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Sentant qu’il faut pas exagérer, je retire ma pattoune en me confondant. Je balance des « merci » dans toutes les langues comestibles de la planète. Et puis je me relève, oui, ça va beaucoup mieux. Elle m’a sauvé de l’entorse, et qui sait : de la gangrène peut-être ? Bien qu’on soit en extérieur, je lui fais un baisemain. Elle roucoule, cool, la vieille colombe.

Santonio s’éloigne en boquillant, certain d’être le taureau sur qui la vache attache un long regard. Premier point marqué !

Le premier jour !

Si Duck est informé de la performance, il sera content de moi.

* * *

Au dîner, je la revois à la salle à manger. Elle est toujours accompagnée de ses deux duègnes, mon Ophélie d’une tonne. Elle s’est fringuée princesse : robe mauve de Valentine, avec dentelle dégoulinante comme des rameaux de lierre arrachés du mur qui les portait. On dirait une poupée russe, avec ses joues vermillonnées, sa bouche couleur de coquelicot, sa taille ovoïde. Tu la dévisserais, Ninette, t’en découvrirais une demi-douzaine d’autres gigognées dans sa bedaine.

Moi, dandy suprême, en alpaga bleu, je me pointe à une encablure de sa table et lui adresse un salut déférent. Pas oublier de claudiquer. Je gagne la mienne en écrivant quatre et deux, six, avec ma démarche. M’installe face à mémère. Ses ogresses me tournent le dos. J’ai un créneau formide par lequel je peux usiner des châsses. Vue imprenable sur la vieille. Je te parie un grain océanique contre un grain de beauté que tout a été préparé et que ce n’est pas par hasard que je me trouve face à Natacha.

J’y vais des mirettes pendant tout le repas et je constate qu’elle manigance des miches, ma future conquête. Elle voudrait « y être » déjà, se laisser emplâtrer par le Tarzan superbe et généreux.

Pas de doute : je suis sur orbite et je n’ai plus qu’à trouver l’embellie.

Attendre et voir, comme disent les Anglais. En anglais.

Ce qui complique un peu le bouzin, c’est que je ne parle pas le russe et que mémère ne connaît, en fait de langues étrangères que le mot germanique gut. Heureusement, Dieu m’a doté du stylo qui sait écrire le langage du cœur !

* * *

J’aime beaucoup la Roumanie actuelle. C’est un chouette endroit où j’aimerais me retirer quand je serai mort. Ma soirée se limite à un whisky et à la lecture de l’étiquette couvrant pudiquement le flanc de ma bouteille de Périer.

Je n’ai rien à lire et je suis en manque. Un instant, j’hésite à essayer de téléphoner à m’man, mais la prudence me fait renoncer. Alors, au plume !

* * *

A huit plombes, je passe la porte de la salle d’hydrothérapie. Il y flotte une buée épaisse, parfumée à l’essence de pin. Le docteur Tanaresco m’accueille et me dirige vers le compartiment des hommes. C’est alors qu’il se produit un incident banal. La porte du compartiment des femmes s’ouvre et la hure congestionnée de la générale Glavoski paraît, escortée d’une épaule nue, grasse et blanche.

Elle a l’air fâché, mais quand elle m’aperçoit, son expression se sucre. Je lui adresse un bonjour respectueux. Elle y répond en me montrant un sein gros comme M. Doumeng. Puis elle formule sa rouscaillance au docteur.

— Je vous laisse vous déshabiller, me dit alors celui-ci, lequel est en réalité une celle-là.

Et la chère Tanaresco quitte les lieux pour aller souscrire aux desirata de la dondon dodue. Pas meilleure occase. Moi, opportun comme le printemps, de bondir jusqu’à ma future conquête.

Je lui montre ma cheville. Gut ! Gut ! remercié-je.

Elle, de glousser plus haut : Gut, gut  !

On va pas aller loin commak ! Ce sera dur de jouer Andromaque avec un texte aussi réduit.

Bon, le temps, comme le con, presse. Avec une goulue comme Natacha, inutile de tergir le verset. Je prends mon courage d’une main et, de l’autre me mets à lui loloter un robert. Une vache fribourgeoise aurait une tétine de cette ampleur, elle produirait six mille litres de lait par an !

Mamie Babouchka entreprend des râleries sauvages. Ça lui part de profond. Elle a de gros sourcils pompidoliens. Démaquillée, elle ressemble à Tarass Boulba. Je dévale sa chaîne des Karpates en faisant du scenic railway sur ses bourrelets. Les montagnes russes justement. Dans mon bénoche, il se fait un grand silence. L’immobilité est complète. Jamais je pourrai me cogner cette mère Denis soviétique ! Ou alors, en me dopant à mort, peut-être ? Manière d’être poli, je lui turlute les cabochons. Elle m’empoigne la nuque et m’écrase la bouille dans ses tripailles. Au secours, j’étouffe ! Je parviens à lui glisser des mains et je déboule sur l’immensité désertique de son bide. Mon pif se plante dans son excavation nombrilique, j’ai toutes les Le Pen du monde à l’en arracher.

Une fois encore, le coup me paraît admirablement préparé. C’est pas le fruit du hasard qui vient de nous mettre en présence, la vieille et moi. Harmonie préétablie. Le docteur Tanaresco est dans la combine. Une fois encore, chapeau pour le Big Between, c’est un plaisir de travailler avec lui. J’ai pas l’habitude qu’on me balise à ce point le parcours. Pour lors, les manigances subalternes, les basses ruseries me sont épargnées. Je suis l’artiste, uniquement. J’arrive, je me talque les mains, m’oins la queue et j’opère sous les vivats. Enfin tout en haut de l’affiche, l’Antonio joli. Ça la fiche bien !

Mémère, malgré les secrètes connivences, je vais pas la fourrer ici. Ce qu’il me faut, c’est lui poser le rancard détermineur.

Je mets au point une courte phrase et lui demande en allemand quand je pourrais la rencontrer seule. Elle pige, ô miracle !

— Cette nuit, elle répond. Chambre 440.

Je risque :

— Mais les deux dames ?

Elle me cligne de l’œil et par gestes dignes du mime Marceau m’explique qu’elle leur fait drinker un somnifère. Elle figure un petit flacon entre le pouce et l’index, l’incline, imite avec des clapements de langue le bruit délicat de gouttes tombant dans un liquide. Vodka ! Et puis ses deux mains à plat sous sa trogne penchée. Les ogresses roupillent. Elle s’est organisée, la dévoreuse. Quand elle s’aligne un malabar, elle neutralise ses gardes-chiourme ; élémentaire, mon cher Glavoski.

Pour s’assurer de mes sentiments, elle m’envoie sa main en reconnaissance dans la région extatique. Chose inouïse, y a un début de projet de triquerie sous mes hardes. Faut croire qu’il est à toute épreuve, l’artiste, non ? Satisfaite, Babouchka sort une menteuse d’une livre et me virgule un coup de panais prometteur sur les lèvres.

Je la largue pour aller cracher et me défringuer, suivant la prescription de la gentille doctoresse. Je me dis que quand elle viendra m’hydrothéraper, je lui jouerai un petit solo de scie musicale, mais hélas, au lieu d’elle, c’est un jules qui s’annonce. Le crâne rasé, la mâchoire carrée, le regard pas d’accord. Bon, Coquette va rester coucouche panier.

* * *

Journée creuse. Le soleil condescend pas. La plage est déserte, venteuse, avec des mouettes qui se plument au-dessus de la mer.

Ne voulant pas attirer l’attention des anges gardiennes à Natacha, je l’évite. Puisque je dois la « rencontrer » cette noye, à quoi bon en rajouter ?

Je pourrais essayer de draguer chez les estivantes du cru, mais il est plus prudent de m’économiser. Ce serait suicidaire de me gaspiller avant l’entrevue fatidique. Pourvu que je me montre à la hauteur ! J’essaie d’établir une comparaison entre Herminia et la générale ; me stimulant le subconscient en m’affirmant que si j’ai pu donner à l’une, y a pas de raison que je récuse l’autre ; seulement la différence des morphologies est importante. Elle était mince, l’Herminia, presque maigre. Tandis que la Moscovite se coltine des quintaux de graisse pas fraîchouille. Bon, enfin j’aviserai sur le tas. Je compte sur mon sens de l’improvisation.