— Puisque votre petit déjeuner est achevé, accepteriez-vous que nous ayons une conversation privée ?
— Si vous y tenez.
— Alors sortons un instant.
Il y a, tout près d’ici, un angle de rues planté de quatre arbres, faisant vaguement songer à un square ; d’ailleurs j’ai cru y apercevoir un banc.
Nous nous y rendons à pas d’amoureux. Nos doigts se frôlent comme, jadis, dans les chansons du bon Tino Rossi.
— Ainsi, vous n’avez pas confiance en moi ? demande la belle Allemande en se déposant sur les cannelures du siège.
— Réfléchissez, ma vaillante amie : vos services, lorsque nous nous présentons chez eux, n’ont rien de plus pressé que de vous parachuter dans notre petit groupe. N’étant plus des enfants, nous comprenons illico qu’en réalité vous êtes davantage chargée de nous surveiller que de nous assister.
— Et quand ce serait ? Le vol d’uranium que vous essayez d’élucider a eu lieu dans notre pays et affecte une compagnie nous appartenant. Qu’on vous laisse procéder à un supplément d’enquête est un signe de grande tolérance de la part de notre gouvernement.
— Vous oubliez qu’un tel forfait concerne toute la Terre, ma chérie !
— Ne m’appelez pas « chérie » car vous allez m’exciter, et vous avez été témoin de quelques-uns de mes débordements. Je souffre d’une forme d’hystérie consécutive à un viol que j’ai subi dans mon enfance.
Ce disant, elle pose sa main de volupté sur la cage à extase qu’est mon bénoche, comme l’écrit le merveilleux astrophysicien Hubert Reeves dans son ouvrage intitulé : Souviens-toi de ton futur[7]. Je croise vivement les jambes afin de calmer ses violeries audacieuses.
— C’est dommage ! s’apitoie-t-elle sur son sort. Moi qui vous gardais pour la bonne bouche !
— Vous me flattez, mais nous devons parler.
— On a toujours le temps de parler « après ».
— Détrompez-vous : nous n’existons que par nos actes !
Je regarde subrepticement l’heure. Le délai « d’attente » est passé, concernant la petite expérience à laquelle je me livre sur cette frénétique de la moule à crinière. La capsule que j’ai versée dans sa tasse agit.
— Vous ne savez donc rien des gens qui ont tué la mère Ferguson ?
— Rien ! Lorsque vos yeux se plantent dans les miens, je me prends à mouiller comme une folle.
Malgré cette intéressante révélation, je continue :
— Vous vous doutez bien que le commando d’hier a été dépêché par vos Services ?
— C’est probable.
— M. Julius Schaub ?
— Il est trop imbu de ses fonctions pour prendre un risque de ce genre !
— Alors, son collaborateur aux manières efféminées ?
— Sans aucun doute.
— C’est l’éminence grise de la maison ?
— En quelque sorte le patron de l’illégalité, si je puis dire.
— Vous estimez qu’il a donné des instructions pour qu’un commando nous précède chez la vieille femme ?
— Au moment de l’affaire, il avait avancé l’hypothèse, lui aussi, que l’uranium se trouvait toujours en Namibie. L’arrivée de nouveaux enquêteurs européens l’a confirmé dans cette certitude et il a décidé de vous devancer, afin de reprendre les recherches à son compte.
— Merci de vos confidences, lui dis-je ; allons rejoindre les autres !
Gretta me joue « les yeux noirs ». Quelque chose qui ressemble à de la fureur durcit ses traits.
— Que venez-vous de me faire dire ? chuchote-t-elle d’un ton pâle.
— Ce qu’il me fallait savoir, ma chérie.
Elle presse l’extrémité de ses doigts contre ses tempes.
— Salaud ! dit-elle en allemand, ce qui est plus insultant que dans toute autre langue. Vous m’avez droguée, n’est-ce pas ?
— Si peu !
— J’aurais dû y penser : je me sentais égarée.
— Rassurez-vous, ça ne dure pas : à preuve, vous revoilà maîtresse de vous-même.
— Tous les moyens vous sont bons !
— Si je ne vous avais pas infligé ce petit test sans danger, je continuerais de me méfier de vous, et ça enlèverait du charme à nos excellentes relations.
— Je vous hais ! déclare-t-elle comme dans un drame bourgeois de l’entre-deux-guerres.
— Mais non, Gretta. De toute manière, votre sentiment ne résistera pas à une nuit d’amour.
Une telle phrase a pour mérite d’endiguer sa fureur. Je comprends que, si je sais m’y prendre, mon absolution est dans la poche de mon slip.
Alors que nous rejoignons nos compagnons, elle s’arrête et demande à brûle-veston[8] :
— Que comptez-vous faire de cette gamine chinoise ?
— Une femme libre, réponds-je ; c’est une marotte chez les Français depuis qu’ils n’ont plus de colonies.
19
La route conduisant à la mine est rectiligne, sous un soleil qu’aucun romancier rémoulade ne pourrait s’empêcher d’appeler « de plomb ». Des mamelons à l’infini… Roches, sable, maquis chétifs. Le désert, quoi ! Ciel blanc crayeux, avec des cohortes de nuages menaçants, d’un gris pommelé. Par instants, un petit mammifère du genre carnassier encéphalique coupe la piste pour aller se fondre dans cet horizon minéral. Des rapaces survolent lourdement ce paysage en agonie. Tous les cinq kilomètres environ, un panneau indique « Crakburn Mine ». Les deux mots sont soulignés d’une flèche ressemblant à une arête de hareng.
Malgré l’air conditionné de notre Chrysler, la chaleur est accablante. Au point que Bérurier se livre à un effeuillage progressif qui ne lui laisse que son slip à grille constellé de trous par lesquels ses démoniaques testicules tentent de jouer la belle ! Jérémie s’est mis torse nu, la belle Gretta n’a plus sur son corps bronzé qu’une brève culotte bandatoire et un soutien-nichebabes aussi menu que deux menottes de bébé. Seuls Shan-Su et mézigue conservons nos harnais, donc notre dignité.
La voiture tangue sur la route riche en ornières profondes. Le chauffeur cramponne le cerceau pour conserver son assiette.
Je jette de fréquents regards à ma Chinagotte. Elle aussi me mirade de ses yeux en trous de pine. Parfois, elle a une amorce de sourire que vite elle réprime, comme si elle craignait de trahir ses émotions.
Que vais-je faire de cette Barbie, type asiatique ? La former pour l’amour à l’occidentale ? Ça, dans un premier temps. Ensuite, le degré supérieur : la baise française. Je cherche à deviner la frime de m’ man quand je débarquerai avec Shan-Su dans notre pavillon de Saint-Cloud. Oh ! elle l’accueillera superbement, je me mouronne pas. Seulement que seront ses sentiments à ma vieille chérie ?
Cette gamine tombée d’une autre planète, avec sa peau d’hépatique et ses phares en code, ne parlant pas une broque de notre langue, ne croyant pas au dieu de Féloche, bouffant du riz à tous les repas ; tu parles d’une éducation à entreprendre !
Et qui nous mènera où ? Réponds, Edmond !
Au mariage !
Tu sais bien que non. Si j’avais dû épouser une gerce, c’est Marie-Marie que j’aurais drivée à l’autel, pas une greluse dont je ne sais rien de rien. Pedigree de chien errant ! Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d’amour, chantait papa en se rasant devant son miroir à trois faces. C’était quoi, sa vie sexuelle, mon vieux ? Était-il bon tringleur ? Avait-il des maîtresses ? Dans le fond, je ne sais presque rien de lui. M’ man en a fait un personnage de vitrail. Quand je l’évoque, il a comme une auréole derrière la tête, son souvenir est éclairé au néon, mon dabe.
7
Je lis tous les
8
Le pourpoint est un vêtement trop suranné pour qu’il soit encore utilisé dans une œuvre aussi moderne.