Nuit superbe, avec, à la lisière de la terre et du ciel, un filet mauve prometteur d’aube.
La maison du directeur est éloignée de tout. Le coin idéal pour les galipettes et les coups fourrés.
— Ça a dû être un travail d’Hercule ! fais-je à ma compagne.
Je distingue un pâle sourire contrit sur sa frime d’allègre baiseuse.
— Nous avions le temps, objecte-t-elle doucement.
— Ça vous a pris des mois ?
— Moins, mais enfin nous n’avons pas précipité les choses. On allait chercher un caisson une nuit, puis un autre la nuit d’après, à l’aide d’un camion de la mine muni d’un treuil.
— C’est un des complices du Polonais qui vous avait affranchie sur la planque ?
— Oui, Arturo ; il était fou de moi. Il m’avait annoncé qu’une fois le coup réalisé, ils dissimuleraient l’uranium dans un filon abandonné où personne n’aurait l’idée de le chercher.
— Il prévoyait de s’en emparer ?
— Non : de révéler la cachette moyennant une prime importante. Il disait qu’avec l’argent, il m’emmènerait en Amérique.
— Et puis ?
— Le vol a eu lieu, mais Toutanski a assassiné son équipe immédiatement après.
— Et vous n’avez pas parlé, alors ?
— J’ai craint d’être impliquée dans l’affaire, parce que c’est moi qui avais obtenu la combinaison d’ouverture de l’entrepôt en faisant prendre à mon époux un produit remis par Nautik. Je me suis tue et j’ai attendu. L’histoire a eu un énorme retentissement. L’ancien directeur de la mine s’est même suicidé car il se croyait soupçonné…
— On a en nommé un autre : le cher Klakbitt ?
— En effet.
— À peine arrivée dans ce bled, sa femme l’a quitté et vous êtes rapidement devenue sa maîtresse ?
— Oui. De mon côté, mon mari…
— Je sais.
Elle me mate d’un air dérouté.
— Que savez-vous ?
— Qu’il a la queue comme un chou-fleur. Donc vous avez entretenu des relations compensatoires avec le nouveau boss. Lorsqu’il a été chauffé à blanc, vous lui avez révélé le pot aux roses. Il a sauté sur l’aubaine : les marrons étaient sortis du feu, l’affaire pratiquement oubliée ; ne restait plus qu’à planquer le magot ailleurs et à attendre encore avant de le monnayer.
— Voilà.
— Seulement, mes hommes et moi avons débarqué dans vos plates-bandes, faisant passer tous les feux au rouge. Vous avez eu peur que nous ne gâchions votre rente vieillesse en ayant le nez trop long. Votre vigilance s’est décuplée. L’occasion de nous liquider s’offrit et vous nous avez fait le coup de la descente aux enfers dans le puits. Curieux comme le danger et la cupidité transforment vite de très honorables bourgeois en criminels.
Je me tais.
Et puis une exclamation poussée par Jérémie
— Ça y est !
Il est torse nu, mon très cher. Tu croirais un bronze de Maillol (pas çui des Concerts : le beauf à Claudel). Son rire étincelle dans la pénombre. Il se tient, altier, au bord de la fosse qu’il vient de creuser.
Je m’approche, sans pour autant abandonner la souris.
Dans l’excavation béante, j’aperçois une masse d’un gris argenté.
— Monsieur est servi, déclare le Noirpiot. Je les déterre tous ou l’échantillon de propagande suffit ?
ÉPIGLOTTE
Le jour aux doigts d’or se lève, comme se plaît à dire un équarrisseur de mes relations, récemment primé aux Floralies de Dizimieux-les-Tronches (Isère).
J’ajouterai qu’il est triomphal.
Nous avons passé une nuit dite blanche, mais malgré mes souffrances et mon manque de sommeil, je me sens pareil à un brocheton dans du beurre blanc.
Sa note de bigophone, à Klakbitt, va atteindre des sommets. Seulement, comme il sera au trou, il obtiendra probablement des délais pour la cigler.
Curieux, tout de même, ma réaction. Avant de prévenir mes partenaires anglais du succès de notre mission, j’ai passé trois heures à tubophoner à la presse française. Cocardier, hein, le mec ! J’ai appelé le Figaro, Libé, le Parisien, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Ouest-France, le Progrès de Lyon, L’Ouest républicain, le Provençal, Nice-Matin, le Dauphiné libéré la Montagne de Clermont-Ferrand, plus une beurrée d’autres qui figurent dans mon carnet. J’ai contacté mes potes suisses : la Tribune de Genève, le Journal de Genève, la Liberté de Fribourg, le Matin de Lausanne et puis d’autres, et beaucoup, beaucoup d’autres. M’a fallu écluser deux boutanches d’eau minérale pour parviendre au bout de mon propos.
J’ai alerté les télés, les privées comme les officielles.
Cette rafale expédiée, j’ai demandé l’ambassade de France en Namibie. Le gazier obtenu au bout du fil venait d’arriver en poste et ignorait encore que le patelin s’appelle Namibie depuis 1966. Inutile de le brusquer. J’ai donc tubophoné à mes partenaires du Forage Office, comme l’appelle Alexandre-Benoît. Ils m’ont gratulé de partout !
— Surtout, m’ont-ils supplié, pas un mot à quiconque. Nous allons aviser.
— C’est une excellente idée, les ai-je-t-il approuvés. Que dois-je faire des receleurs d’uranium, c’est-à-dire le directeur de la mine et sa maîtresse ?
Un temps embarrassé.
— Voir et attendre ! s’oblige-t-il de traduire en français.
— Ils ont tenté de nous assassiner cette nuit, fais-je valoir, sans haine excessive.
— Oui, naturellement, dit l’autre, à des milliers de kilomètres. Néanmoins, compte tenu de… des circonstances…
— Certes, rengracié-je. Il y a aussi que l’assistant du chief des Services secrets namibiens a tenté de nous couper l’herbe sous les Pataugas en faisant trucider le principal témoin de l’affaire, une vieille dame dont l’époux était anglais.
Silence prolongé, lourd de morosité. Tu sais que, me jugeant désormais inutile, je lui pompe l’air, à cet Anglo-Normand !
Depuis son burlingue londonien que je suppose meublé d’acajou, le Rosbif se décide enfin :
— Voyez-vous, mon cher directeur, il est préférable de ne rien brusquer. Bien sûr, tous les coupables seront châtiés, mais au moment opportun, vous me comprenez ?
— Pleinement.
— En attendant, laissez l’uranium où il est ; comblez le trou afin que sa cachette reste ignorée jusqu’à ce que les instances supérieures aient arrêté leur décision. Tout cela est tellement grave, vous me comprenez ?
— Parfaitement. En somme, vous n’avez plus besoin de moi ?
— Non, mon cher, et bravo pour votre perspicacité et votre combativité ! Ah ! encore une chose. Puisque notre carte d’accréditation vous est désormais inutile, soyez gentil de nous la retourner.
— Cela va sans dire.
Cling !
Nous voici séparés.
Je souris à l’appareil enfin muet.
— Cette fois, je te conduis au dispensaire ! gronde Jérémie ; t’as une gueule qui ferait gerber un crapaud.
— Il y a plus urgent, réponds-je. Fais loquer le dirluche ; qu’il se munisse de ses papiers. Tu as pris les photos du verger contenant les caissons plombés ?