— L’aimait jouer aux osselets ! ricane le Mammouth, réputé cependant pour ne pas chipoter sur l’âge de ses conquêtes. (Je l’ai vu tirer des ancêtres privées de leur mobilité, sous prétexte que les pipes d’édentée sont les plus satisfaisantes.)
— D’après le tonton de la petite, il terrorisait la mère Ferguson ; mais ce retinton d’amour vache la comblait. Au bout d’un certain temps, il a sympathisé avec des hommes qui travaillaient à la mine.
— Mine de diamants ? interrompt Gretta.
— Non, d’uranium, vous le savez bien.
Un silence quasi religieux.
— Nous y voici ! lâche le Bronzé.
— En effet, admets-je. Les « copains » du Polak, au nombre de quatre, hantaient l’établissement du Chinois et y amenaient des putes de la région. Toutanski s’est arrangé pour se lier avec eux. Il leur payait force whiskies et parfois à bouffer. Il organisait des partouzes chez la Margaret. Cette dernière était allemande malgré son nom qu’elle devait à un mari depuis longtemps disparu. L’amitié de Nautik avec les mineurs a duré plus d’un an ; ils avaient constitué une petite bande d’inséparables. Dès que les gars rentraient du boulot, ils débarquaient chez mémère et faisaient bombance. Il y a cinq ans, la vieillarde n’était pas aussi déjetée qu’au moment de sa mort. Elle te vidait les burnes et les bouteilles avec une goinfrerie d’ogresse.
— Et alors ? me presse Fräulein Dübitsch que les questions de fesses passionnent.
— Sa maison est devenue un objet de scandale dans ce patelin. On ne la fréquentait plus et les commerçants lui tiraient la gueule. Mais elle se foutait du qu’en-dira-t-on. Sa vie s’achevait en feu d’artifice, dans une fête permanente basée sur le cul et l’alcool.
— Un velours ! s’exclame ce jouisseur infâme d’Alexandre-Benoît.
— Un jour, on ne sait trop pourquoi, car il semblait posséder pas mal d’argent, le Polonais s’est engagé à Crakburn. Il travaillait dans les bureaux et s’occupait du personnel. D’après mes renseignements, il y serait resté plus de trois mois.
Je silencieuse un chouïe : mettre mes idées en faisceau.
— Ensuite ?
— Peu après son séjour à la mine, l’une des plus importantes du monde, il s’y est produit un vol qui, depuis lors, empêche de dormir une foule de gens initiés. Une grosse quantité d’uranium a disparu. Un concours de circonstances avait amené les responsables à le stocker, ce qui était tout à fait contraire aux habitudes, mais des pourparlers concernant le dispatching de ce métal dans différents centres internationaux traînaient en longueur. Lorsque enfin les dispositions furent arrêtées, on constata qu’il ne restait absolument rien de la terrible matière. L’alerte rouge fut décrétée. Je ne vous raconte pas le branlebas qui s’ensuivit avec les Services secrets des nations occidentales sur le pied de guerre ! Il y eut une colossale enquête. On mit sur le gril tous les gens de la mine, depuis le directeur jusqu’au dernier manar : zob ! Le mystère demeura intact, ou presque. La seule chose que les policiers purent établir, c’est que le vol fut réalisé par quatre employés que l’on devait découvrir abattus à coups de fusil quelques jours plus tard. Leurs corps gisaient dans un ravin où les bêtes carnassières les avaient à moitié dévorés.
— Les copains du Polonais, je gage ? demande Jérémie.
— Exactement !
— Et le Polak ?
— Il avait quitté l’exploitation un mois auparavant afin de regagner l’Europe. Effectivement, on a retrouvé sa trace dans un hôtel de Berlin où il séjourna quatre jours.
— Donc, fait Fräulein Dübitsch, il n’a pas été inquiété ?
— Non, mais avec l’aide de nos confrères britanniques, je suis parvenu à établir que l’aventurier avait pris un avion à Copenhague pour l’Afrique du Sud l’avant-veille du vol. Il a voyagé sous une fausse identité. Au Cap, il a emprunté une ligne régulière pour Windhoek, si bien qu’au moment du coup de main il pouvait être à la mine. Ma conviction est QU’IL Y ÉTAIT et qu’il a dirigé les opérations avec son brio coutumier. Aussitôt après, il a liquidé ses complices et a disparu sans laisser de trace.
— Et la camelote ? s’enquiert le Pertinent. Tu croives qu’y le la emportée av’c lui ensuite ?
— Impossible ! Les containers de plomb, même vides, sont intransportables par un seul homme.
— Et alors, Nestor ? fait le Gros avec sa goguenardise made in Saint-Locdu-le-Vieux, son village natal autant que normand.
— Une certitude s’est lentement forgée en moi : je crois que la cargaison n’a jamais quitté ce pays.
— Vraiment ? égosille Gretta Dübitsch.
— Je ne vois pas d’hypothèse plus valable. Sitôt que le vol a été découvert, le pays s’est trouvé en état de siège. On l’a exploré avec un déploiement de moyens extraordinaires. Or jamais la moindre trace d’uranium n’a été relevée. Nulle part on n’a signalé de chargement suspect. À croire que les containers se sont désintégrés. J’en suis arrivé à la conclusion que, immédiatement après l’enlèvement des caissons plombés, Toutanski est allé planquer ceux-ci dans une cache préparée à l’avance avec l’aide de ses acolytes.
« L’endroit doit être astucieux, peut-être inexpugnable ; de tout repos, en tout cas. Sitôt l’uranium hors d’atteinte, il a liquidé son équipe, parce que la plus élémentaire prudence l’obligeait à le faire. AUCUN TÉMOIN ne devait subsister, sinon tout était compromis. Ce type connaissait les hommes ; il n’ignorait pas que personne n’est fiable longtemps ; tôt ou tard, l’un de ses complices, alléché par quelque forte prime, se mettrait à table. Alors il a fait place nette. Et il est parti ailleurs en attendant… »
— En attendant quoi ? demande Jérémie Blanc.
— Que le temps « fasse son œuvre », comme écrivent les pompelards de la plume. Que le calme revienne et que les intéressés finissent par tirer un trait sur la cargaison volatilisée. Il se savait à la tête d’une colossale fortune, avec un tel butin. Plus les années passeraient, plus il aurait les coudées franches pour effectuer des tractations juteuses. Une nature ! On pourrait faire un sacré film avec ses tribulations !
Elle semble vachement rêvasseuse, Gretta, à l’écoute de ce récit. Sa caberle fait le Tampax saturé. Ça se bouscule dans sa musette à idées…
Jérémie murmure :
— Tu expliques comment l’intervention des gars qui ont zingué la vieille, hier ?
— Je vous le répète : on a voulu nous prendre de vitesse. Lorsque les Services secrets de Namibie ont su notre reprise de l’enquête si longtemps après le vol, ils ont décidé de nous couper l’herbe de la savane sous les pieds : d’où cette expédition au domicile de Margaret Ferguson. C’est pourquoi ils ont questionné la vieille, l’ont butée, puis ont emporté des choses susceptibles de leur être utiles. La loi de la jungle ; n’est-ce pas, Fräulein Gretta ?
Elle hausse les épaules et se drape dans un mépris flétrisseur.
— Naturellement, vous me soupçonnez ? fait-elle.
— Naturellement ! répété-je en écho[6].
18
Je lui propose une autre tasse de caoua, mais elle refuse :
— Sans façon : je lui trouve un drôle de goût.
— Y a rien de plus pernicif que le café, décrète Sa Majesté bedonnante ; moive, si j’ m’ écoutererais, je boirerais qu’ çui d’ ma bourgeoise. J’ veuille pas médire, mais Berthe fait le mélieur jus du monde et d’ sa périphérance.
6
Toujours, dans mon genre de vice-sous-littérature, les interlotrouduculteurs « répètent en écho ». Cela est incontournable, il faut l’accepter !