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Cette fois, la décharge est telle que je n’ai pas la force de hurler. C’est trop insoutenable. La tête pendante sur ma poitrine, je râle…

— On peut continuer ainsi pendant des heures, des jours, des semaines, avertit le Trapu. Jusqu’à la perte de conscience, ensuite on attend que vous récupériez et on recommence. J’ai eu un « patient » qui a enduré la chose pendant presque quinze jours ; et puis il a fini par parler. Avec ça, zéro pour cent d’échec.

Ses paroles, je les distingue plus que je ne les entends. Je capte des sons, mon esprit tenace en fait des mots, puis, courageusement, bâtit des phrases.

— J’en ai connu qui devenaient fous, reprend le Trapu. L’un s’est coupé la langue avec les dents.

Pauvre con ! Il me faut récupérer… Retrouver mes esprits… Douleur… Tout est rouge. Incandescent ! Tout est flammes. Le feu sort de ma tête… Une confiance absurde me demeure. Chevillée au cœur… Espoir ! Je vais m’en tirer. Je… Confiance ! Confiance !

Mes tourmenteurs m’observent. Ils attendent que je sois de nouveau en état de subir une nouvelle décharge. Ainsi ranimait-on Laval empoisonné pour pouvoir le fusiller !

Ma lucidité dérape dans l’atroce souffrance qui transforme mon corps en volcan. Tout renaît dans un tourbillon pourpre. Mal en point, l’Antoine !

Et puis les portes du fourgon s’écartent. Je dois être en proie à l’hallucination car j’aperçois un soudeur à l’arc. Un mec avec une espèce de ciré blanc, le chef coiffé d’une maisonnette vitrée. Il tient sous son bras un extincteur d’incendie, du moins quelque chose qui y ressemble. Ça comporte un gros embout. Il dirige ledit contre le Trapu, un jet d’une substance foutreuse d’aspect. Bombe à raser. Tchloc ! Puis une deuxième giclée sur le mulot débile. Tchloc ! Les deux Russes gigotent, mais de plus en plus péniblement. Leurs mouvements se paralysent, ou plutôt s’enlisent. Ils ne perdent pas conscience et paraissent affolés par ce qui leur arrive. Je distingue des filaments sur leurs personnes. La scène est irréelle, onirique, quoi ! Je me requinque un peu. Mon instinct ne m’avait pas trompé : le salut approchait.

Le soudeur ferme l’arrivée du produit sous l’embout, puis il prend son extincteur, lequel est muni d’une bretelle de fusil et le place sur son épaule. Ses mouvements sont calmes et précis. On sent le tout grand professionnel. Il attend un moment que ses deux victimes soient totalement pétrifiées ; jugeant que c’est banco, il pénètre dans le fourgon, ôte les gants de plastique qu’il portait et me débarrasse des sangles. Puis m’invite, d’un geste, à le suivre.

Je lui obéis à grand-peine. Ça tangue mochement dans mon entrepont. Les cannes en crème Chantilly, Tonio ! La tronche désastreuse. L’impression d’être devenu une grosse poche de sang. J’ai du sang dans les yeux, dans la bouche, le nez… Mon « soudeur » m’offre son bras, j’y prends appui. La descente du fourgon est infernale. Mais j’ai à cœur de ne pas m’évanouir. J’avise les deux adjoints pétrifiés à leur tour. Seul leur regard continue de vivre et il est halluciné. Ils sont plaqués au sol, recouverts de ces filaments blanchâtres que j’ai vus sur les deux premiers.

Le soudeur marche en direction d’un escalier de ciment à rampe de fer. Il se retourne. J’ai du mal à le suivre. Il m’aide de nouveau. Je me hisse comme je peux. L’impression de gravir l’Everest en ayant les deux jambes dans un sac !

Second niveau !

Un deuxième escadrin conduit à celui de l’entrée. Nouveau calvaire ! Je le gravis en pensant à Félicie, m’exhortant, comme si elle m’attendait au sommet des marches.

Au premier niveau il y a une fourgonnette avec un julot au volant. Un type coiffé d’une gapette brune. Il ne se retourne même pas pour me voir.

Le soudeur ouvre l’arrière de la fourgonnette et dépose son engin diabolique dans une caisse métallique. Il ôte la maisonnette vitrée qui lui sert de masque, défait son ciré blanc. Il est en smoking. Il se retourne vers moi : Duck !

— Je savais ! balbutié-je.

Sans un mot, il m’ouvre la portière arrière et m’aide à prendre place. Ensuite, il va se placer auprès du conducteur.

— Buvez ça !

Il me tend une jolie fiole verte.

— Tout ?

— Oui, tout !

J’avale.

Il a le secret des potions magiques, le druide Duck, car, aussitôt, un infini bien-être s’étale dans mon être, comme l’écrivait la marquise de Sévigné à son gendre (lequel devait lui faire du rentre dedans quand elle allait à Grignan).

Duck m’interroge du menton.

— La pêche ! assuré-je d’une pauvre voix.

Il a un court hochement de tête.

La fourgonnette sort du parkinge dont la porte est grande ouverte. J’avise le préposé, filamenteux, lui aussi, tassé dans sa niche.

— C’est quoi, votre produit ? je demande.

— De la colle.

Je crois avoir mal esgourdé.

— De la quoi ?

— Colle ! Une invention extraordinaire. Un jet de haut en bas et la victime est soudée littéralement. Pour les délivrer de ça, il faudra les opérer. Découper leurs lèvres, leurs doigts, leurs mollets. Le produit sort du conteneur à une température de quatre-vingts degrés et refroidit en dix secondes. Le temps qu’ils s’en foutent partout en se débattant. Ça traverse les vêtements. D’où mon équipement.

— Vous êtes inouï.

— Mais non : vigilant et outillé. Bon, ce n’est pas le tout, il va falloir agir vite, demain il serait trop tard.

Il sourit.

— Vous avez fait le principal, il ne reste plus que l’essentiel, San-Antonio. Comment vous sentez-vous ?

— Beaucoup mieux, presque bien.

— Heureusement. Voilà ce qu’il va falloir faire…

Et il se met à me dresser son plan d’action. Je te le re re re répète : c’est un bonheur que de travailler avec un homme comme lui !

* * *

Je perçois ses ronflements depuis le couloir, Babouchka. Césarine, espère, quand elle a pris son fade, elle en concasse façon sonneur de cloches ! L’anéan-tisse-ment de la chair, même pas fraîche, ça aide à roupiller.

Je grabatouille tant tellement à sa lourde que tout le Bella Vista sera éveillé avant elle. Heureusement qu’il me reste mon sésame.

Me voici dans sa chambrette. Elle flotte à la surface du lit comme une vache crevée sur un étang. Superbe amante ! Y en a pour trois grenadiers voraces. Et dire que je me suis respiré ce paquet à moi tout seul ! Les vraies prouesses, vois-tu, mon gamin, c’est pas avec son revolver qu’on les accomplit, c’est avec sa bite.

Je m’approche de la couche de mon évanescente et me mets à lui pétrir les monts d’Auvergne, histoire de la réveiller en délicatesse. Son souffle cahote et ressemble à la rumeur d’un motocross. Elle ouvre un z’œil dans la pénombre (il fait clair de moon en deçà du rideau).

— C’est moi, ma poupée ! je la rassure.

Je chuchote dans ses baffles, car tu ne m’ôteras pas de l’idée que sa piaule est bourrée de micros, lesquels ont alerté le personnel navigant chargé de veiller sur sa vertu.

Elle va pour jacter, mais je plaque ma main sur les deux cervelas qui lui tiennent lieu de lèvres.

— Soyez prudente, chère amante ! Je redoute qu’on nous entende.

La voilà qui se met à trémousser, déjà partante pour une nouvelle chevauchée dans la forêt viennoise.

— Demain, belle âme, fais-je à voix ténue. Demain, nous ferons des folies ; j’ai des projets insensés !

Elle pige pas tout de mon allemand, assez toutefois pour entrer en mouillance frénétique.

— Gut ! Gut !

— Allez à la plage de très bonne heure. Disons, huit heures, c’est possible ?