San-Antonio
De l’antigel dans le calbute
Bander, c’est bien.
Baiser, c’est mieux !
Qui dîne, dort.
Un soldat qui déserte au combat est un soldat qui peut resservir.
Je sais que je mourrai des suites d’une longue convalescence.
À Henri-Jean Servat
Qui collectionne les gilets, à l’exception des gilets rayés,
Affectueusement.
PREMIÈRE PARTIE
QUELQUES PRÉCISIONS GÉOGRAPHIQUES PRÉLIMINAIRES
L’histoire dont je vais avoir l’honneur et l’avantage se passe dans une île peu connue du Club Med, à gauche de l’archipel Tintamar en mer d’Arafura.
Le bled en question, situé au-dessous de l’équateur, est, officiellement, la propriété du sultan Mormoilebrac, l’homme le plus riche du monde. C’est un territoire grand comme la moitié de la Corse, sans intérêt économique. Un peu de pêche perlière et des cultures d’agrumes assurent difficilement l’économie de l’île. Abandonnés par le monarque dont le sultanat s’étend dans les Célèbes, ses autochtones voulurent faire sécession.
Peu soucieux d’aller guerroyer pour des fèves, le sultan accepta la proposition d’un aventurier à la tête de spadassins modernes qui offrit au souverain de mettre ces sujets rétifs à la raison, à condition de recevoir, en échange de ses services, la charge de gouverneur à vie de l’îlot.
Mormoilebrac accepta et n’eut qu’à se féliciter du marché. L’homme, un Polonais du nom de Nautik Toutanski, réduisit à néant la révolte. Fit périr les chefs de la conjuration en les balançant sans parachute de son avion privé. Il était partisan d’établir son autorité par des exemples spectaculaires. Et comme il avait raison !
Sous sa bienveillante domination, le Klérambâr (ainsi se nomme le pays en question) connut une rapide prospérité sans que les rares sociologues de la contrée ne comprissent pourquoi. L’ouverture de salles de jeu et de maisons de plaisir fut pour beaucoup dans ce brusque élan économique. Certains établissements spécialisés dans la prostitution infantile, et d’autres dans les sévices corporels, ajoutèrent à la récente réputation de l’île. Nombreux furent les bateaux de plaisance qui vinrent mouiller, ainsi que leurs passagers, dans son port nouvellement aménagé. Des marchands chinois y affluèrent, attirés par la soudaine réputation de cette terre jusqu’alors inconnue. Toutanski interdit judicieusement la construction d’immeubles de plus de deux étages. En homme avisé, il tenait à ce que le territoire placé sous son administration conserve une ambiance détendue, ce qui eût été impensable si d’affreux buildings étaient venus souiller la nature équatoriale.
Au bout de quelques années d’une aussi sage gestion, le sultan Mormoilebrac, intéressé par l’expansion de l’île, décida de réviser ses accords avec le Polak et de replacer le Klérambâr sous son autorité directe.
Informé de la chose, le gouverneur prévint son suzerain qu’une telle décision serait à même de perturber son horoscope si elle était appliquée. Effectivement, dans la semaine qui suivit l’avertissement, l’épouse favorite du sultan périt d’une angine soignée d’un coup de sabre ; son Premier ministre se rompit la colonne vertébrale en ratant quarante-six des cent vingt marches du temple d’Hankulajasek, et sa Rolls-Royce préférée (celle en or massif avec les poignées de portières en diamants) vola en éclats lorsque le chauffeur mit le contact.
Informé de ces impedimenta, Nautik présenta ses sincères condoléances à Mormoilebrac et émit le vœu que cette série noire cessât le plus vite possible. C’était également celui du monarque, lequel confirma le Polonais dans ses fonctions en l’assurant de sa super-bienveillance teintée de sympathie.
L’essor de Klérambâr se poursuivit donc dans le calme et la sérénité.
Outre l’agrandissement du port, l’homme fort du pays y fit aménager un aérodrome susceptible d’accueillir des moyen-courriers ; une telle entreprise ne pouvait être éludée car elle engageait la prospérité de l’endroit.
Le Klérambâr n’était pas une île volcanique et son relief peu marqué ne comportait qu’une seule éminence de terrain d’environ trois cents mètres de haut.
C’est sur ce point culminant que le gouverneur érigea sa résidence. À la vérité, elle n’avait rien d’ostentatoire, sinon qu’elle s’entourait d’une solide muraille couronnée de pics et de barbelés électrifiés.
Plusieurs bâtiments se partageaient les trois hectares fortifiés : la villa du dictateur, de style italien, pourvue de colonnades, de baies en arc de cercle, de pièces d’eau, de patios à la fraîcheur continuelle. Et, à une centaine de mètres, le quartier des mercenaires composé d’une dizaine de petites constructions basses, autour d’une vaste piscine ovale. Chacune de ces habitations pouvait héberger une demi-douzaine de soldats et comprenait un dortoir découpé en stalles de deux lits, une salle de bains, un séjour plein d’agrément et une cuisine. Peintes en clair et confortables, ces maisonnettes eussent ravi les habitués d’un club de vacances. Alentour, s’étendaient des terrains de sport en plein air : stand de tir, gymnase, trampoline, court de tennis.
À l’extérieur du camp résidentiel, Nautik Toutanski avait fait agencer un quartier réservé à sa troupe, destiné au repos des guerriers. Une dizaine de filles appartenant aux trois races fondamentales de la planète y prodiguaient leur savoir à la garnison. Elles étaient placées sous l’autorité de quatre eunuques confectionnés à la demande de Toutanski. Pour cela, le médecin local avait castré quatre solides gaillards (contre bourse déliée).
Il s’agissait de volontaires appâtés par les fortes primes proposées. L’un d’eux avait été heureux de se débarrasser d’une phénoménale orchite qui le faisait marcher comme un compas ; un autre ne bandait plus depuis qu’une femme jalouse lui avait écrasé les roustons entre deux pierres pendant son sommeil (la chose l’avait réveillé en sursaut) ; le troisième disposait d’un sexe à ce point minuscule qu’il l’avait équipé d’un lacet lui permettant de le retirer de ses brailles ; quant au quatrième, il se livrait à l’homosexualité passive et donc ne souffrit pas de cette ectomie. Ces quatre personnages veillaient sur le bordel, servant à la fois de gardiens et d’hommes de peine. Ils s’occupaient du ravitaillement de ces demoiselles et de leur protection rapprochée, intervenant lorsqu’un conflit éclatait entre elles et leur clientèle, car les mercenaires, qui ne mercenaient plus beaucoup depuis la pacification de l’île se livraient aux débordements qu’engendre l’inaction.
Au moment où débute ce passionnant récit, les effectifs de la garnison se trouvaient décimés par une sournoise épidémie. Un mal étrange en face duquel le médecin de l’île, un Suédois alcoolique, descendu vingt années auparavant d’un yacht appartenant à des amis, se montrait impuissant.