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Ils partirent. Personne ne me fit la moindre réflexion. Les punks m’avaient presque oublié. Je sortis en douce un verdâtre de cinquante pions et le brandis en annonçant que j’offrais une tournée générale. Ça ne les excita pas outre mesure. Le billet demeura sur le sol. Je n’osais plus le reprendre. Ce fut ma compagne qui finit par le griffer, beaucoup plus tard. Elle me proposa de me faire une pipe. Je lui répondis que j’avais déjà donné. Alors elle m’offrit un reste de joint. Et pour ne pas la désobliger j’en tirai deux bouffées de politesse.

* * *

Je passis deux jours avec mes potes à crinières. Ils me toléraient comme un cul tolère le thermomètre : provisoirement. Personne ne me parla en dehors de Patti, ma copine maquilleuse. Ils avaient pigé que j’étais traqué et m’accordaient aide et assistance, mais sans me témoigner la moindre sympathie. Ma qualité d’outlaw ne les épatait pas. Le soir, en compagnie de la gosse, j’allai acheter de la bectance et de la bière. Nous posâmes les provisions au milieu du cercle et prîmes ce qui nous convenait ; d’autres en firent autant.

Ça fumait beaucoup dans la coterie et ça baisouillait à tout propos, sans pudeur. Un gus avait envie de se faire une sœur, il lui ouvrait les jambes et s’agenouillait entre, tranquillos. Il se paluchait un chouïa avant de plonger. Parfois, c’était l’une des péteusses qui faisait la visite des braguettes, à la recherche d’un paf de bonne volonté. Sympa. La vie coulait sans secousses.

Cela, je te le répète, dura toute la journée du lendemain, puis encore celle du surlendemain. La fine équipe continuait de camper dans les ruines de l’entrepôt. La nuit, de vilaines bestioles faisaient du cross-country sur nous. Les autres, sniffés à bloc, ne réagissaient pas et j’étais le seul à chasser à courre. Comme la môme Patti s’en ressentait pour ma pomme, je finis, la seconde nuit, par lui accorder ce que sa gourmandise l’incitait à me réclamer. C’était la moindre des choses (pas la chose en question, mais de lui en autoriser l’accès).

Bon, une dernière fois je te le dis : je vécus quarante-huit plombes parmi ces zigotos.

Ce fut à la fin de la seconde journée que l’événement se produisit.

A la lisière du terrain vague, une bagnole blanche stoppa. Un homme grand et massif, avec les cheveux blancs, en descendit. Il portait un smoking noir. Sa démarche était calme et élastique à la fois. Il s’avança vers nous, s’arrêta à mi-chemin pour allumer un cigare. Il m’expliqua par la suite qu’il était très sensible aux odeurs et que c’était pour pouvoir affronter celle des punks qu’il s’était mis à fumer un havane avant de venir au groupe.

Il prit tout son temps, roulant le Davidoff Number One entre ses doigts pendant qu’il le présentait à la flamme de son allumette. Il le téta à plusieurs reprises, s’enveloppa de sa fumée comme d’une cape (c’est d’ail-leurs le nom de la robe du cigare) et continua d’avancer.

Il ne chercha pas et vint à moi sans la moindre hésitation.

— Salut, San-Antonio, me dit-il. Je crois que ça suffit comme ça. Venez !

Je me levai et le suivis.

Bon Dieu, pourquoi montrais-je une telle docilité avec cet homme ? Cela devait venir de son regard clair, intense, et sûrement aussi de sa voix douce et profonde. Il détenait peut-être un certain pouvoir hypnotique, après tout ?

Les punks ne s’intéressèrent pas davantage à mon départ qu’ils ne s’étaient passionnés pour ma venue.

Seule Patti me lança :

— Hé ! tu vas revenir ?

Je fis, sans me retourner, un geste vague qu’elle pouvait interpréter à sa guise. Les séparations constituent une des chieries de l’existence et quand on peut les éluder, il ne faut pas s’en priver.

Duck marchait sans forcer l’allure, mais ses enjambées étaient si grandes et régulières qu’il ne tarda pas à me distancer.

Il parvint le premier à la bagnole blanche, une Mercedes, et prit place à l’arrière. Lorsque je le rejoignis, il me fit signe de monter près de lui. Au volant se tenait une ravissante fille blonde, vêtue d’une combinaison noire et coiffée d’un béret style para d’opérette. Quand je fus installé auprès de Duck, elle mit en route. Elle devait savoir où aller car elle démarra sans attendre d’instructions.

Il y eut une période de silence. Duck laissait le cigare se consumer entre ses doigts en fourche. Lorsque sa cendre mesura cinq centimètres, il la secoua dans le cendrier. Puis il se le colla dans la bouche et se mit à parler, comme si d’avoir la clape encombrée déclenchait son élocution :

— Beau début, San-Antonio.

— Vous trouvez ?

— Le Big trouve. Vous avez franchi les premiers tests avec succès. Vous vous êtes tapé deux bouteilles de rye et une vieille peau. Tous les flics d’un Etat ne vous font pas peur. Vous êtes capable de vivre avec des cancrelats, de neutraliser qui se met en travers de votre route, de ne pas paniquer quand vous êtes malade avec la gueule verdâtre… C’est positif. Très positif.

— Seulement à présent, me voilà hors la loi avec des chiées d’inculpations qui la foutent mal !

— Non.

— Comment, non ?

— Quand on est dans la manche du B.B., ces bricoles ne comptent pas.

Il abaissa sa vitre de quelques centimètres et balança son cigare à peine entamé sur la chaussée.

— Le Big veut vous rencontrer, déclara Duck ; vous allez probablement vous lancer dans le sérieux.

Je rêvassais en considérant ma gueule peinte en calendrier des postes dans le rétroviseur. La conductrice ne faisait pas attention à moi. Nonobstant les flics, personne à vrai dire ne paraissait fasciné par ma personne.

— Qui a buté Herminia ? demandai-je tout à trac.

— Un de nos spécialistes en effets spéciaux.

— Ça signifie quoi, qu’elle n’est pas morte ?

Il haussa les épaules.

— Ne commencez pas à gaspiller votre capital crédit, San-Antonio. Au B.B., quand on pose des questions, c’est pour se faire préciser les ordres.

FAIS-MOI LE DEVIN

Nous arrivèrent sur un héliport où plusieurs appareils de modèles variés étaient posés telles des libellules sur une feuille de nénuphar. La voiture se rangea devant un club-house pimpant.

— Allez faire un peu de toilette, conseilla Duck. Dans le coffre il y a un grand sac avec des vêtements neufs ; prenez-le ! Je vais vous attendre à la cantine en mangeant un steak.

La conductrice m’ouvrit la malle arrière et me pilota en direction de la partie « sanitaire » du club. Outre les toilettes, elle était équipée d’un vestiaire avec salle de bains attenante.

Je m’offris une douche prolongée, très chaude d’abord et mousseuse à souhait car j’avais de la peinture et pas mal de crasse à décaper. Je m’en offris une deuxième, froide celle-là, pour me fouetter le sang. Après quoi, j’inventoriai le sac. Il contenait un ensemble pantalon de flanelle grise, blazer écossais dans les vert et noir, une chemise blanche à col ouvert, des chaussettes et des mocassins souples. Le tout m’allait poil-poil. Je transvasai fric et papiers de mes anciennes loques dans ma tenue fashionable, puis allai me planter devant la grande glace. Brummell ! J’en jetais comme un projo de défense antiaérienne. Il ne restait plus trace de mon teint de grenouille. Jamais je n’avais été à ce point rutilant. Pour un peu, je serais entré dans un bureau de tabac pour y acheter une pochette de papier correspondance afin de m’écrire séance tenante une lettre d’amour. Franchement, je me trouvis superbe.

En quittant le vestiaire, je tombis sur la conductrice de Duck qui m’attendait en fumant une cigarette, ses jolies fesses bloquées contre le lavabo.