Elle ne comprit pas entièrement la protestation d’Alexandre-Benoît, mais en interpréta le sens général et développa davantage l’écartement de ses maxillaires.
Nous devons aux exigences de la vérité d’affirmer que Gretta Dübitch s’acquitta d’une pipe en bonne et due forme qui faillit l’étouffer.
Le Service namibien faisait bien les choses. À l’arrivée, une voiture nous attendait en limite de piste : grosse Chrysler Voyager pilotée par un Noir que sa denture proéminente aidait à ronger son frein[3]. Il portait un bermuda et une chemise garnie de poches pectorales aussi gonflées que celles que la reine d’Angleterre a sous les yeux.
Il avait délourdé sa caisse et nous obligea d’un salut militaire horizontal si intense qu’il pouvait se gratter la cervelle avec les ongles. Gretta lui adressa la parole dans un dialecte que je supposai être de l’afrikaans ou du bantou, mais je m’en écarquillai l’anus avec le spéculum de la princesse Margaret, ne comprenant ni l’un ni l’autre de ces patois.
La converse fut brève. Nous prîmes place dans le vaste véhicule dont nous appréciâmes la climatisation. Le conducteur ne tarda pas à démarrer dans un nuage de poussière, nous donnant la désagréable sensation de traverser Regent Park un jour de fog.
Nous roulâmes un couple d’heures à travers une nature où le mètre carré de terrain doit valoir moins cher qu’à Times Square. Des roches, une terre rougeoyante, une végétation parcimonieuse, un ciel chauffé à blanc ; pas de quoi rameuter le Club Med. Béru aux bourses vidées dormait de nouveau. Ses ronflements rivalisaient avec ceux du moteur. M. Blanc lisait un ouvrage de la Pléiade. Il s’agissait du fameux traité de botanique florale de Pascal intitulé Pensées, récemment réédité chez Vilmorin.
Je sentais le genou de l’Allemande contre le mien ; nonobstant, je restais, non pas de marbre, mais de chewing-gum mâché. Ses débordements avec le Gros prouvaient que la dame ne savait rien refuser à ses sens, comme le dit si justement un cardeur de matelas de mes relations. Cela me désobligeait car, sans exiger l’exclusivité d’une frangine, il me déplaît de la savoir ouverte à tous, comme un grand magasin un jour de « promotion spéciale ». Je ne boudais pas, mais me cloîtrais dans une réserve d’Apache.
Les femmes faciles sont les bienfaitrices des queues pressées, mais disconviennent aux romantiques de mon espèce !
Au bout du trajet se trouvait une agglomération de type colonial, dans les rues de laquelle des chiens erraient, des enfants jouaient, des ivrognes cuvaient et des marchands vendaient. Les autochtones semblaient ne pas avoir d’autres préoccupations que de chercher de l’ombre pour s’y tapir. Une vieillarde ayant largué ses vingt dents depuis lurette mâchait une plante qui, sans doute, les aurait fait tomber. Bien que ce végétal chiqué fût vert, elle crachait noir, mais peut-être avait-elle été mineuse dans sa période active ?
Fräulein Dübitsch lui demanda la maison de Margaret Ferguson. Crois-moi où va te faire carrer une betterave sucrière dans le cul (sauf si tu as du diabète, naturellement), nous nous trouvions pile devant le cottage de la personne en question (en anglais : the person in question). Le hasard fêle bien les choses, comme le répétait grand-mère.
La maisonnette ne manquait pas d’agrément. Malgré sa situation géographique, elle évoquait l’Angleterre, avec ses fenêtres à petits carreaux garnies de pots de fleurs et sa façade à colombages. La porte était ouverte et l’on apercevait un perchoir surmonté d’un perroquet vert et jaune, qui rouscaillait en allemand, langue qui se prête admirablement au maugrément.
Gretta, qui me devançait, toqua à l’huis entrebâillé. Le psittacidé cria quelque chose avec l’accent cacatoès.
Nous considérâmes qu’il s’agissait d’une invite et pénétrâmes dans la maison. Nous découvrîmes un charmant living de vieille dame méticuleuse, meublé comme n’importe quel intérieur de créature ayant troqué les patins buccaux contre des patins de feutre. On trouvait, sur les murs, des écorces d’arbres peintes de la Forêt-Noire, des gravures de Tyroliens moustachus et la photographie d’Adolf Hitler déguisé en Charlie Chaplin. Sur le sol s’étalait un large et vieux tapis détramatisé par l’usure ; sur cette relique gisait une personne âgée dont le chef s’ornait d’un monumental chignon en demi-cercle, qui n’avait pas suffi à neutraliser un coup de tisonnier porté à sa tête.
Ouf ! Cette phrase n’en finissait pas, tu la croirais extradée d’une œuvre de M. Claude Simon, si talentueux, mais si chiant à lire.
Ma potesse poussa une exclamation et se tourna vers moi.
— Qu’est-ce que vous pensez de cela, Herr Direktor ?
— Que nous arrivons trop tard, répondis-je-t-il, non sans finesse.
Là-dessus, je m’assis sur le divan, joignis mes mains ferventes autour de mon genou préféré et entrai dans une période de méditation dont je ne serais peut-être pas encore sorti si cette gentille névropathe de Gretta ne s’était mise à se caresser fiévreusement devant la défunte.
Une telle initiative m’arracha à une morbide contemplation.
Je sortis sur le pas de la porte et, du geste, invitai M. Blanc à me rejoindre.
14
— Prenez-moi ! Prenez-moi ! gémissait l’Allemande en se choyant la cressonnière avec deux doigts en lesquels, malgré sa promptitude d’exécution, je crus reconnaître son médius et son annulaire.
Je considérais sa frénésie sexuelle avec surprise, tant il me semblait incongru qu’une personne de sa classe, œuvrant pour le gouvernement, se livrât à des débordements aussi excessifs en présence de messieurs étrangers. Cela dit, ce spectacle ne manquait point d’un certain charme et je me permis de le préférer temporairement à celui du cadavre.
— Hystéro ? demanda Jérémie.
Le doute n’étant pas possible sur ce plan, je m’abstins de répondre. Folle d’excitation autant que d’impatience, notre cicérone chemina, à genoux, jusqu’à M. Blanc pour lui saisir les génitoires au travers du pantalon.
Mon ami soupira et laissa flotter les rubans. Ce fut déterminé, précis et rapide. En moins de temps qu’il t’en faut pour gober les bobards d’un ministre, elle lui dégagea la massue, lui composa une rouge collerette de ses lèvres et, grâce à une combinaison subtile de va-et-vient et d’aspirations conjugués, le défit de sa surcharge séminale, opération que mon grand primate subit stoïquement, en mâle qui n’en est pas à quelques millilitres de foutre.
Cet en-cas obtenu, la gerce des Services spéciaux (ô combien !) retrouva, son calme en même temps que la position verticale. Elle fit ce que toutes ses pareilles font dans ce cas : elle rechargea ses lèvres de rouge Chanel[4].
— Alors, interrogea-t-elle avec guilleretté, où en sommes-nous ?
— Comme cette dame : au point mort, répondis-je, non sans humour, tu peux le constater.
Jérémie venait de remiser sa queue et palpait le cou fripé de la victime, lequel était d’un diamètre bien inférieur.
— Décédée depuis plusieurs heures, déclara-t-il.
— La porte de son cottage était ouverte, nota la demoiselle qu’on nous avait adjointe pour assurer, je pense, le service « cul » de notre expédition.
— Ce qui indiquerait que son meurtrier était pressé de repartir, conclus-je.
Le perroquet crut opportun de lancer une invective à l’encontre de la famille royale britannique, poussé par un sentiment de rancune probablement, car les modistes œuvrant pour le palais de Buckingham sont responsables d’une surconsommation de leurs plumes.