Dans les confins, j’aperçois une concentration de bâtiments, des collines entaillées, pleines de reflets métalliques, des cheminées, des hommes affairés. Un nuage de fumée et de poussière en suspension pèse sur ce lieu impressionnant.
— Nous arrivons, hein ? fait Jérémie Blanc.
— On dirait… Réveille Sac-à-merde et fais-lui remettre son bénouze ; il conviendrait également que votre égérie se relinge un peu. Si elle débarque presque à poil parmi les mineurs, ils vont tous lui sauter dessus et l’embroquer contre le capot de la tire, ce qui, vu la chaleur de la carrosserie, risquerait de lui brûler les meules au troisième degré !
Un vaste parking précède l’entrée de l’exploitation. Le chauffeur laisse notre véhicule sous un abri composé d’un simple toit de cannisses. Son ombre illusoire ne dispense pas beaucoup de fraîchouille, aussi mes compagnons se grouillassent-ils de débarquer et de foncer en direction d’un boqueteau de brunomasurs à floraison ambivalente, au centre duquel se prodigue une pièce d’eau en circuit fermé.
Il a été décidé que Fräulein Dübitsch et moi nous présenterions seuls à la direction, notre groupe hétérogène pouvant déconcerter les visités.
Après moult tergiversances, nous finissons par être introduits dans l’antre du grand dirlo, mister Klakbitt, un presque sexagénaire admirablement conservé (dans l’alcool). Il a le teint brique des amateurs de gin, le cheveu blanc coiffé plat et des yeux d’un bleu si délavé que, pour dormir, il est obligé de se servir d’une canne blanche[9]. Pas très sympa ; je préciserais même : à chier. Son attitude doit faire avorter sa secrétaire lorsqu’elle est enceinte.
Nos qualités établies, nos accréditations produites, il se met à jacter avec un débit de deux syllabes à la minute :
— On ne va pas recommencer avec cette affaire !
— On ne recommence pas, objecté-je avec ce calme qui tant impressionne les dames s’apprêtant à jouir de mes assauts quand, à l’instant de l’orgasme, je leur déclame La Mort du loup ; non, mister Klakbitt, on ne recommence pas, on continue !
— Écoutez ! s’écrie ce notable (de logarithme). Mon prédécesseur qui dirigeait la mine à cette époque, s’est suicidé six mois après sa mise à la retraite anticipée. Ne trouvez-vous pas qu’il est temps de tirer un trait sur cette histoire ?
— On ne tire un trait que sur les affaires terminées, riposté-je-t-il, et tant qu’une énorme quantité d’uranium continuera d’échapper à tout contrôle, celle-ci perdurera !
Il me regarde avec les deux trous d’azur percés dans sa gueule écarlate. Je suis prêt à parier ton testicule droit contre le gauche qu’il rêve de sortir sa boutanche du tiroir pour la briser sur cette protubérance située à l’arrière de mon crâne qui abrite l’une des plus vives intelligences de cette fin de siècle. Il a dû voir un discours du bon président Chirac car il murmure :
— Écoutez[10]. Au moment des faits, je dirigeais une grosse entreprise au Cap, en Afrique du Sud. Je ne sais de cette histoire que ce que les employés m’en ont dit, c’est-à-dire peu de choses.
— Eh bien ! j’aimerais qu’ils me les répétassent, ces choses !
— En cinq ans, il y a eu des modifications dans le staff de la mine ainsi que parmi son personnel.
— Il en reste, et je souhaiterais les rencontrer, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
— Comme vous voulez.
— Merci.
Il enfonce une touche de son interphone.
— Smith, fait-il, vous étiez bien à Crakburn au moment du fameux vol ?
— En effet, monsieur le directeur.
— Alors venez dans mon bureau, j’ai ici des personnes qui sont encore intéressées par cette histoire.
— J’arrive tout de suite.
Fectivement, un gazier se pointe vite fait. Une sorte de Boubouroche anglo-saxon (mais plus saxon qu’anglo), gros, chauve-blond, avec une bouche humide en forme de cerise, un nez pareil à une pomme de terre nouvelle, un triple menton, une moustache en cils de porc et un appareil acoustique dans sa feuille droite.
Le buveur de gin ne s’embarrasse pas de mondanités :
— Ces gens se livrent à un supplément d’enquête à propos de ce que vous savez ; vous serez aimable de répondre à leurs questions, mon cher.
Et à nous, avec l’air du mec s’apercevant, mais un peu tard, qu’il vient de draguer un travelo :
— Voici Smith, notre chef des relations humaines en qui j’ai toute confiance, vous ne pouvez trouver meilleur interlocuteur. Ravi de vous avoir connus.
Il se penche sur des paperasses sans plus s’occuper de nous. Il existe différentes manières de dire « Je t’emmerde » à quelqu’un, il vient d’en trouver une supplémentaire.
Trois-mentons nous pilote dans un grand burlingue vitré où l’air conditionné fonctionne à merveille. Chez lui, malgré le mahomet, tu te crois à la pointe du Raz un jour de tempête automnale. Ce gus redoute tellement la chaleur qu’il s’est fait poser un ventilateur gros comme l’hélice du Queen Mary, en plus de son climatiseur. Il nous adresse un sourire plus large que la chatte d’une caissière.
— Soyez les bienvenus, nous dit-il, jovial. Je suppose que vous êtes surpris par la maussaderie de notre directeur. C’est un homme qui vit seul : son épouse l’a quitté pour un Noir bantou. Or ces types-là ont des sexes dévastateurs. Les poils pubiens ne repoussent jamais là où ils sont passés…
20
Il est du genre affable, le mec. Doit prendre la vie du bon côté, y compris par les cornes si ça se présente.
Son premier soin est de prévenir sa secrétaire, une métisse à la peau sombre et luisante, qu’on ne nous dérange sous aucun prétexte. Ensuite, il va ouvrir un réfrigérateur et en sort une boutanche d’un scotch vieux de sept ans, ce qui est jeune pour un président de la République, mais déjà vénérable pour un flacon de whisky.
Il emplit aux deux tiers trois grands verres, dépose des rondelles de citron dans chacun, de la glace, et procède à la répartition.
— À votre santé, nous dit-il. Je ne suis pas fâché de voir rouvrir cette fichue enquête !
On biberonne quelques centilitres d’alcool.
— Vous n’avez pas trouvé la première convaincante ? lui demandé-je.
— C’est le moins qu’on en puisse dire.
— Qu’est-ce qui motive cette critique, cher ami ? fait la belle Gretta en déboutonnant sa chemise jusqu’à ce que ses glandes mammaires débouchent dans la pièce sans crier gare.
Le dirloche des esclaves en avalerait son stéthoscope s’il était médecin ; à défaut, il se chope des prunelles de batracien en rut. Sa bouche cloaque, ses mentons avalanchent tandis que sa pomme d’Adam parvient à rejoindre ses molaires du fond.
Cette diversion opérée de manière abrupte sur le sensoriel de notre homme contrarie visiblement les confidences que je sentais arriver au triple galop.
— Vous disiez, très cher ? fait ma nympho de service en avançant ses mains fuselées sur son fuselage inférieur.
Il dit ballepeau, le gros lard. Ne peut plus s’exprimer sur les rives pourpres de l’apoplexie. Il patauge de la menteuse. D’énormes veines bas-relièfent à son cou.
Ma partenaire dégrafe son short et s’en dépiaute, idem de son slip virginal. J’en ai déjà rencontré, des frémissantes de la fente magique, mais aussi déconnectée que Fräulein Dübitsch, c’est peut-être bien la première. Tu crois pas, Eloi ? Quoi ? Tu dis que je raconte ça à propos de toutes les frangines qu’ont la moulasse à haute tension ? Oui, p’t’être. M’en rends pas compte. Faut conviendre que ma vie professionnelle se déroule parmi des êtres paranormaux. J’ai pas affaire à des merciers ni à des marchands de vin. Mes historiettes se déroulent dans des milieux d’exception où la vie n’est ni simple ni tranquille. Fatalement, je traite pas avec des petits foutriquets saumâtres et galipoteux.
9
Ce qui fait la force de San-Antonio, c’est qu’il ne redoute jamais de paraître incompréhensible. L’absconnerie est sa première nature.