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— Non !

Le Mastard interrompt sa vivisection.

— Alors cause, mais pas de boniments. Si tu nous berlures, non s’l’ment j’ t’ le coupe en plein, mais j’ t’ le fais bouffer ! assure ce gourmet averti.

— Laisse, conseillé-je à mon Zélé, que monsieur s’exprime. Selon qu’il dira la vérité ou non, il restera entier ou connaîtra la pénible ablation promise.

Toutanski semble avoir pris son parti de la situasse.

— Que faites-vous ? s’inquiète-t-il, en me voyant sortir un petit appareil de ma vague.

— Je mets vos paroles en conserve, mon cher. Je ne suis pas seul dans cette équipée, je viens de le dire, ce qui implique que je dois rendre des comptes à mes partenaires.

— Vous pouvez aussi bien enregistrer n’importe qui en mes lieu et place !

— Erreur, monsieur Toutanski. Vos conquêtes territoriales vous ont quelque peu éloigné des progrès scientifiques. Aujourd’hui, chaque voix est aussi particulière que les empreintes digitales. La vôtre a été captée à votre insu, il y a quelques mois. Quand bien même vous parleriez en essayant de la travestir, elle resterait indentifiable.

Il a légèrement blêmi. Sa zézette entaillée continue de saigner d’abondance. J’ordonne au Bédouin normandisé de la lui empaqueter dans un linge de toilette, ce à quoi il consent de mauvaise grâce.

— On y va ?

Il esquisse, avec les paupières, l’ombre d’un acquiescement. Je perçois physiquement sa haine démesurée. Si nous étions à sa merci au lieu qu’il soit à la nôtre, il trouverait des trucs pas gracieux à nous faire, espère !

— Je vous écoute ! insisté-je.

— Que voulez-vous savoir ?

— Ce que vous taisez. Je précise que si vous empruntez « le récit des écoliers », mon collaborateur reprendra immédiatement ses représailles.

— Le mot est plaisant, ricane le Polak.

— L’essentiel est qu’il soit explicite.

Un temps. Le Mammouth, impatienté par ces tergiversations, retire le linge-pansement et le bec verseur du prisonnier raisine de plus rechef.

— Franch’ment, j’ sais pas si tu vas l’ ravoir, déclare Alexandre-Benoît, sceptique. Il a déjà une fameuse entaille ; p’t’êt’ qu’en l’ recousant on pourrera l’ sauver ; la viande c’est fantaisiste, mais ça t’ cuirera longtemps quand tu licebroqueras. Baste, ça t’ rappellera tes chaudes-lances d’ quand t’étais jeune homme et qu’ tu tirais les putes d’ Varsovie.

— Laisse-le parler, bordel ! m’énervé-je, exaspéré par les déconnages d’Elephant Man à un moment aussi tendu.

Vexé jusqu’à la moelle épinière, le Boa constructeur s’enferme dans un mutisme hostile.

Un silence recueilli s’établit, identique à celui qu’on respecte une minute pour rendre hommage à un gazier qui a fait le « sacrifice de sa vie » par manque de bol ou étourderie.

Puis, conscient de ce qu’il lui est impossible de tergir le verset plus longtemps, Toutanski met le bras de son vieil électrophone sur le disque :

— Voici plusieurs années…

— Combien ? coupe sèchement le fameux Sana.

— Sept ans, je crois.

Je m’approche de lui et lui montre mon enregistreur.

— Vous apercevez ce minuscule voyant rouge qui vient de s’éclairer ? Il s’allume chaque fois que vous mentez.

L’homme méduse un pneu. Il encaisse le coup puis rectifie :

— En fait, il doit y avoir cinq ans de cela.

La petite loupiote s’éteint.

— Magique, hein ? exulté-je-t-il. Quand vous pensez qu’à ses débuts l’homme marchait à quatre pattes ! Bien, nous disions donc qu’il y a à peu près cinq ans…

— J’ai été engagé avec quelques mercenaires par des colons allemands habitant la Namibie dans le Sud-Ouest africain.

— Après ?

— Ces gens projetaient de s’approprier le résultat d’extractions réalisées dans un important gisement de diamants situé en plein désert du Namib…

— Passionnant.

Toutanski incline la tête pour visionner sa pauvre zifolette entaillée.

— Je vais me saigner, dit-il.

— Attends, j’ t’ fais un garrot ! offre généreusement le Pachyderme.

Il déchire le linge, prélève une bande qu’il entortille autour de la blessure.

— Ne serrez pas si fort ! gronde l’aventurier.

— T’ as peur que ça t’étouffe ? se marre l’Iconoclaste.

— Poursuivez ! Alors, l’action contre le gisement diamantifère ? demandé-je.

— Mes gars et moi avons lancé une opération surprise qui a pleinement réussi. Les gardes de la mine n’ont pas résisté et je crois même que personne n’a été tué dans l’aventure. Nous nous sommes fait ouvrir le coffre-fort contenant les résultats d’un mois d’extraction et y avons trouvé des pierres, encore brutes, certes, mais de toute beauté… Nous avons estimé qu’il était idiot de tirer les marrons du feu pour un groupe d’aventuriers allemands moins courageux que nous et avons décidé de garder et de partager le butin.

— Vous étiez nombreux ?

— Onze.

Il abaisse les yeux sur son pansement de fortune. Le linge de toilette, blanc à l’origine, est complètement rouge de sang. Il semblerait que le Molosse a été mal inspiré de lui débiter la bistougne en rondelles.

Inexorablement, je poursuis mon interrogatoire :

— Où se trouve cette mine ?

— Entre la baie de la Baleine et celle de Lüderitz.

— Qu’avez-vous fait après le partage des diamants ?

— Nous avons décidé de gagner Le Cap.

— De quelle façon ?

— On était équipés de deux véhicules tout-terrain… Mais un millier de kilomètres nous séparaient de notre objectif. Bien avant qu’on atteigne le fleuve Orange, l’une des voitures a pété son carter et nous avons dû poursuivre entassés dans la seconde. On roulait dans une région désertique. L’horreur !

« Le second jour, un avion de tourisme lancé à notre recherche nous a repérés. Il volait à basse altitude et s’est mis à lancer des grenades à grande puissance. Le type qui les balançait était d’une adresse folle. Il faisait mouche une fois sur deux. En moins de cinq minutes, notre seconde voiture a été hors d’usage. L’avion tournait au-dessus de nos têtes. Certains de mes gars ont essayé de riposter, mais sans grand succès. Cinq sont morts presque tout de suite : ceux qui se tenaient sur les marchepieds. Les autres, réalisant que la partie était perdue, ont sauté de la voiture et ont levé les bras après avoir jeté leurs armes.

« Vous croyez que le salaud en a tenu compte ? Au contraire, il prenait un malin plaisir à les ajuster. En peu de temps, tous mes camarades ont été allongés dans le sable brûlant, criblés d’éclats. Ceux qui n’étaient pas morts agonisaient. »

Il s’interrompt à nouveau. De la sueur embue son front. Je le trouve particulièrement blême. Sa voix a perdu de sa rudesse.

— Voulez-vous boire ?

Il acquiesce. Sur un signe de moi, le Mastodonte lui sert un verre de vin. Il le vide. Le sang coule le long de son pantalon, formant bientôt une large flaque. Je devrais faire montre d’un minimum d’humanité, interrompre mon interrogatoire. Eh bien non ! D’acier, qu’il est, le Sana. Impitoyable en plein. La charité chrétienne ? S’en souvient plus ! On devient vite un monstre dans ce métier !

— Et vous ?

Il a un léger flottement :

— Hein ?

— Tous vos gars étaient morts ou mourants, mais vous qui êtes là à raconter l’affaire, dans quelle posture étiez-vous ?

— J’ai tout de suite compris que nous étions foutus. Lorsque l’avion est allé virer pour revenir à la charge, j’ai quitté notre véhicule en rampant afin de gagner un buisson d’épineux ; je m’y suis enfoui littéralement. Un mois après, je m’arrachais encore des aiguilles de la chair.