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Son compagnon a dégainé un étrange pistolet au canon en forme de groin et me braque.

— Ne bougez plus !

C’est sérieux. Je laisse pendre mes bras le long de mon corps. L’homme au pistolet recule jusqu’à la porte, l’entrouvre et crie une syllabe dans le couloir. Aussitôt, deux autres mecs surgissent en renfort, chacun a une arme au poing.

— Habillez-vous et suivez-nous ! me redit l’homme trapu pour la troisième fois.

Qu’est-ce que tu ferais à ma place ?

FAIS-MOI TOUT

Lorsque je suis loqué, les quatre mecs m’emportent hors de l’hôtel, par une issue dérobée au fin fond de la buanderie. On n’a rencontré personne. Le vent est de plus en plus violent et la mer Noire de plus en plus noire.

Ces messieurs m’invitent à prendre place à l’arrière d’une grosse Lada grise. Je me demande qui ils sont ? Des flics ? Oui, mais pas des Panzani. Ça sent la police politique, ça. Les archers de la nuit. Ils font leurs coups en marge, piquant sur leurs proies tels des rapaces et les emmenant dans leur repaire pour les dépecer à leur aise.

J’ai agi en bébé-lune ; je devais bien me gaffer qu’on la surveillait aux petits pois, la mère Glavoski. Ses ardeurs, ils sont au courant, les gueux. Quand elle se fait introduire par un masseur ou un employé d’hôtel, ils écrasent le coït, ou bien donnent un avertissement au téméraire à coups de goumi sur la tronche ; parce qu’ils savent à qui ils ont affaire ; où ça se complique et mérite un détour, c’est quand Mémé se goinfre un étranger. Alors, là, pardon, y a maldonne. Ils veulent en savoir plus sur l’emplâtreur. Et dans mon occurrence, ils trouvent vachetement bizarre bizarre qu’à peine débarqué, le beau mec que je suis saute à pieds joints sur la Babouchka chérie. Ils trouvent la prouesse un peu louche. Quelle jolie fable vais-je bien pouvoir leur sortir ?

La Lada se dirige vers la ville. Constanta est silencieuse, figée dans l’éclairage froid de ses lampadaires. Il y a très peu de chignoles en stationnement le long des trottoirs.

Nous contournons une grande place au mitan de laquelle se dresse une statue de bronze symbolisant le travail, la patrie, le parti, la fécondité et la soupe de poissons. Puis nous plongeons dans une rampe cimentée livrant accès au parking souterrain d’un immeuble neuf.

En bas, y a un préposé pour actionner l’ouverture de la porte rabattante. L’auto franchit un dos-d’âne caoutchouté et s’enfonce dans les entrailles du parking. Contrairement à ceux de chez nous, il est loin d’être saturé et les voitures s’y trouvent très clairsemées. Pourtant, il comprend trois niveaux. A partir du second, y a plus de bagnoles. Nous dévalons jusqu’au troisième et dernier. Tout au fond de l’immense local chichement éclairé par deux plafonniers chétifs, une espèce de fourgon carré, peint en bleu sombre, semble avoir été oublié, voire mis au rebut, depuis lulure.

Le gars dont j’ai un tantinet broyé les couilles va l’ouvrir. Les autres me sortent de la Lada pour me faire grimper dans le fourgon. L’intérieur est impressionnant : un siège métallique est rivé au plancher, dossier appuyé contre la cabine du conducteur. Il s’agit d’une espèce de fauteuil, car cela comporte des bras. A ces bras sont fixées des sangles de cuir, de même qu’aux pieds antérieurs du siège. La chose est insolite, barbare, évocatrice de supplices et fait songer surtout à la chaise électrique.

Mes ravisseurs me font asseoir, m’entravent à bloc, puis les deux sbires d’appoint sortent et referment les portes ; je reste seul avec le Trapu et Burnes-creuses. Un instant, je pense qu’on va démarrer, et puis non : le fourgon reste en place. Je pige alors qu’il sert de « salle d’interrogatoire ». Cela signifie que je n’ai pas été enlevé par des flics roumains, fussent-ils occultes, mais par des gens marginalisés, agissant pour leur compte. Mon inquiétude, dès lors, croît à une vitesse supersonique. Putain, ce que j’aime pas ça !

— Qui êtes-vous ? questionna le Trapu.

— Je m’appelle Casimir Lelaboureur ; je suis canadien, j’habite Montréal. Je travaille dans les machines agricoles. Je suis agent général pour l’Europe de l’Est de la firme Truckmuch and Co.

Ce premier jet passé, j’attends la suite. Le Trapu répète au Cassecouillé, lequel me garde un chien de faïence de sa chienne, ça se lit sur sa frime de belette crevée.

Ils conciliabulent en russe. Oui, en russe !

Alors ça y est, j’ai pigé. J’ai fait bonnement sur la coloquinte des gardes de Mme la générale.

— Que faisiez-vous dans la chambre de cette dame, tout à l’heure ? reprend le Trapu.

— Devinez ? je lui balance en rigolant.

— Pourquoi vous intéressez-vous à elle ?

— Erreur, c’est elle qui s’intéresse à moi. Je me suis trouvé en hydrothérapie avec elle, ce matin, et ma modestie dût-elle en souffrir, elle m’a fait de sérieuses avances et m’a demandé d’aller la rejoindre dans sa chambre. C’est un crime ?

— Elle est âgée.

— Chacun ses fantasmes ; j’aime les femmes très mûres.

— Qu’attendez-vous d’elle ?

— Rien d’autre que le plaisir qu’elle m’a accordé.

— Il s’agit d’une dame respectable.

— La plus haute marque de respect qu’on puisse témoigner à une femme, c’est de la faire jouir.

Il me gifle. Une sacrée beigne. Pas avec la main plat, mais en creusant la paume et ça me file des vibrations dans tout le système auriculaire.

Le gars me regarde dans les yeux. La charognerie aux claouis meurtries qui l’escorte lui dit un truc pas gentil à mon endroit, et peut-être même à mon envers. Le Trapu tend le bras vers un bloc émaillé comportant une espèce de niche. Il prend dans cette dernière deux pinces métalliques dont chacune termine un fil électrique sur enrouleur et les fixe au lobe de mes portugaises.

— Juste une seconde ! me fait-il.

Il appuie sur un bouton noir et je morne une méchante décharge qui me déglingue la pensarde.

— La vache ! m’écrié-je, vous parlez d’un électrochoc !

— Ce n’est rien, le contacteur est sur la force « 1 » et sa graduation va jusqu’à « 6 ». Trente secondes à « 6 » et votre cervelle commence à vous couler par les narines.

— Sympa.

— Maintenant, il faut parler.

— J’ai tout dit.

— Nous perdons du temps. Tenez, un coup de « 3 » pour vous décider !

J’hurle pis que Croc Blanc, le soir, au fond du Labra-dor. Une douleur folle a remplacé ma tête. Je sens que ça explose sous ma coiffe.

— Vous parlez ou je dois continuer ?

— Ecoutez, cette vieille dame, je ne la connais pas. Si ça vous chagrine tellement que je lui aie filé la grosse, je m’engage à ne plus la revoir.

— Vous ne la reverrez plus, en effet ! promet l’autre d’un ton entendu.

— On va m’expulser ?

— Pas du pays : de la vie !

Il rit et traduit sa boutade au crevard qui pouffe à son tour.

— Si vous parlez, tout ira vite. Si vous vous taisez, ce sera interminable, assure le Trapu quand il a repris son sérieux.

— Je ne peux pas inventer des choses pour vous faire plaisir !

— Mais vous pouvez dire la vérité. Pour qui agissez-vous ? Qu’attendez-vous de… la dame ? Allez, vite !

Il tend la main vers la molette placée dans la niche et la fait pivoter d’un cran ; « clic ! ». Les « clic ! » je veux bien, à condition qu’il y ait les « clac ! » avec ! Et qu’ainsi je puisse prendre mes clic et mes clac.