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— Il existe une autre issue ? demanda-t-il au maître (très provisoire) des lieux. Vous n’êtes pas le genre de renard à n’avoir qu’un trou à son terrier.

Toutanski opina. En homme d’action sachant appréhender avec exactitude les pires circonstances, il jouait sans hésiter la carte Dupont, mettant provisoirement de côté les suspicions qu’elle faisait naître en lui.

— Elle existe, convint-il.

— Où donne-t-elle ?

Il récita :

— Un souterrain part de la cave et va déboucher derrière les garages.

Le mercenaire tira d’une poche un minuscule talkie-walkie qu’il actionna. Après quelques essais infructueux, une voix s’annonça :

— Saint-Simon.

— Nous allons dégager par une issue proche des garages ; il n’y a plus une minute à perdre.

— Bien reçu !

Le dénommé Dupont rempocha son appareil.

— On va risquer le coup ! décida-t-il. Si vous avez quelque chose à prendre, faites vite, à condition que ce ne soit pas encombrant.

Le « libérateur » de l’île lui sourit :

— Je n’ai rien d’autre à emmener que moi-même.

4

Ce système secret d’évacuation était des plus simples. Une porte de fer à la cave, sur laquelle on avait tracé au pochoir « Électricité-Danger ». Un souterrain long d’une centaine de mètres. Une fosse à vidange près des garages… Au fond d’icelle, une autre porte métallique ornée du fameux éclair indiquant que de la haute tension se promenait dans le secteur, et l’on émergeait dans une zone pelée où s’aventuraient des carnassiers sauvages en quête d’un chat ou d’un poulet.

Lorsque les deux hommes débouchèrent, ils aperçurent un 4 × 4 bâché, d’aspect militaire. Le Noir se tenait au volant, flanqué de Gargantua. En découvrant les fugitifs, le colored sauta de son siège et contourna le véhicule pour abaisser la ridelle. Jean Dupont fit signe au Polonais de grimper, et l’ex-homme fort obtempéra sans hésitation ; lui-même en fit autant. Le panneau fut remonté, la toile descendue et le 4 × 4 partit en cahotant à travers la lande.

Plusieurs armes gisaient sur le plancher : des mitraillettes pour la plupart. Dupont les désigna au tyran en fuite.

— Nous n’aurons pas d’autres sauf-conduits si des gens trop zélés veulent nous intercepter.

Toutanski donnait l’impression de ne pas avoir entendu. Il restait sur le qui-vive.

Le 4 × 4 décrivit un vaste arc de cercle, puis se dirigea vers la côte par une sente ravinée. Les armes entrechoquées produisaient un bruit de ferraille. Dupont et son compagnon se heurtaient à tout bout de champ car ils avaient grand mal à maintenir leur équilibre.

— J’ai l’impression que mes camarades ont trouvé une solution concernant votre évacuation, fit le baroudeur.

L’autre s’abstint de tout commentaire. En l’observant du coin de l’œil, le pseudo-Dupont songea à un boa constrictor qui semble somnoler alors qu’il épie sa proie avec acuité. Il devait s’attendre à tout de la part de son « protégé ». En cet instant crucial, l’aventurier dressait un plan. Ce n’était pas le genre d’homme à subir les événements avec passivité. Même démuni, même réduit à l’impuissance, il lui restait des ressources.

Le véhicule bringuebala une vingtaine de minutes encore, puis stoppa un court moment avant d’entreprendre une manœuvre délicate.

Gargantua surgit et dégagea bâche et panneau.

— Si ces m’sieurs-dames voudreraient descende d’ carrosse, proposa-t-il.

— Après vous, Excellence ! dit Jean Dupont.

Son compagnon de voyage se dressa et s’approcha de l’ouverture. Il vit une anse de sable d’or entourée de rochers aux formes tourmentées. Il connaissait l’endroit qu’on appelait « La Crique aux Oiseaux » parce qu’il constituait une véritable réserve ornithologique. À cause des nombreuses espèces qui avaient élu domicile en ce lieu sauvage, il était impossible à quiconque d’y séjourner car, tout comme dans le fameux film d’Hitchcock, les vertébrés tétrapodes piquaient parfois des crises de fureur en présence d’humains et leur fonçaient dessus, becs et ongles sortis. La légende affirmait que ces irascibles bestioles avaient aveuglé un pêcheur, quelques années auparavant, et mutilé un enfant auquel elles avaient arraché les joues et la bouche. Une telle réputation assurait la parfaite solitude de cette plage.

Une sorte de vaste grotte s’ouvrait, servant de refuge à la gent ailée. C’est dans cette affreuse caverne que le conducteur venait de planquer le 4 × 4 ; il allait falloir beaucoup de temps et de hasards pour qu’il y soit repéré.

Sitôt que les passagers furent sortis du véhicule, un nuage criard s’abattit sur eux. Les quatre hommes s’en protégèrent tant bien que mal en se groupant et en tendant une toile au-dessus de leurs têtes. Mais les cris, les stridences des hôtes de la côte emplissaient leurs crânes d’une clameur insoutenable.

À quatre cents mètres du rivage (soit deux encablures), un superbe yacht se trouvait au mouillage, qui battait pavillon italien. Un gros Zodiac dodu, équipé d’un moteur Evinrude venait de quitter le bord et fonçait en direction de l’anse où se tenaient Toutanski et ses miliciens.

— Je croyais que vous vouliez me faire quitter l’île par avion ? ironisa le dictateur en cavale.

— Mes compagnons m’ont prévenu qu’un autre mode de fuite s’offrait, répondit Dupont Jean sans s’émouvoir.

— Et le yachtman à qui appartient ce beau bateau est d’accord pour nous embarquer ?

— J’ai cru comprendre qu’il n’était pas à bord et aurait regagné l’Europe par la voie des airs.

Ils cessèrent de parler car le pilote coupait les gaz et venait s’échouer sur la plage. Les deux hommes avaient le plus grand mal à se protéger des oiseaux qui, déjà, les assaillaient en émettant des couinements sinistres.

— Avanti ! lança un marin.

Ils s’avancèrent, pataugeant dans l’écume grise ourlant la plage. Le matelot repoussa le canot pneumatique en direction du flot et fit signe aux fuyards d’embarquer. Le nommé Gargantua eut de la peine à se hisser. On dut l’aider. Pendant l’opération, son pantalon se fendit et son énorme cul aux poils drus et frisés apparut en majesté.

À mesure qu’ils s’éloignaient de la rive, les rapaces devenaient moins belliqueux, beaucoup retournaient à l’île. Ils avaient à peu près tous lâché prise quand le Zodiac accosta au bâtiment.

Les mercenaires et leur chef gravirent l’échelle de coupée et prirent place à bord. Le yacht s’appelait le Doge Noir et étalait un luxe raffiné. Son propriétaire devait brasser de grosses affaires pour se permettre un tel navire de plaisance.

Le commandant les accueillit d’un air maussade. Il les salua d’un bref geste de la main.

— Angelo Arrighi, se présenta-t-il ; on va vous conduire à vos cabines.

Il n’attendit pas que les arrivants se présentassent et tourna les talons.

Ils durent se partager deux cabines à doubles couchettes. Sydney Poitier et Gargantua en occupèrent une tandis que l’ex-dictateur s’installa dans la seconde avec Dupont.

— J’espère que cette promiscuité ne vous sera pas trop pénible, fit ce dernier. Un homme d’action de votre trempe doit se plier à ce genre de cohabitation. Je m’efforcerai de vous la rendre aussi légère que possible.