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— Eh bien, nous évoluerons.

Il me touche avec sa patte pour me forcer à m’arrêter et me fixe.

— Ce n’est pas si simple, Bastet. La guerre qui se répand progressivement est préoccupante même pour les chats.

Je remarque que Pythagore a prononcé plusieurs fois mon nom. Peut-être que, désormais, je suis importante pour lui. Je suis persuadée qu’il commence à comprendre que moi aussi je suis spéciale.

Je marche fièrement à côté de lui, la queue dressée. Loin de m’inquiéter, toute cette connaissance nouvelle, d’une certaine manière, me rassure. Maintenant je sais beaucoup mieux qui je suis, de quoi j’ai l’air, où je vis, et ce qui se passe autour de nous.

Être instruite me semble le plus grand des privilèges et je plains ceux qui vivent dans l’ignorance.

8

Drogue lumineuse

Nathalie ronfle la bouche ouverte, les cheveux ébouriffés, les paupières légèrement frémissantes.

Je me mets à ronronner près de ses oreilles.

Dors, servante humaine, pendant que ton monde est en train de s’effondrer sous le coup du terrorisme et de la guerre. Ne t’inquiète pas, Pythagore et moi, nous sommes là, instruits et prêts à agir.

Alors que l’aube se lève, je décide d’entamer moi-même un petit somme afin de réunir mes idées et mes forces. Je m’installe dans mon panier et plonge lentement dans le sommeil en pensant à Pythagore. Je n’arrive pas à croire qu’il suffit d’avoir un trou dans la tête pour comprendre les hommes.

Non, il y a forcément autre chose. Il a parlé d’un secret. Je veux le découvrir.

Pythagore connaît les noms et les usages des objets humains, les noms des animaux, la signification du comportement des hommes. Moi je ne connais que le nom des personnes qui m’entourent, à force de les entendre répétés.

Je finis par m’endormir complètement.

Dans mon rêve je vois des poissons comme Poséidon sortir de l’eau pour ramper sur le sol dur. Je les touche avec ma patte. Puis je vois ces poissons se transformer en lézards. Je les attrape et je leur coupe la queue, mais celle-ci repousse. Ensuite je vois les lézards grandir pour devenir géants. Je m’enfuis. Puis une étoile filante vient frapper la Terre. Le ciel devient noir et tous les grands lézards meurent. Apparaissent alors, sortant des herbes, des petits et des grands humains et des petits et des grands chats. Les grands humains sont évacués par les petits humains. Les grands chats sont repoussés par les petits chats. Les petits humains nourrissent les petits chats qui les aident en tuant des souris qu’ils offrent aux humains, et ceux-ci les remercient en retour en s’endormant dans des trous sous terre à leur côté.

Puis dans mon rêve apparaît Pythagore poursuivi par un chien, je le sauve et nous faisons l’amour.

Pythagore me mord le cou.

Je suis réveillée par la sonnerie de la porte d’entrée.

Je bâille, m’étire, me sens parfaitement bien.

C’est encore Thomas, le mâle de ma servante. Celui-là je ne l’aime décidément pas. Ils parlent dans leur langage d’humains, puis vont dans la cuisine pour manger des aliments marron qui sentent la viande chaude accompagnés de rubans blancs et mous qui ne sentent rien. Ensuite, ils plongent leurs cuillères dans des pots de crème jaune qu’ils mangent goulûment. Ma servante pense à me nourrir, ainsi que Félix, mais je sens qu’elle vibre différemment du fait de la présence de son mâle. Pour ma part, j’attends la nuit pour retrouver le mien.

Je décide de tourner autour de leurs jambes pour me frotter contre eux et les imprégner de mon odeur. Comme ils continuent de manger sans me prêter attention, je sors mes griffes et racle le bois de la chaise. Thomas consent enfin à s’intéresser à moi. Il prononce mon nom et sort de la poche de sa veste un tube argenté. Il répète mon nom puis soudain fait jaillir de son tube… un rond de lumière rouge qui vient illuminer le sol. Non seulement c’est très beau, mais en plus cela bouge dans tous les sens d’une manière qui est loin de me laisser indifférente. Je bondis, mais à peine l’ai-je approché que le rond rouge est parti sur le mur. Je saute bien haut, le rond rouge est sur le rideau. Je tente d’attraper le rond sur le rideau, sur la chaise, puis sur le divan, puis devant moi, puis loin de moi, puis au plafond, puis… sur ma propre queue. Cette fois-ci je ne veux plus le laisser filer alors je mords très fort ma queue, ce qui me fait hurler de douleur. Le rond rouge a disparu…

Les deux humains me montrent du doigt et font des clappements de bouche très bruyants.

Je suis vexée et en même temps j’ai honte d’avoir eu la faiblesse de m’être prêtée à ce jeu stupide.

Personne n’a le droit de m’humilier ainsi. A fortiori pas des humains qui sont uniquement censés me servir.

Je rumine dans mon coin ma vengeance pendant qu’à nouveau, ayant fini de manger, les deux humains vont s’installer dans le salon pour scruter une fois de plus leur abominable télévision.

J’observe moi aussi la succession d’images. Maintenant, grâce à Pythagore, je sais que ce sont des humains qui s’entretuent très loin, dans d’autres villes. Les scènes de guerre sont entrecoupées par l’intervention d’un présentateur assis, qui parle sur un ton monocorde, épaules carrées, poils laqués sur la tête, comme s’il n’était pas vraiment concerné par les images choquantes qui défilent. Il sourit en permanence.

Cette fois-ci Nathalie se domine et aucun liquide ne coule de ses yeux. En fait je crois qu’elle commence à s’habituer à la violence.

Puis apparaissent à nouveau des images de football et je les sens complètement excités. Thomas parle en direction de la télévision. Il se lève, soupire, semble vivre quelque chose d’émotionnellement bien plus fort que la guerre.

Je profite de cette diversion pour opérer sans plus attendre mes représailles et uriner dans ses chaussures qu’il a déposées dans l’entrée, comme à son habitude, pour ne pas salir.

Ensuite je m’installe dans un endroit hors de portée : le sommet du réfrigérateur, et j’attends. Lorsque Thomas découvre mon petit cadeau, arrive ce que je subodorais : il crie, court, tape du pied, s’énerve, montre les chaussures, prononce mon nom sur un ton franchement hostile. Nathalie lui répond par des phrases où mon nom est à nouveau répété, mais de manière beaucoup plus sympathique. Cela ne le convainc pas. Il me cherche partout et je me recroqueville un peu plus pour qu’il ne me voie pas.

Le ton monte entre les deux humains. Thomas est de plus en plus agressif.

Finalement, il sort de la maison en chaussettes, ses chaussures à la main, et claque la porte.

Après un instant d’hébétude, ma servante tombe dans le fauteuil et se met à pleurer. Je descends du réfrigérateur et, à petits pas, m’approche. Je monte sur ses genoux et frotte mon nez contre le sien, mais elle ne veut pas m’embrasser. Je me mets à ronronner en mode basse fréquence quelque chose qui signifie : Ce mâle est indigne de toi.

Nathalie continue d’émettre une émotion triste alors je lèche ses larmes sur ses joues et ronronne une autre idée : Par contre tu pourras toujours compter sur moi.

Comme elle ne semble toujours pas apaisée, je me dis que le mieux est de lui faire comprendre qu’il faut chercher d’autres mâles. Je pense que dans sa catégorie d’humains elle doit plaire (personnellement, je trouve tous les humains très laids, mais s’ils se livrent à des actes de reproduction, j’en conclus qu’ils doivent bien se trouver mutuellement un charme quelconque).