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– Formidable, dit Marc, soupçonneux. Et comment t'es-tu procuré ces clefs?

Vandoosler poussa un soupir.

– Je vois, dit Marc. Tu as forcé sa porte pendant son absence. Tu vas nous attirer des emmerdements.

– Tu as bien piqué le lièvre, l'autre jour, répondit Vandoosler. On a du mal à perdre ses habitudes. Je voulais voir. J'ai cherché un peu de tout. Des lettres, des relevés de compte, des clefs… Il est prudent ce Relivaux. Pas de papier compromettant chez lui.

– Comment as-tu fait pour les clefs?

– Au plus simple. Derrière le tome C du Grand Larousse du XIXe siècle. Une merveille, ce dictionnaire. Qu'il ait planqué les clefs ne l'accuse pas, ceci dit. C'est peut-être un trouillard et cela lui aura paru plus simple de dire qu'il n'avait jamais eu de double.

– Pourquoi ne pas les jeter alors?

– Dans ces moments troublés, il peut être utile de pouvoir disposer d'une voiture dont on n'a soi-disant pas les clefs. Quant à sa propre voiture, elle a été examinée. Rien à dire.

– Sa maîtresse?

– Pas très résistante aux attaques de Leguennec. Saint Luc s'est trompé dans son diagnostic. Cette fille ne se contente pas de Pierre Relivaux, elle l'utilise. Il sert à les faire vivre, elle et son amant de cœur qui ne voit aucun inconvénient à s'éclipser quand Relivaux vient prendre son samedi-dimanche. Cet imbécile de Relivaux ne se doute de rien, d'après la fille. Il est arrivé que les deux hommes se rencontrent. Il croit que c'est son frère. Selon elle, la situation lui convenait ainsi et en effet, je vois mal ce qu'elle gagnerait à un mariage qui la priverait de sa liberté. Et je ne vois pas Relivaux y gagner de son côté quoi que ce soit. Sophia Siméonidis était une femme bien plus valorisante pour lui dans les sphères sociales qu'il ambitionne. J'ai poussé quand même à la roue. J'ai suggéré que la fille, Elizabeth – c'est son nom -, pouvait mentir sur toute la ligne et désirer profiter de tous les avantages d'un Relivaux débarrassé de sa femme et riche. Elle aurait pu réussir à l'épouser, elle le tient depuis six ans, elle n'est pas mal et bien plus jeune que lui.

– Et tes autres suspects?

– J'ai bien entendu chargé la belle-mère de Sophia et son fils. Ils se soutiennent l'un l'autre pour la nuit de Maisons-Alfort mais rien n'empêche de penser que l'un d'eux ait pu faire la route. Ce n'est pas loin, Dour-dan. Moins loin que Lyon.

– Ça ne nous fait pas la demi-douzaine, dit Marc. Qui d'autre as-tu lancé dans les pattes de Leguennec?

– Eh bien, Saint Luc, Saint Matthieu et toi. Ça l'occupera.

Marc se dressa d'un bond tandis que Lucien souriait.

– Nous? Mais tu es dingue!

– Tu veux aider la petite, oui ou merde?

– C'est merde! Et ça n'aidera pas Alexandra! Comment veux-tu que Leguennec nous soupçonne?

– Très facile, intervint Lucien. Voilà trois hommes de trente-cinq ans à la dérive dans une baraque chaotique. Bien. Autant dire des voisins peu recommanda-bles. L'un de ces trois types a emmené la dame en promenade, l'a violée avec sauvagerie et l'a tuée pour qu'elle se taise.

– Et la carte qu'elle a reçue? cria Marc. La carte avec l'étoile et le rendez-vous? C'est nous peut-être?

– Ça complique un peu les choses, admit Lucien. Disons que la dame nous aura parlé de ce Stelyos et de la carte reçue il y a trois mois. Pour nous expliquer ses craintes, pour nous décider à piocher. Car n'oublie pas qu'on a pioché.

– Tu peux être sûr que je ne l'oublie pas, cette saleté d'arbre!

– Donc, continua Lucien, afin d'attirer la dame hors de chez elle, l'un de nous utilise cette ruse grossière, intercepte la dame gare de Lyon, l'emmène ailleurs et le drame commence.

– Mais Sophia ne nous a jamais parlé de Stelyos!

– Qu'est-ce que tu veux que ça foute à la police? Nous n'avons que notre parole et ça ne compte guère quand on est dans la merde.

– Parfait, dit Marc, tremblant de rage. Parfait. Le parrain a décidément des idées formidables. Et lui? Pourquoi pas lui? Avec son passé et ses aventures fli-cardières et sexuelles plus ou moins glorieuses, il ne détonnerait pas dans le tableau. Qu'en penses-tu, commissaire?

Vandoosler haussa les épaules.

– Figure-toi que ce n'est pas à soixante-huit ans qu'on se décide à violer les femmes. Ça se serait fait avant. Tous les flics savent ça. Tandis qu'avec des hommes de trente-cinq ans solitaires et à moitié cinglés, on peut tout craindre.

Lucien éclata de rire.

– Épatant, dit-il. Vous êtes épatant, commissaire. Votre suggestion à Leguennec m'amuse infiniment.

– Pas moi, dit Marc.

– Parce que tu es un pur, dit Lucien en lui tapant sur l'épaule. Tu ne supportes pas qu'on brouille un peu ton image. Mais mon pauvre ami, ton image n'a rien à voir là-dedans. Ce sont les cartes qu'on brouille. Leguennec ne peut rien contre nous. Seulement, le temps qu'il contrôle un peu nos extractions, nos cheminements et nos exploits respectifs, ça fait gagner une journée et ça mobilise deux sous-fifres pour rien. Toujours ça de pris à l'ennemi!

– Je trouve ça crétin.

– Mais non. Je suis sûr que ça fera beaucoup rire Mathias. Hein, Mathias?

Mathias eut un petit sourire.

– Moi, dit-il, ça m'est complètement égal.

– D'être emmerdé par les flics, soupçonné d'avoir violé Sophia, ça t'est complètement égal? demanda Marc.

– Et après? Moi, je sais que je ne violerai jamais une femme. Alors, ce que les autres en pensent, je m'en fous, puisque moi je sais.

Marc soupira.

– Le chasseur-cueilleur est un sage, proféra Lucien. Et de plus, depuis qu'il travaille dans le tonneau, il commence à savoir y faire en cuisine. N'étant ni pur, ni sage, je propose de bouffer.

– Bouffer, tu ne parles que de ça et de la Grande Guerre, dit Marc.

– Bouffons, dit Vandoosler.

II passa derrière Marc et lui serra rapidement l'épaule. Sa manière de lui serrer l'épaule, toujours la même depuis qu'il était gosse et qu'ils s'engueulaient. Sa manière qui voulait dire «ne t'inquiète pas, jeune Vandoosler, je ne fais rien contre toi, ne t'énerve pas, tu t'énerves trop, ne t'inquiète pas». Marc sentit sa colère l'abandonner. Alexandra n'était toujours pas inculpée, et c'est à cela que veillait le vieux depuis quatre jours. Marc lui jeta un regard. Armand Vandoosler s'asseyait à table, l'air de rien. Sac à merde, sac à merveilles. Difficile de s'y retrouver. Mais c'était son oncle et Marc, tout en criant, lui faisait confiance. Pour certaines choses.

24

Malgré tout, quand Vandoosler entra dans sa chambre suivi de Leguennec le lendemain à huit heures du matin, Marc fut pris de panique.

– C'est l'heure, lui dit Vandoosler. Je dois filer avec Leguennec. Tu n'as qu'à faire comme hier, ça ira très bien.

Vandoosler disparut aussitôt. Marc resta hébété dans son lit, avec l'impression d'avoir échappé de justesse à une inculpation. Mais jamais le parrain n'avait été chargé de le réveiller. Il devenait cinglé, Vandoosler le Vieux. Non, ce n'était pas ça. Pressé d'accompagner Leguennec, il lui avait signifié de reprendre la surveillance en son absence. Le parrain ne tenait pas Leguennec au courant de toutes ses combines. Marc se leva, passa sous la douche et descendit au réfectoire du rez-de-chaussée. Déjà debout depuis on ne sait quelle heure, Mathias rangeait des bûches dans la caisse à bois. Il n'y avait vraiment que lui pour se lever à l'aube alors que personne ne le lui demandait. Abruti, Marc se fit un café serré.

– Tu sais pourquoi Leguennec est venu? lui demanda Marc.

– Parce qu'on n'a pas le téléphone, dit Mathias. Ça l'oblige à se déranger chaque fois qu'il veut parler à ton oncle.