Выбрать главу

— Il semble qu’il y ait un déséquilibre. Demande-lui des éclaircissements.

« Mais qu’est-ce que vous faites ? On n’est pas là pour un audit. Et d’où tirez-vous cette culture de l’économie ? Je pensais que c’était du flan pour embobiner Mohamed ! »

— Mme Dostoïeva souhaite des précisions sur le paragraphe 6, alinéa 2.

Albane Debreuil a un petit rire gêné :

— Je reconnais là l’experte en finances. Ce chiffre doit être tempéré par les provisions faites au titre du ralentissement économique. Rien d’alarmant.

Je traduis. Mme Bergerot me fait signe de me pencher :

— Cette explication n’est pas recevable puisque à la page d’avant, elle a déjà provisionné tous les encours négatifs sur les bénéfices. Elle ne peut pas les passer deux fois. C’est de la fraude.

« J’en suis baba. En plus de vendre des croissants, Mme Bergerot aurait pu décrocher un prix Nobel d’économie. »

— Un problème ? s’inquiète Albane Debreuil.

— Rien d’important. Mme Dostoïeva me faisait simplement remarquer que nous pouvons sans doute vous mettre en contact avec un conseiller fiscal plus avisé que celui qui a rédigé ces documents…

Mme Bergerot hoche la tête :

— Da, da !

Je vais tomber dans les pommes. Heureusement, Albane reprend son exposé sans se rendre compte de rien. Au bout de vingt minutes, je regarde ostensiblement ma montre et je la coupe :

— Je suis désolée, mais nous avons un emploi du temps très strict à tenir. Un autre rendez-vous nous attend aujourd’hui assez loin d’ici pour l’éventuel achat de deux milles hectares de vignoble classé.

Mme Debreuil encaisse. J’ajoute :

— Par contre, à défaut d’avoir le temps de visiter vos ateliers si réputés, Mme Dostoïeva est intéressée par le musée qui regroupe vos trésors.

— L’inauguration a lieu dans deux jours. Je comptais vous inviter pour cette occasion. Mme Dostoïeva pourrait être l’invitée d’honneur du dîner, couper le cordon à mes côtés et même rester quelques jours. Elle peut loger sur le domaine.

— C’est très aimable à vous mais le 1er, nous serons aux États-Unis pour un gala de charité avec le Président.

— Le Président… Je comprends. Écoutez, si cela vous fait plaisir, je dois pouvoir vous faire visiter le musée moi-même maintenant. C’est encore un peu en chantier mais les collections sont en place. Laissez-moi une minute, le temps d’organiser cela pour vous.

72

En nous guidant à travers les couloirs de sa résidence, Albane Debreuil parle sans arrêt. Sa vie, les témoignages bouleversés des femmes qui lui confient à quel point ses sacs à main ont changé leur vie, les affreuses contrefaçons, les nouveaux produits en développement dont un étui à jetons de caddies… Que du passionnant. J’écoute d’une oreille distraite. Je me sens comme une athlète qui va entrer sur la pelouse du stade. L’épreuve m’attend au bout du corridor, vitrine 17. Lancer de poids ou lutte, je ne sais pas, mais cela finit immanquablement par un sprint suivi d’une course de fond. Une sorte de triathlon façon Julie. J’espère que la vitrine 17 ne contient pas un bijou trop lourd ou un masque en or massif sinon je n’arriverai jamais à cavaler avec. Peu importe, je suis décidée à remporter la médaille. C’est mon but ultime, le sommet de ma carrière, vingt-quatre heures avant que Ric n’entre à son tour dans l’arène. Je vais le coiffer au poteau et lui offrir ma victoire.

Nous arrivons dans le couloir d’accès qu’emprunteront les visiteurs. Il y a encore du plastique sur les moquettes. Des fils pendent des faux plafonds. Bien que la tentation soit grande, j’ai payé pour apprendre qu’il ne faut JAMAIS les mettre à la bouche. Les escabeaux et les outils encombrent le passage. On sent que le lieu a été évacué d’urgence de ses ouvriers pour nous laisser la place.

Sur les murs, histoire de mettre les visiteurs en condition avant d’entrer dans le sanctuaire de la légende, des photos sont alignées. Charles Debreuil pendant ses expéditions, Charles Debreuil ou son fils posant avec les stars, les icônes des décennies passées et les puissants du monde entier. S’étalent aussi les fameuses campagnes de pub de la marque. Acteurs, chanteuses, sportifs, tous ont tôt ou tard associé leur image aux emblématiques bagages de la marque. Quelques clichés présentent aussi Albane en grande compagnie. Je vous parie qu’elle va faire placarder une des photos prises par Sophie au cas où Mme Dostoïeva reviendrait…

Notre hôte explique :

— Le public accédera par une entrée dédiée du domaine. Parking de cent places, une boutique avec beaucoup de petites choses à tous les prix… Merchandising spécifique.

Nous arrivons dans le grand hall qui dessert les différentes zones du musée. Trois agents de sécurité armés se font aussi discrets que possible. Je demande innocemment :

— Cet endroit doit être remarquablement protégé ?

— Nous bénéficions des toutes dernières avancées technologiques. La surveillance a été conçue pour être opérationnelle dès les abords du domaine. Nous pouvons boucler l’ensemble du bâtiment en moins de quatre secondes.

« Bonne chance Ric, avec ta perceuse… »

Nous traversons deux petites salles où sont présentées les différentes techniques de fabrication. Vingt-trois fois la surface de mon appart pour expliquer comment on fait un sac à main…

Mme Bergerot me murmure :

— Il faudrait que j’aille aux toilettes…

— Mme Dostoïeva souhaiterait connaître la valeur des pièces que vous exposez.

— L’ensemble de la collection est assuré pour 26 millions. Mais, au-delà de cette valeur, certaines pièces sont inestimables. Nous avons par exemple des bagages historiques ou des bijoux d’exception qui font partie d’une collection créée par mon grand-père. Mon père l’a considérablement enrichie à son tour et je poursuis leur œuvre. Vous allez pouvoir en juger.

Nous voilà au seuil d’une salle plus vaste. Je crois reconnaître la forme du plan des dossiers de Ric. Albane écarte les bras comme une prêtresse en transe :

— Nous voici au cœur de notre musée. Mon grand-père et mon père auraient été si fiers…

Des murs aveugles, un plafond assez bas, une multitude d’éclairages ponctuels qui créent une ambiance élégante, mais aussi des caméras partout et des détecteurs. La porte est blindée. Cet endroit est un vrai coffre-fort. Les vitrines y sont harmonieusement disposées. Sur chacune, figure une pancarte provisoire avec son chiffre.

La numéro 1 est ouverte sur plusieurs objets de maroquinerie usés — un porte-documents, un sous-main et une parure de bureau.

— Ces pièces ont trôné sur le bureau des monarques d’Angleterre. Elles ont été offertes par mon aïeul et mon père les a rachetées lors d’une vente au profit des œuvres de la Couronne.

J’essaie d’apercevoir la vitrine 17. La pression monte. Si je dois fuir, je n’ai pas d’autre choix que de passer par l’unique porte de cette salle. Dans le hall, je vais tomber sur les trois gorilles. Si j’ai l’air calme et naturelle, ils n’oseront sans doute pas m’arrêter.

Vitrine 6 : un premier collier. Spectaculaire rivière de diamants et d’émeraudes. Magnifique. Vitrine fermée, clignotant rouge sur le socle de velours noir qui supporte la parure. Avec la fortune que cette pièce à elle seule doit représenter, Ric et moi aurions sans doute de quoi vivre pour le restant de nos jours.

Vitrine 10 : Un bagage à tiroirs secrets spécialement fabriqué pour le célèbre danseur et chorégraphe Vladimir Tarkov, qui transportait une relique sacrée, un morceau du voile de sainte Clotilde. Ce qu’il considérait comme son porte-bonheur le suivait dans toutes ses tournées et, avant d’entrer sur scène, il l’embrassait.