleurs, tes blessures.

J’ai eu envie de te protéger. Mais je devais aller au bout de mon voyage.

Je devais faire payer ton père, qui est aussi le mien. Pour mon plus grand malheur.