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Vitrine 12 : La malle dans laquelle le corps du dissident argentin Pablo Jumeñes fut jeté dans le fleuve Parand à Rosario.

— En vous penchant, confie Mme Debreuil, vous distinguerez les traces de sang au fond et les rayures faites avec ses ongles pour essayer d’en sortir. Il a dû souffrir atrocement avant de périr noyé.

J’aperçois enfin la vitrine 17, mais je n’arrive pas à identifier ce qu’elle renferme. La 14 et la 15 contiennent toutes les deux des bijoux, toujours plus gros, toujours plus chers. Il y a même un œuf de Fabergé. On se croirait à la tour de Londres.

Nous atteignons enfin notre but : la vitrine convoitée par Ric. En découvrant son contenu, je ressens un choc. Elle ne renferme qu’un vieux sac à main. Ce n’est forcément pas ce que Ric ciblait. Je dois savoir. Je fais un effort surhumain pour demander d’un ton léger :

— Votre musée est superbe. J’aime beaucoup l’enchaînement et l’alternance des vitrines. Comment répartissez-vous les objets présentés ?

— Au feeling. Nous avons longuement réfléchi à la scénographie du lieu mais nous procédons à des ajustements chaque jour.

J’en étais sûre. Ils auront changé l’ordre des vitrines au dernier moment. Quel bijou Ric pouvait-il convoiter ? La rivière de la 6 ? Je reste interdite devant la vitrine 17, abasourdie par ce changement qui remet en cause tous mes plans. Mme Bergerot s’approche. Elle se doute que quelque chose me contrarie mais ne peut pas me parler. Albane est trop proche et pourrait entendre. Irina Dostoïeva contemple le vieux sac usé avec moi.

— C’est une pièce très spéciale, commente Mme Debreuil, mais j’avoue que j’ai hésité à la présenter au public. Au départ, nous avions prévu de placer ici un de nos plus beaux joyaux.

« Je m’en doute, et tu n’imagines pas à quel point ça me pose un problème… »

— Ah bon ?

— Notre conseiller muséographique a dit que la part patrimoniale n’était pas assez représentée, alors j’ai cédé. Ce sac est le premier qui fut produit dans nos ateliers. C’est l’ancêtre de toutes nos collections, la base de notre plus célèbre produit.

Je n’arrive pas à me ressaisir. Mme Bergerot flotte aussi. Mme Debreuil le remarque :

— Vous semblez fascinée par cette pièce ?

— La première pierre d’un édifice est toujours émouvante, parviens-je à prononcer.

Albane semble hésiter :

— Si cela peut faire plaisir à Irina, je serais heureuse de la lui offrir.

— C’est très gentil, mais Mme Dostoïeva n’a pas pour habitude de recevoir ce genre de présent.

— Elle semble tellement sous le charme… Demandez-lui ce qu’elle en pense. De toute façon, j’avais prévu de lui offrir notre dernier modèle… À la place, elle recevra le premier ! Si nous nous associons, elle aura de toute façon accès à notre patrimoine.

Je traduis. Mme Bergerot reste interdite. Sans attendre la réponse, Mme Debreuil fait signe à une caméra toute proche. Elle désigne la vitrine. Un léger déclic résonne dans le silence feutré. Cette collection est imprenable. Je ne sais pas quel bijou Ric comptait voler, mais il n’y serait de toute façon pas arrivé.

Albane Debreuil ouvre la vitrine blindée et soulève le sac. En s’inclinant respectueusement, elle le présente à Mme Bergerot :

— Voici un modeste souvenir de notre première rencontre. Et que cela ne vous engage à rien d’autre qu’à une longue amitié partagée !

Je traduis avec beaucoup de mal. J’ai la tête en vrac. Que vais-je dire à Ric ? Quelle victoire vais-je lui offrir ? S’il tente le coup malgré mon repérage, il se fera prendre. Je n’ai rien résolu du tout. Je ne l’ai pas sauvé. Je ne l’ai pas coiffé au poteau. Je suis simplement désormais parfaitement consciente du traquenard absolu dans lequel il va se jeter. Quoi qu’il fasse, je vais le perdre. S’il échoue, il finira en prison. S’il réussit malgré tout, il s’enfuira sans moi puisque je n’ai pas su lui inspirer confiance, et je le perdrai aussi.

Il me faut un autre plan pour éviter la catastrophe. Le seul qui me vienne sur l’instant, c’est d’assommer Ric et de le ligoter pour l’empêcher d’accomplir son forfait. Ensuite, je le séquestrerai pour toujours. Je compte sur le syndrome de Stockholm pour qu’au fil des années, il finisse par m’aimer.

73

Xavier nous a raccompagnées jusqu’à la boulangerie. Sur le trajet du retour, à la fois soulagés et ravis de leur exploit, lui et Mme Bergerot n’arrêtaient pas de rire et de commenter la comédie que nous venions de jouer. Je n’ai pas dit un mot.

Sophie nous attendait sur le trottoir. En voyant le grand véhicule, Mohamed est sorti de sa boutique. Lorsqu’il a compris que c’était nous, il m’a rapporté les trois lettres.

— Tout s’est bien passé ? m’a-t-il demandé.

— Personne n’aura d’ennuis, c’est déjà ça.

— Tu n’as pourtant pas l’air très heureuse.

— Il n’y a pas de quoi l’être.

— Voilà tes lettres. Je ne sais pas ce qu’elles contenaient mais, vu les destinataires, je suis content de ne pas avoir eu à les poster. Récupère les timbres avant de les détruire.

— Merci Mohamed.

Je l’embrasse.

Sophie fonce sur moi :

— Alors ?

— Rien. Je n’ai pas un seul carat pour Ric.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Aucune idée.

Je la prends dans mes bras.

— En tout cas, je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi aujourd’hui. Si j’ai une sœur sur cette terre, ma vieille, c’est toi.

Je la serre comme si je n’allais plus jamais la revoir de ma vie.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? On l’a quand même fait. C’était pas rien ! T’auras qu’à dire à ton mec que tu as tenté l’impossible pour lui et que ce n’est pas ta faute si c’est sans espoir.

« Sans espoir, exactement comme moi. »

— Sophie, s’il te plaît, n’efface pas les photos de ton reportage. Ça fera des souvenirs.

— Tu peux même compter sur moi pour faire des agrandissements et te faire chanter avec.

— Vilaine garce.

— Sale pouffiasse.

— Je t’aime.

Elle m’étreint à son tour. Xavier s’approche :

— Julie, je m’excuse mais il va falloir que je retourne au boulot. Je suis grave à la bourre.

Je le prends dans mes bras. Ce trottoir ressemble de plus en plus à un quai de gare où se dérouleraient des adieux déchirants.

— Xavier, merci pour tout. Ta voiture est un chef-d’œuvre et tu es un mec en or.

— Aucun problème, c’était cool. Je ne sais pas trop ce que tu cherchais en faisant tout ça, mais j’espère que tu as eu ce que tu voulais.

— Vous voir m’aider, vous voir risquer autant pour moi, c’est le plus beau trésor que j’ai découvert dans ce musée.

Je l’embrasse de tout mon cœur :

— J’ai une chance incroyable de vous avoir comme amis et je suis une idiote de vouloir plus.

Je vais pleurer sur son costume. Il referme ses grands bras autour de mes épaules.

— Julie, si Ric ne se rend pas compte tout seul de la fille fantastique que tu es, compte sur moi pour lui ouvrir les yeux à coups de pied.

On se sépare. Xavier et Sophie remontent chacun dans leur véhicule, celui de Sophie tient presque dans la largeur de celui de Xavier. Drôle de cortège qui finit par disparaître en klaxonnant au bout de la rue.

Mme Bergerot et moi restons seules sur le trottoir.

— C’est pas tout ça, ma fille, dit l’ex-femme d’affaires russe, mais il va falloir se remettre au travail.