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A minuit, j’entrouvre la lourde de ma turne pour visionner le couloir.

Nobody.

Vas-y, Tonio !

Je me déchambre en souplesse. Je suis en pyjama bleu ciel et robe de chambre bleu nuit ; mules vernies. Honnête, je me suis rasé de frais et parfumé pour ajouter à mon sex-appeal. Tel, je représente le tombeur type, tringleur de — vieilles peaux patenté, porte-bite de palace toujours sur la brèche dépoilée des douairières. Play-boy à la sauvette.

Arrivé devant le 440, nouveau regard panoramique : la voie est toujours libre. Pas besoin de frapper, l’huis est entrouvert, comme la babasse de la dame Glavoski, probable.

Je pousse, j’entre.

Illico, c’est l’ensorcellement. Natacha (elle ne mérite vraiment pas un prénom aussi romantique) a créé l’ambiance choc ! Une seule source lumineuse ; faible et capiteuse, dans les vieux roses. Médème repose sur sa couche basse en une attitude qui ferait triquer l’Apollon du Belvédère sous sa feuille de vigne, le pauvre qui n’a pas de mains.

J’ignore où elle a déniché ses dessous troublants, sûrement pas en Russerie où les mœurs déconnent pas, mais elle porte, toujours est-il, des bas noirs, un porte-jarretelles froufroutant, une exquise culotte noire, largement fendue, ce qui ôte toute possibilité de l’utiliser pour aller acheter cinquante kilos de pommes de terre.

Elle se tient sur le flanc, un coude replié, une jambe relevée. Plus fardée que les putes en vitrine de Hambourg, plus grotesque également ; mais tellement baroque qu’elle en est intéressante. Chère femme ! Elle a fait ce qu’elle a pu pour me séduire, me mettre les glandes k.-o. C’en est touchant, troublant. Bandant ? A voir.

Allons, mon Sana, du cran ! La pêche !

Je referme la porte, intimidé — si tu peux croire ça — pis qu’un collégien invité par une amie de sa mère à lui réchauffer les pieds. M’approche doucement, pas faraud. Ce qu’il faut faire, pour modifier le sort du monde !

Babouchka me sourit. Sa main se tend. M’empoigne. Franche connection ! On dira tout ce que je voudrais, mais une goulue, même décrépite et lézardée, même grosse comme une baleine, ça conserve des ondes sexuelles qui agissent sur le petit gars pas feignasse du zob.

Je commence à entrevoir l’éclaircie. A me dire que si elle me chahute pas trop, j’arriverai à lui servir sa ratatouille d’aubergine, Natacha. Surtout qu’elle me réclame pas de baisers langoureux ou de caresses privautières ! J’ai pas envie de goûter, non plus que de palper. Si elle m’épargne sur ce terrain, elle pourrait bien avoir droit à sa baisouille soudarde.

Elle a le sens de ces choses, Mamie. Elle le sait bien qu’à son âge, elle porte moins aux transes que Sophie Marceau ou de Monaco. Elle a fait la part du feu, la générale, limité ses désirs. Pénombre et discrétion ; dessous salopiots et dégustation unilatérale. En cernant bien le problo, en se gaffant de ne pas outrepasser, elle peut escompter la chevauchée héroïque. Se faire mettre au détour d’une pipe. Mais faut rien bousculer ; arpenter discrètement la salle des spasmes perdus. C’est si fragile, somme toute, un homme. Capable du pire, certes, mais principalement du peu, du rien. Une vilaine pensée, une caresse intempestive, et bye-bye m’sieur Dunœud !

Alors elle s’y prend comme il faut. Décidée à opérer un parcours sans fautes. Des plaintes, des bribes de phrases rauques chuchotées en russe. Une posture lascive née à l’improviste. Les jambons qui cisaillent. La satanique culotte qui bâille sans mettre sa main devant la bouche. Et des caresses de championne. Ça se voit qu’elle sait ce que c’est qu’un paf, la mère ; le par quel bout ça s’attrape, ces grosses bêtes ; le comment t’est-ce faut les tenir ; l’instant où on peut les tutoyer ; et comment doit pratiquer la main libre pour ne pas être inscrite au chômedu. Et puis des affinités, des fignoleries, des audaces mutines. La manière de soupeser la bourse pour en estimer les écus. Une belle démonstration de femelle en chaleur.

Elle me rappelle, dans mon adolescence, la grosse Ilda que je m’embourbais dans son bistrot pendant que son vieux était à la cave. Y avait une trappe dans le plancher du bistrot et Sauveur, toujours portant le même gilet de grosse laine grise et chaussé des mêmes charentaises éculées, descendait fréquemment dans son antre, sous les prétextes les plus fallacieux, mais en réalité il allait se cogner des coups de jaja au tonneau. Il aimait le vin frais pissé et qui mousse dans le verre. Sa grognasse lui aboyait contre, sauf quand je me trouvais là et que je passais presto derrière le bac à plonge pour la chibrer, façon princesse de Lamballe (la pauvre). Elle arrêtait pas de laver ses verres dans l’eau dégueulasse pendant que je lui débusquais la case trésor, Ilda. Une moulasse kif une porte de grange ! Elle savait prendre la posture ad hoc, légèrement cambrée, les chapiteaux en « V » renversé. Elle guettait la porte et c’était facile de retapisser les clilles car le bistrot se trouvait dans un renfoncement et elle les guignait de loin, les assoiffés. Elle avait un toussotement caractéristique pour me prévenir que je devais évacuer ma bonne marchandise fissa. Je l’embroquais comme un sauvage, excité par cet état de qui-vive entre l’arrivée d’un hypothétique client et la remontée des abysses du cocu.

De même que mon souvenir du musée de Leningrad m’a conforté pour passer Herminia à la casserole, cette fois, c’est cette remémorance de mes exploits avec Ilda qui me fournit l’élan déterminant. Je plonge héroïquement. La brave Babouchka en clame d’allégresse. Et, par ma foi, la main sur le cœur, l’autre sur la tirette de ma braguette, je puis te jurer que j’assure vachement. Mais que ça reste entre nous. Je voudrais pas qu’on jase (band), qu’on chuchote un peu partout et ailleurs que l’Antonio se spécialise dans le congelé, qu’il baise plus que chez Vivagel, l’apôtre. Ça porterait nuisance à mon pedigree ; les minettes se détourneraient, prétendant que je pue le cadavre et me complais dans les draps dont on fait les linceuls.

Ma « mission » achevée, j’envoie un gros baiser à Natacha. Elle me répond d’un petit geste exténué.

— Bis Morgen, qu’elle me jette avec l’énergie du cul en fête.

A demain ! Oui, oui, c’est ça, à demain…

Retour à ma chambre.

Surprise.

Elle est occupée par deux messieurs qui ont gardé leurs chapeaux de feutre à bord étroit sur la tête, ce qui me laisse augurer du mauvais.

Ils étaient assis et se dressent à mon entrée.

Mon air surpris est en soi une question. Qu’ils négligent.

— Habillez-vous et suivez-nous ! me fait l’un d’eux, un gars trapu avec des mèches d’un noir marqué de roux sur les épaules.

Il s’est exprimé dans un anglais scolaire (classe de cinquième).

— Qui êtes-vous ? réponds-je.

— Habillez-vous et suivez-nous ! répète-t-il.

Son ton est inquiétant, son regard plus encore.

— Je ne vous suivrai pas sans savoir qui vous êtes ! déclaré-je ça-té-go-ri-quement.

Le deuxième, un jeune qui ressemble à un séminariste de sortie, s’approche, tenant une paire de — menottes.

Il me biche le poignet droit et l’attire à soi. Déjà il élève le premier bracelet. Ma pomme, tu sais quoi ? Je lui empoigne les testicules d’une main de fer et les lui tords. Le séminariste hoquette sous l’empire austro-hongrois de la douleur et se plie en deux. Le voilà qui se met à dégueuler comme un malpropre sur la moquette du Bella vista  !