— Bon, tendez voir un peu vos poignets qu’on procède par ordre ! me dit le gros en arrachant une paire de menottes de sa ceinture aussi abondamment pourvue que le B.H.V.
Il tenait toujours son flingue, mais il se servait néanmoins de sa main pour décroiser les poucettes. Je n’aurais sûrement pas dû le faire, mais je le fis. Un coup de pompe inouï dans ses couilles perdues tout là-bas sous l’auvent de son baquet. Fallait shooter loin. J’atteignis mon objectif. Ses burnes, ça devait faire quelques décennies qu’il avait rompu toutes relations avec elles, le diplodocus étoilé. Il se rappelait seulement plus leur existence. Mais je venais de les lui remettre en mémoire. Il poussa un rugissement épouvantable, rien de commun avec ses rots précédents, et puis tomba à genoux, prit appui sur ses mains, n’empêche que sa bedaine traînait malgré tout sur le plancher.
Fallait finir le boulot commencé. Je ramassai son arme et lui administrai un coup de crosse très sec, là où se trouve la glande de l’endormissement. Et pouf ! il s’étala. Enfin, c’était une image. On ne peut guère « s’étaler » quand on fait trois mètres de tour de taille. Disons qu’il fut out.
Je me pris à part et me dis : « Bon merde alors, t’es pas parti pour la gloire, Antoine. Si quelqu’un aurait dû rester devant son Dubonnet, c’est bien toi ! »
Je nageais dans le saignant, dans l’irréparable. On allait m’embastiller à vie, peut-être même me fourrer dans la chambre à gaz. Le moyen de me disculper après un tapin pareil ? J’avais vergé la vioque et estourbi un shérif, le moyen, après ça, de plaider non coupable ? D’alléguer candidement que je n’avais pas fracassé la tronche à Mémère ? J’aurais eu son téléphone, comment que j’aurais passé un coup de grelot à la jolie Teissier, lui demander quelle suite elle lisait dans mon thème astral. Je thème, un pneu, boy-scout, à la folie, pas du tout !
Chié ! chié ! chié !
Je m’aperçus dans une glace fixée au mur. Ma gueule était presque complètement verte pour arranger le topo. Un vrai Martien débarqué de sa soucoupe ! Que fiche, que faire ? Si au moins le type au smoking, Duck, était là… Quoique c’était probablement lui qui m’avait plongé dans la panade…
Alors ?
Alors rien.
L’appareil du shérif se remit à grésiller pire qu’avant. Il avait dû se débloquer dans sa chute. Ce bruit me fit réagir. Fallait que je me fasse un petit cadeau, que je m’emporte ailleurs, m’emmène promener…
Je sortis sans me presser. Après avoir ramassé le bada du gros lard, je m’en coiffis. Il m’arrivait aux épaules. Avec ce machin-là sur la tronche, je devais avoir l’air d’un champignon.
Et pas d’un comestible, crois-moi !
FAIS-MOI L’OUTLAW
Tout en pilotant, je me rappelais avec émotion ces paroles de la comtesse de Ségur, extraites me semble-t-il des Malheurs de Sophie à moins que ce soit du Général Duracuir : « Quand tu te penches sur la rivière et que tu te vois deux paires de couilles, n’en tire pas un orgueil trop hâtif, cela signifie simplement que tu es en train de te faire sodomiser ». Comme c’était bien vrai ! Pétri de bon sens. Comme cela dénotait un sens aigu de l’observation ! Ah ! chère irremplaçable comtesse, comme elle aurait fait merveille dans la littérature grivoise, avec ses petites filles mouillées aux culottes modèles et ses généraux peloteurs !
Mais moi, franchement, au volant de la voiture de police, je ne me sentais pas deux paires de claouis. A vrai dire, je me demandais s’il me restait seulement une burne !
Je roulais mollo, m’efforçant de maintenir le bitos de Gros Bide au niveau de mes sourcils. Quelle autre voiture eusses-tu voulu que je prisse ? La mienne ne se trouvait plus au parkinge. J’étais donc monté dans la sienne, dont la portière était restée ouverte, ce qui ressemblait à une invite.
Mon but ?
Je n’en avais pas.
Tout partait en sucette, tournait au vinaigre (ou au vit nègre). Je m’étais laissé rouler de première. La méchante introduction du finger dans le backside !
Aller où ?
Faire quoi ?
Fuir ? Mais comment ?
Trouver refuge chez qui ?
J’allais avoir aux miches une jolie accusation de meurtre et de voies de fait sur la personne d’un magistrat. Les bourdilles texans allaient se lancer à mes chausses, et s’ils ne suffisaient pas, les fédés entreraient dans la danse !
Pour l’instant je roulais sur San Antonio (sans trait d’union), un comble ! San-Antonio traqué dans San Antonio : plaisant.
A un carrefour, y avait un méchant accident : deux tires venaient de se praliner et avaient raccourci d’un bon mètre chacune. Un gus gisait sur l’asphalte. Des gens m’ont adressé de grands signes. J’ai fait du slaloom à travers la foule et les épaves et j’ai mis la sauce pour me tailler de cette zone épineuse. Dans mon rétro (vade satanas) j’apercevais des hommes trépigneurs qui me criaient des insultes.
Bon, fallait pas trop lambiner au volant de cette tire. J’ai bombé comme un perdu. Soudain, une autre tire de police a débouché, face à moi, sirène hurlante. J’ai fait un signe de courtoisie à tout hasard.
Elle a continué, mais le poste émetteur-récepteur fixé à bord de ma chignole s’est mis à aboyer :
— Faites demi-tour, Steven ! Portez-vous immédiatement à l’intersection de la nationale 19 et de…
— O.K. ! ai-je nasillé.
J’ai ralenti et fait semblant de manœuvrer. Les collègues disparurent. Alors je remis tout le jus que cette carne de tire américaine avait dans le bide ! Ces tas de ferraille m’ont toujours flanqué la colique. Moi j’aime la bagnole de race : italoche ou anglaise.
J’avais à peine parcouru deux miles que l’appareil reprit la parole :
— Bon Dieu, qu’est-ce que vous foutez, Steven !
— Je viens de crever ! ai-je lâché en mettant ma main devant ma bouche et en me pinçant le nez pour faire plus ressemblant.
J’ai reçu un mot qui devait être du genre malédicteur, mais mon américain était trop superficiel pour que je puisse le traduire.
Dix minutes plus tard, j’atteignis San Antonio. Ça commençait par une grand-route bordée de motels et de stations d’essence ; et puis la route devenait rue. Ça se mettait à pousser, les gratte-ciel, et les gens à grouiller. La circulation devenait dense. J’ai repéré un chantier en construction mal éclairé. Des grues, des bétonnières l’encombraient.
J’y suis entré délibérément, j’ai stoppé derrière un gros engin jaune, ôté mon chapeau-parasol et je suis descendu de l’auto.
Je me suis alors trouvé nez à nez avec un mec basané qui tenait une torche électrique d’une main et un flingue de l’autre. Il avait le type mexicano, le gonzier.
— Hello ! je lui ai dit.
C’était le gardien du chantier.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? il m’a demandé, indécis.
Il associait mal mes fringues civiles et l’auto de police.
La plus piètre des ruses m’a suffi.
— Regardez, ce que ça veut dire, ai-je fait en montrant quelque chose derrière lui.
Il s’est retourné. D’une seule manchette je lui ai fait mordre la poussière. Mon cas s’aggravait vilain ! Non, sincèrement, c’était pas un bon jour.
J’ai filé en vitesse avant qu’il n’ait récupéré de sa châtaigne. La nuit était plus lourde qu’une bite d’éléphant en rut. J’écrasais plein de vilains insectes en foulant le trottoir. Ils éclataient sous mes semelles comme des coquilles de noix.