Выбрать главу

Je lui explique que pour ramener des mâles, ce n’est pas compliqué. Il suffit de se promener hors de la maison et de marcher en montrant bien son fondement. S’il est rose et un peu boursouflé, cela participe à l’effet attractif. L’émission d’odeurs sexuelles et le message parviennent aux mâles humains en manque, qui accourent pour des saillies. Non seulement elle ne me comprend pas et se refuse à exhiber son fondement en hurlant sur les toits comme je le lui conseille, mais elle continue de dissimuler sa chair sous plusieurs épaisseurs de tissu.

Il y a encore beaucoup de travail pour améliorer notre communication. Et comme si cela ne suffisait pas, Nathalie accomplit à nouveau le pire : elle allume une cigarette.

Je ne la comprendrai jamais. Pourquoi se mettre volontairement de l’air sale dans les poumons ?

Écœurée et refusant que mon poil s’imprègne de cette odeur ignoble, je monte au deuxième étage et profite que la porte-fenêtre du balcon soit ouverte pour me placer à l’endroit où j’ai vu Pythagore hier.

Je miaule pour l’appeler. Je module plusieurs notes.

Enfin sa silhouette apparaît.

D’un signe, nous convenons d’aller au Sacré-Cœur discuter en hauteur.

Lorsque nous nous retrouvons dans la rue, nous nous touchons le front, nous frottons la truffe, puis nous mettons en route.

Arrivés sur place, nous grimpons au sommet de la plus haute tour. Il fait froid et le vent, ce soir, est encore plus fort que la première fois. Je suis tout ébouriffée, mais il est hors de question que nous allions ailleurs.

— Aujourd’hui j’ai été humiliée par une lumière rouge, lui dis-je.

— Un laser ? Moi-même, je me suis déjà fait avoir. Il faut beaucoup de volonté pour y résister, mais avec un peu d’entraînement certains y parviennent.

— Et en plus ils produisaient des clappements avec leur bouche.

– Ça s’appelle « rire ».

Je change de sujet.

— Qu’est-ce qui pousse les humains à s’entretuer avec une telle frénésie ?

— Il y a plusieurs raisons : acquérir des territoires plus larges, voler les richesses de leurs voisins et leurs jeunes femelles fécondes, les convertir à la religion de leur Dieu.

— C’est quoi un « dieu » ?

— Il s’agit d’un personnage imaginaire. Il est représenté le plus souvent sous la forme d’un géant qui vit dans le ciel. Il a une robe blanche et une barbe. C’est lui qui édicte ce qui est bien et ce qui est mal. C’est lui qui juge. C’est lui qui décide de tout ce qui va arriver aux humains.

— Et tu dis que c’est un personnage qu’ils ont inventé ?

— Ils ont suffisamment de goût pour les personnages imaginaires pour être prêts à tuer ou à mourir pour lui. En fait, pour être juste, Dieu est depuis quelque temps la raison principale du terrorisme et des guerres.

— Mais tu m’as dit qu’aucun humain ne l’avait rencontré.

— Pour nous, les chats, cela peut évidemment paraître illogique, mais il semblerait qu’ils aient créé Dieu parce qu’ils ne supportaient pas d’être libres et responsables de leurs propres actes. Grâce à cette notion, les humains peuvent se percevoir eux-mêmes comme des êtres qui ne font qu’obéir à un maître. Tout ce qui arrive est « Sa » volonté. C’est également un moyen pour les religieux qui prétendent parler en son nom d’assujettir les esprits les plus faibles. Nous, les chats, nous sommes capables de nous sentir responsables de nos actes et nous sommes capables de supporter d’être libres. Nous n’avons pas besoin d’imaginer qu’un chat géant dans le ciel nous surveille.

Je réfléchis à ses propos en me léchant. Je ne tiens personne d’autre pour responsable de ce qui m’arrive, je tente toujours seule d’améliorer ma vie. Pythagore semble avoir perçu ma pensée car il enchaîne :

— Pourtant, il reste quand même des raisons de craindre le ciel… Dans le passé, la mort a frappé d’un coup, partout, tout le monde. Il y a eu cinq grandes extinctions. Ce sont des moments où presque tout ce qui vivait a péri. La dernière a frappé il y a soixante-six millions d’années et a vu disparaître soixante-dix pour cent des animaux, dont les dinosaures.

— Et une sixième grande extinction d’espèces pourrait avoir lieu, selon toi ?

— Le terrorisme. La guerre… Les humains ont désormais le pouvoir de détruire massivement et rapidement. Ce qui se passe actuellement révèle qu’ils sont comme toi face à ta première rencontre dans le miroir : ils veulent anéantir ce qui est similaire. N’ayant plus d’adversaires, ils ont retourné leur agressivité contre eux-mêmes.

Je secoue la tête et il développe son idée :

— Je me suis même demandé si le fait d’être trop nombreux sur cette planète ne les poussait pas inconsciemment à réduire leur nombre afin de préserver les autres espèces.

Pythagore se lèche les pattes et les passe l’une après l’autre derrière ses oreilles. Je suis impatiente d’avoir la suite du récit.

— Es-tu prête pour ta deuxième leçon d’histoire, Bastet ?

Je me tasse sur mes pattes et replie ma queue sous mon ventre dans une position confortable.

— Après Chypre, l’Égypte. C’est un pays lointain et chaud, en grande partie désertique. Un pays où, en 2500 avant Jésus-Christ (c’est le nom d’un homme dont la naissance est un repère dans le temps. Il est né il y a deux mille ans. Donc, en 2500 avant Jésus-Christ, c’est il y a quatre mille cinq cents ans), cette civilisation égyptienne a créé une religion fondée sur le culte de Sekhmet, la déesse à tête de lion. Mais les lions avaient tendance à… dévorer les prêtres qui les nourrissaient. Il y eut tellement de morts que les Égyptiens inventèrent une sœur à Sekhmet, une déesse à tête de chat qu’ils nommèrent… Bastet.

— Mais c’est moi ! Je porte le nom d’une déesse égyptienne jadis vénérée par les humains !

— Les Égyptiens s’étaient aperçus que les chats étaient plus intéressants que les lions. D’abord parce qu’ils étaient moins encombrants, moins compliqués à nourrir, et se laissaient plus facilement caresser. Ensuite parce qu’ils chassaient une plus grande quantité de souris et de rats, donc ils protégeaient mieux les réserves de céréales. Enfin parce qu’ils protégeaient aussi les maisons des scorpions, des serpents et des grosses araignées venimeuses.

J’essaye d’imaginer ce monde où les hommes créent des temples pour nous vénérer.

– À l’époque, ils nous appelaient « miou ». D’ailleurs, il est intéressant de noter que, dans la plupart des pays, nous avons été nommés avec des mots à sonorité proche de notre cri.

— Continue sur Bastet, je veux savoir ce qu’elle représente.

— Elle était la déesse de la beauté…

Normal.

— … et de la fécondité.

Évidemment.

— Le culte de Bastet était pratiqué en particulier dans le temple en granit rouge de la ville égyptienne de Bubastis. Ce temple était peuplé de centaines de chats et une fois par an se déroulait une grande fête où des dizaines de milliers d’humains venaient de partout pour glorifier la déesse et lui offrir des cadeaux.

Ça me convient.

— Les humains dansaient, chantaient en psalmodiant sur tous les tons le nom de Bastet. Ils mangeaient, buvaient et étaient heureux dans la vénération de la déesse à tête de chat.

— Finalement, ça ne me déplaît pas tant que ça, la religion.

— Bastet était aussi censée soigner les maladies des enfants et veiller sur le cheminement de l’âme des morts. Les femmes égyptiennes voulaient d’ailleurs ressembler physiquement à des chattes. Elles se faisaient des scarifications sur les joues pour imiter nos moustaches, des incisions sur les bras dans lesquelles elles versaient quelques gouttes de sang de chat dans l’espoir de prendre notre beauté et notre intelligence.