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– Ça, je l'ai compris. Mais pourquoi si tôt? Il t'a dit quelque chose?

– Rien du tout, dit Mathias. Il avait la tête du Breton préoccupé par l'annonce d'un coup de vent mais je suppose qu'il est souvent comme ça, même sans coup de vent. Il m'a fait un petit signe de la tête et a filé dans l'escalier. J'ai cru l'entendre râler contre cette baraque sans téléphone et à quatre étages. C'est tout.

– Il va falloir attendre, dit Marc. Et moi, il faut que je reprenne mon poste à la fenêtre. Pas de quoi se marrer. Je ne sais pas ce qu'il espère, le vieux. Des femmes, des hommes, des parapluies, le facteur, le gros Georges Gosselin, c'est tout ce que je vois passer.

– Et Alexandra, dit Mathias.

– Tu la trouves comment? demanda Marc, hésitant.

– Adorable, dit Mathias.

Satisfait et jaloux, Marc posa sur un plateau sa tasse et deux tranches de pain coupées par Mathias, monta le tout jusqu'au second étage et tira un tabouret haut jusqu'à la fenêtre. Au moins ne serait-il pas debout toute la journée.

Ce matin, il ne pleuvait pas. Une lumière de juin très correcte. Avec de la chance, il pourrait voir à temps Lex sortir pour conduire son fils à l'école. Oui, juste à temps. Elle passa, la démarche un peu endormie, tenant par la main Cyrille qui avait l'air de lui raconter des tas d'histoires. Comme hier, elle ne leva pas la tête vers la baraque. Et, comme hier, Marc se demanda pourquoi elle l'aurait fait. D'ailleurs c'était mieux ainsi. Si elle l'avait aperçu posté immobile sur un tabouret en train de bouffer du pain beurré en regardant la rue, cela n'aurait sans doute pas été à son avantage. Marc ne repéra pas la voiture de Pierre Reli-vaux. Il avait dû partir tôt ce matin. Honnête travailleur ou assassin? Le parrain avait dit que l'assassin était un tueur. Un tueur, c'est quand même autre chose, moins minable et bien plus dangereux. Ça fout plus la trouille. Marc ne trouvait pas à Relivaux l'étoffe d'un tueur et il n'en avait pas peur. Tiens, Mathias, en revanche, aurait été parfait. Grand, vaste, solide, imperturbable, homme des bois, idées silencieuses et parfois saugrenues, fin connaisseur d'opéra sans qu'on s'en doute. Oui, Mathias aurait été parfait.

De petite pensée en petite pensée, il fut neuf heures et demie. Mathias entra pour lui rendre sa gomme. Marc lui dit qu'il le verrait très bien en tueur et Mathias haussa les épaules.

– Ça marche, ta surveillance?

– Zéro, dit Marc. Le vieux est cinglé et moi j'obéis à sa folie. Ça doit être de famille.

– Si jamais ça dure, dit Mathias, je te monterai un déjeuner avant de partir au Tonneau.

Mathias ferma doucement la porte et Marc l'entendit s'installer à son bureau à l'étage en dessous. Il changea de position sur son tabouret. Il lui faudrait prévoir un coussin pour l'avenir. Il s'imagina un instant bloqué pour des années devant sa fenêtre, installé dans un fauteuil spécial, capitonné pour l'attente inutile, avec Mathias comme seul visiteur avec des plateaux. La femme de ménage de Relivaux entra avec sa clef à dix heures. Marc reprit le tortillon de ses petites pensées. Cyrille avait le teint mat, les cheveux qui bouclaient, le corps rond. Peut-être le père était-il gros et rnoche, pourquoi pas? Merde. Qu'est-ce qu'il avait à penser toujours à ce type? Il secoua la tête, regarda à nouveau vers le front Ouest. Le jeune hêtre était flo rissant. L'arbre était content qu'on soit en juin. Marc n'arrivait pas non plus à oublier cet arbre et il semblait bien être le seul dans son cas. Encore qu'il avait vu Mathias s'arrêter l'autre jour devant la grille de Relivaux et regarder de côté. Il lui avait semblé qu'il observait l'arbre, ou plutôt le pied de l'arbre. Pourquoi Mathias expliquait-il si peu ce qu'il faisait? Mathias savait sur la carrière de Sophia des quantités de choses inouïes. Il savait qni elle était quand elle était venue les voir la première fois. Ce type savait des tas de trucs et il ne les disait jamais. Marc se promit, dès que Van-doosler lui laisserait" quitter son tabouret, d'aller un jour rôder près de l'arbre. Comme l'avait fait Sophia.

Il vit passer une dame. Il nota: «10 h 20: une dame affairée passe avec son panier à provisions. Qu'y a-t-il dans le panier?» II avait décidé de noter tout ce qu'il voyait pour moins s'emmerder. Il reprit sa feuille et ajouta: «En fait, ce n'est pas un panier, c'est ce qu'on appelle un cabas. "Cabas" est un drôle de mot, qui n'est plus réservé qu'aux vieilles gens et à la province. Voir son étymologie.» Cette idée de rechercher l'étymologie du mot «cabas» réveilla un peu son énergie. Cinq minutes plus tard, il reprit sa feuille. C'était une matinée très agitée. Il nota: «10 h 25: un type efflanqué sonne chez Relivaux.» Marc se redressa brusquement. C'était vrai, un type efflanqué sonnait chez Relivaux, un type qui n'était ni le facteur, ni le releveur de l'E.D.F. ni un gars du coin.

Marc se leva, ouvrit sa fenêtre et se pencha. Beaucoup d'énervement pour pas grand-chose. Mais à force que Vandoosler attache tant d'importance à cette surveillance de la crotte de pigeon, Marc se sentait gagné à son insu par l'importance de sa mission de guetteur et commençait à confondre crotte de pigeon et pépite d'or. Ce qui fait que ce matin, il avait piqué chez Mathias des jumelles de spectacle. Preuve que Mathias avait dû aller sérieusement à l'Opéra. Il ajusta ses petites jumelles et scruta. C'était un type, donc. Avec une sacoche de professeur, un pardessus clair et propre, des cheveux rares, une silhouette de long maigre. La femme de ménage lui ouvrit et, aux mouvements qu'elle faisait, Marc comprit qu'elle disait que mon-sieur n'était pas là, qu'il faudrait revenir une autre fois. Le type efflanqué insistait. La femme de ménage reprit ses dénégations et accepta la carte que le type avait sortie de sa poche et sur laquelle il avait griffonné quelque chose. Elle ferma la porte. Bon. Un visiteur pour Pierre Relivaux. Aller voir la femme de ménage? Demander à lire la carte de visite? Marc écrivit quel-ques notes sur sa feuille. En relevant les yeux, il vit que le type n'était pas parti, qu'il faisait du surplace devant la grille, indécis, déçu, réfléchi. Et s'il était venu pour Sophia? Finalement, il repartit en balançant sa sacoche. Marc se leva d'un bond, dévala l'escalier, cou-rut jusqu'à la rue où il rattrapa le type maigre en quelques foulées. Depuis le temps qu'il se figeait à sa fenêtre, il n'allait pas laisser échapper le premier événement dérisoire qui lui tombait du ciel.

– Je suis son voisin, dit Marc. Je vous ai vu sonner. Est-ce que je peux être utile?

Marc était essoufflé, il tenait toujours à la main son stylo. Le type le regarda avec intérêt, et même, sembla-t-il à Marc, avec un certain espoir.

– Je vous remercie, dit le type, je voulais voir Pierre Relivaux, mais il n'est pas là.

– Repassez ce soir, dit Marc. Il rentre vers six ou sept heures.

– Non, dit le type, sa femme de ménage m'a dit qu'il était parti en déplacement pour quelques jours et qu'elle ne savait pas où, ni quand il rentrerait. Peut-être vendredi, ou samedi. Elle ne peut pas dire. Cela m'ennuie beaucoup, je viens de Genève.

– Si vous voulez, dit Marc, anxieux à l'idée de voir disparaître son événement dérisoire, je peux tâcher de me renseigner. Je suis sûr d'obtenir l'information très vite.

Le type hésita. Il avait l'air de se demander ce que Marc venait faire dans ses affaires.

– Avez-vous une carte de téléphone? demanda Marc.

Le type hocha la tête et le suivit sans réelle résistance jusqu'à une cabine au coin de la rue.

– C'est que je n'ai pas le téléphone, expliqua Marc. – Ah bon, dit le type.

Une fois dans la cabine, surveillant l'efflanqué d'un œil, Marc demanda les renseignements et le numéro d'appel du commissariat du 13e arrondissement. Coup de chance, ce stylo. Il nota le numéro sur sa main et appela Leguennec.

– Passez-moi mon oncle, inspecteur, c'est urgent. Marc pensait que le mot «urgent» était un terme