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En l’occurrence, nous possédions trois torches électriques, des chiffons, un rouleau de corde, une pioche, une hache et un couteau Opinel dont je répéterai, jusqu’au bout de ma durée, qu’il est l’un des ustensiles les plus importants pour un habitant de cette planète.

Nantis de ces précieux auxiliaires, nous partons en repérage.

Il est fort possible que tu n’aies jamais visité de mine d’uranium. Dans l’hypothèse peu vraisemblable (mais sait-on jamais !) où ce serait le cas, laisse-moi t’expliquer la manière dont cela se présente. Je ne veux pas te faire l’injure de penser que tu peux ignorer à quelle sous-altitude se trouvent les gisements de ce métal. Sache qu’on les rencontre à une profondeur approximative, ce qui n’est déjà pas si mal.

Les galeries conçues pour son extradition (dirait Béru) constituent des schémas aléatoires pour la plupart. Ce qui n’est pas fait pour te surprendre.

Nous nous arrêtons devant l’un des filons écumés, vaste cuvette profonde d’une chiée de mètres et large du double. Le faisceau assez dru de ma torche part dans l’excavation, arrachant du néant des madriers, des puits, des découvertes hasardeuses. Partout où je le braque, il révèle un terrain défoncé, épuisé, puis lâchement abandonné à son éternité minérale[13].

Nous délaissons ce cirque qui ne doit rien à Amar ou Gavarni, pour visiter une autre région, elle aussi saignée.

— Tu penses quoi ? me questionne Jéjé.

— Hélas ! réponds-je avec une grande piteusité dans l’inflexion.

— Tâche presque impossible, hé ?

Lui, j’ai remarqué, il emploie fréquemment « hé » pour « hein ».

— De nuit et par deux personnes, ça fait un peu travaux d’Hercule, ajouté-je.

Il reprend :

— Nous ne devons pas nous décourager, mais nous dire que l’uranium caché, si tant est qu’il le soit ici, représente une vingtaine de containers, soit environ dix mètres cubes ! Les gars qui ont perpétré le coup étaient cinq, selon notre estimation. Ils ont dû mouiller la limouille. Malgré leur légitime souci de rendre le butin invisible, ils auront simplifié leur besogne au maximum.

— Et alors ?

— Si j’avais été à leur place, j’aurais choisi un puits profond dans lequel il suffisait de descendre les caissons pour, ensuite, les recouvrir de caillasse.

— Pas con, admets-je.

— Nous savons que le Polak ne l’était guère.

Un regain d’énergie m’envahit.

— En chasse, Blondinet !

Des puits comme en rêve mon all-black, il n’en existe pas des chouchouilleries à la mine. On se cogne une flopée de dédaux[14] avant de s’en convaincre. Mais comme l’obstination porte toujours ses fruits, dirait une marchande des quatre-saisons, nous finissons par en dénicher un d’au moins dix mètres de diamètre dont nous distinguons mal le fond. Je virgule un bloc de rocher dedans, il met une branlée à parvenir à destination.

Ma pomme, ni une ni deute.

— Je vais aller couler un œil, fais-je à mon compagnon.

— Mais si notre ficelle est trop courte ?

— Je te le dirai et tu me hisseras : c’est fort, un nègre !

Il s’arc-boute ; je lance la corde dans les profondeurs, protège les paumes de mes paluches avec les chiffons trouvés dans la tire, et me laisse couler par brèves saccades, freinant des pieds appliqués contre la paroi. La couillance, c’est qu’avec mes deux mains occupées, je ne puis braquer ma loupiote vers le fond afin d’évaluer la distance qui m’en sépare. Cette torche, je la tiens avec mes dents, autant dire qu’elle me sert à nib.

Le gars Vendredi est solide comme un roc. Mais voilà qu’à un certain moment, il demande :

— Qu’est-ce que c’est ?

Sa voix réverbérée[15] par la voûte a des inflexions caverneuses.

— Quoi ? je demande, avec l’étourderie de ce corbeau qui en lâcha son calendos.

Cette monosyllabe m’a trop ouvert la bouche et la lampe valdingue dans les profondeurs.

Elle file droit. Et puis s’immobilise sans cesser de luire.

Là-haut, mon cher auxiliaire reprend :

— Il y a quelqu’un ?

Tout à coup je perçois presque simultanément : un choc et un gémissement. La corde à laquelle je suis suspendu devient molle, puis floue.

Je tombe à la vitesse grand V. Une bouffée d’horreur me saisit.

Ça dure.

Dans un flash éperdu, je revois m’man dans sa cuisine, versant de l’eau chaude sur son café moulu, et aussi Toinet, lequel est maintenant à l’école supérieure de Police, Marie-Marie qui appartient désormais à une existence dont je ne sais rien et à un homme que je n’ai jamais vu et ne voudrai jamais voir.

Et puis c’est une monstrueuse secousse, un éclatement foisonnant d’étincelles. Plus de souffle ! Une mourance aiguë ! Mais des bribes encore de perception. Elles s’anéantissent quand une chose pesante me catapulte.

Bye, les mecs !

25

Il disait, Audiard, le sarcastique des comptoirs, que les individus ne laissent après eux que des odeurs. Tu parles qu’il avait raison, l’homme à la gapette et au sourire écœuré.

Ainsi, une fois de plus, c’est par l’olfactif que je recolle à la vie. Odeur brute, forte, matraqueuse, de moisissure et de caveau.

Deux mains me tâtonnent. Une voix balbutie :

— Tu m’entends, le grand chef indien ? T’es pas nase puisque tu respires. Antoine, pour l’amour du Petit Jésus, essaie de me faire un signe !

Je bande mon énergie et balbutie à mon tour :

— Tu me prends pour Saint-Saëns !

Mais c’est dur à piger en pleine noye, au fond d’une excavation, ce genre de calembour.

— T’es cassé ?

— Une épaule, je crains.

— Laquelle ?

— Je ne sais pas : la souffrance me rend ambidextre…

Je sens qu’il me pince fort la cuisse.

— T’es louf, protesté-je.

— Dieu soit loué ! Tu es sensible à la douleur ! Pour ma part, je m’en suis bien tiré puisque je suis tombé sur toi !

— Que s’est-il produit ?

— Pendant que je te « déshalais », un mec m’a filé un coup de je ne sais quoi derrière la tronche.

— Tu ne l’as pas entendu arriver ?

— Si, mais trop tard. J’ai essayé d’encaisser son parpaing, impossible : un vertigo monstre m’a saisi. J’ai tout lâché et mon bienfaiteur m’a flanqué une bourrade dans le dos pour que je bascule.

Nous nous taisons, les oreilles tendues comme des capteurs de radars. Rien ! Le silence n’est rompu que par le bruit ténu d’une infiltration d’eau quelque part.

À mesure et au fur que le temps s’écoule, je perçois en moi des douleurs nouvelles. M’est avis que j’ai dû déguster sérieusement !

— Une satisfaction dans notre malheur, dis-je.

— Ah oui ? Fais m’en vite part : j’ai besoin de réconfort.

— Nous avions vraisemblablement trouvé la planque de l’uranium.

— Pourquoi ?

— Comment expliquer, sinon, cet amas de bâches qui a amorti ma chute ?

Le prince des ténèbres ramasse ma loupiote miraculée et en promène son faisceau alentour. Les toiles évoquées sont noirâtres, terreuses. Elles ont été empilées à la va-vite l’une sur l’autre, ce qui a fourni une épaisseur salvatrice.

Le grand primate des savanes soupire :

— Je sais que tu as raison, grand : l’uranium était bien ici. Seulement il a été déménagé.

— On n’a pas pu l’emporter très loin, avancé-je. Toujours à cause du poids des caissons. La chiasserie avec ce métal c’est qu’on ne puisse le garder que dans des containers en plomb.

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13

Quand je lis une phrase commak, je me dis que San-A. aurait pu faire écrivain s’il aurait voulu !

Alain Peyrefitte
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14

Pluriel de dédale ?

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15

J’ai toujours eu une dilection pour ce verbe transitif dont j’use davantage à propos des sons que de la lumière ; mais je t’emmerde.