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Je n’ai peur ni du réquisitoire de l’avocat général, ni du jugement de la foule, ni des réflexions de ma mère. Mme de la Sablière a dit : « Tout le devoir ne vaut pas une faute commise par tendresse. » Mazarin a dit : « Il faut être fort pour affronter une catastrophe, il faut être grand pour s’en servir. » Mme Trignonet, ma prof d’art plastique au lycée, a aussi dit : « Ça va te partir à la tête et tu l’auras bien cherché. »

Rien à taper. Si je m’en sors, c’est à moi que l’on demandera de faire des phrases qui traversent les siècles. Je suis invincible. Ce monde m’appartient. Il ne faut pas que j’oublie de descendre les poubelles en partant.

70

Je viens de faire un rêve. Dans la plus belle salle de concerts du monde, j’entre sur scène, auréolée d’une pure lumière qui fait chatoyer les innombrables diamants dont tout mon corps est couvert. Je me retrouve face à des milliers de fauteuils habillés de velours rouge, parfaitement alignés, tous vides à l’exception de celui situé exactement au centre du parterre. Un seul spectateur : Ric.

La gorge serrée, je gagne le centre de la scène et je salue avec majesté. Lentement, au son de la première note d’une formation symphonique, un orchestre au grand complet monte du fond des fosses et apparaît derrière moi. Lola est au piano.

Ma voix démarre doucement, comme un secret que l’on murmure, comme un aveu. En une chanson, il y aura ma vie, la promesse que je lui fais. Il y aura du rythme, des violons, du rock, du blues, du slow, des dièses et des solos. Quelques minutes pour la quintessence d’une vie, quelques secondes de ce qui embrase un cœur. Pour lui je vais chanter, pour lui je vais tout donner.

J’entends déjà les mélodies, je prononce déjà les mots. Ma chanson parle d’amour, d’espoir, de tout ce qu’une femme sait abdiquer pour celui qu’elle aime. J’espère qu’il restera jusqu’à la fin. J’espère qu’ensuite une rose rouge tombera à mes pieds. J’espère qu’il me retirera tous mes diamants. Le doute n’est plus en moi, je suis là où je le dois, j’accomplis ce que je crois, comme jamais. J’ai seulement peur de me réveiller et de découvrir que la salle est pleine à craquer, qu’il n’y a plus un fauteuil de vide, à l’exception de celui situé exactement au centre du parterre. C’est aujourd’hui que je joue ma vie.

71

Xavier raconte souvent que, juste avant une opération, les commandos se taisent pour mieux se concentrer. C’est sans doute pour cela que lui-même ne dit pas un mot, alors qu’il nous conduit vers la propriété d’Albane Debreuil, avec qui nous avons rendez-vous.

Xavier a mis le même costume sombre qu’à l’enterrement de Mme Roudan. Vêtu ainsi, près du cercueil, il ressemblait à un homme en deuil — ce qui n’était pas vrai. Cette fois, au volant de son impressionnante berline blindée, on dirait un garde du corps qui, sur simple pression d’un bouton secret, peut vous expédier un missile sorti d’une trappe cachée — ce qui n’est pas vrai non plus.

La voiture file le long des rues, puissante. À travers les vitres teintées, je vois les passants qui se retournent sur le véhicule.

Je suis installée sur la banquette arrière, à côté de Mme Bergerot. Elle porte un superbe manteau de fourrure. Il a beau être en synthétique et légèrement trop petit, il fait son effet. De toute façon, maquillée et coiffée par Léna, elle ressemble vraiment à la milliardaire russe qu’elle est censée incarner dans mon plan. Elle a ce port du menton, cette noblesse de visage et cette assurance dans le regard acquise en vendant plus de deux millions de baguettes et autant de croissants à n’importe qui.

Je suis vêtue d’un ensemble chic gris perle, assez strict, que m’a prêté Géraldine. Je crois que ça me va beaucoup moins bien qu’à elle, mais ce n’est pas moi que Mme Debreuil regardera.

À cette minute, je ne veux prendre aucun recul sur ce que nous sommes en train de faire. Je ne veux pas penser un instant à la situation dans laquelle j’entraîne ceux qui font ma vie. Depuis quelques minutes, Sophie est certainement arrivée au domaine Debreuil, où elle se fait passer pour une journaliste venue immortaliser la rencontre prometteuse entre l’héritière d’une des plus grandes marques du luxe français et une richissime femme d’affaires qui va peut-être lui donner les moyens de se développer encore plus à l’international.

La voiture quitte le grand boulevard pour s’engager dans des rues plus étroites. Quelle que soit la vitesse à laquelle Xavier négocie les virages, les suspensions nous maintiennent parfaitement à l’horizontale dans un confort absolu. XAV-1 est vraiment un véhicule d’exception. Dans le rétroviseur intérieur, je croise le regard de Xavier. Même avant d’aller au casse-pipe, un commando a le droit d’être fier de ce qu’il a accompli. Mme Bergerot est elle aussi impressionnée par la voiture. Elle en oublie presque l’incongruité de ce qu’elle s’apprête à faire pour moi. Voilà encore une heure, nous étions toutes les deux dans la routine de la boutique, mais lorsque nous avons baissé le rideau pour la fermeture du midi, le décor a changé. Elle s’est sauvée pour se faire habiller. Un rideau qui se baisse pour un autre qui se lève.

Elle se penche vers moi :

— Alors je ne dis rien, c’est bien ça ?

— Exactement, vous vous contentez de murmurer à mon oreille et je traduis à Mme Debreuil.

— Tu ne me lâcheras pas d’une semelle, on est bien d’accord ? Parce que sinon, je ne sais plus quoi faire.

— Je vous suis comme une ombre. Je suis votre interprète et secrétaire particulière.

Ni à elle, ni à Xavier, pas plus qu’à Sophie, je n’ai dit ce que je comptais faire. Mon but est officiellement de repérer les lieux, particulièrement la grande salle du musée, pour empêcher Ric de commettre une folie à la veille de l’inauguration. Moi-même, je ne sais pas trop ce que je vais pouvoir tenter une fois devant la vitrine numéro 17. Il va falloir improviser. Si c’est possible, je vole le précieux contenu et je m’enfuis. Je suis prête à tout et j’en assumerai seule les conséquences. Mes amis s’en sortiront parce qu’ils ne sont au courant de rien et que j’ai écrit trois lettres — une à la police, une au palais de justice et une au maire — que Mohamed a pour instruction de poster dès demain si je ne suis pas revenue le voir d’ici là. Il n’y aura pas de marche arrière possible. Je fais sauter les ponts derrière moi. Vous allez voir que c’est moi qui vais être obligée de fuir le reste de mes jours et que c’est Ric qui m’accompagnera. Contrairement à lui, je n’hésiterai pas à le lui proposer. Je suis certaine que Steve pourra nous planquer en Australie. On mangera du kangourou, Ric me soignera parce que la première fois que j’aurais lancé un boomerang, il me sera revenu en pleine poire.

Nous venons de tourner dans la rue qui conduit tout droit au domaine. Elle est bordée de luxueuses propriétés qui s’agglutinent près de l’adresse mythique, comme des courtisans autour d’un monarque. Au loin, on distingue déjà les majestueuses grilles sur lesquelles les célèbres initiales du fondateur s’entrelacent comme sur les précieux sacs à main. C’est beaucoup plus glamour par ce côté-là que par l’arrière des usines.

— Mesdames, êtes-vous prêtes ? demande Xavier.