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Elle dévale l’escalier menant au sous-sol. Je la suis.

Nous voilà au milieu des machines à laver, des poussettes, des valises, des vieux tableaux et des bouteilles de vin. Il n’y a que peu de lumière — un simple rayon issu du soupirail —, j’élargis donc au maximum mes pupilles (de fines fentes elles deviennent larges cercles) et arrive ainsi à me mouvoir dans la quasi-obscurité.

Nous, les chats, nous savons accomplir ce genre de prouesse.

Je peux même distinguer ses empreintes sur le sol poussiéreux. Je les suis un temps, puis elles disparaissent.

Je ferme les yeux, mes oreilles aux aguets pour localiser la souris grâce à mon ouïe ultrafine. Ce sont ensuite les extrémités de mes moustaches qui vibrent et permettent d’affiner l’information.

Elle est par là.

Plus loin, je retrouve en effet des empreintes qui mènent à une fissure dans le mur, tout près du sac de bûches.

J’avance à pas feutrés.

Êtes-vous là, petite souris ?

J’entends son cœur qui bat fort. De l’inquiétude, elle est passée directement au stade de la panique totale.

Je me penche et la vois cachée dans un trou pas plus large que ma patte.

Elle tremble de tout son corps, yeux exorbités, mâchoires entrouvertes, queue enroulée devant ses pattes.

Est-il possible que ce soit moi qui l’effraye à ce point ? Pourtant je ne suis qu’une jeune chatte.

Je pense que des années d’incompréhension entre nos deux espèces ne participent guère à surmonter notre méfiance mutuelle. Je me concentre et envoie un message télépathique suivi par un ronronnement en ondes à fréquences basses.

Je ne souhaite pas vous tuer mais simplement dialoguer d’esprit conscient à esprit conscient.

Elle recule encore pour se plaquer au fond de son trou. Elle tremble si fort que j’entends ses dents qui s’entrechoquent.

Je passe en mode ronronnement, sur une fréquence médiane.

N’ayez pas peur.

Sa respiration devient plus profonde et ses battements de cœur plus rapides, comme si cette pensée, ayant été perçue, produisait l’effet contraire à celui recherché. Mais pourtant je sens que j’y suis presque.

Ne croyez surtout pas que…

C’est à ce moment qu’une détonation me fait sursauter. Cela provient de l’extérieur de ma maison, de la rue. Elle est immédiatement suivie de plusieurs autres claquements secs, puis de cris aigus.

Je remonte jusqu’au premier étage, je sors sur le balcon de la chambre et, depuis ce point de vue élevé, j’essaye de voir ce qui provoque ce trouble.

Je distingue un humain habillé en noir qui brandit une sorte de bâton dont l’extrémité crépite de petites lueurs en direction de jeunes humains qui sortent d’un grand bâtiment dont la porte est surmontée d’un drapeau bleu, blanc, rouge.

Certains d’entre eux tombent et ne bougent plus. Les autres courent dans tous les sens et poussent des hurlements tandis que l’humain vêtu de noir continue de produire des détonations avec son bâton. Lorsque ce dernier semble ne plus fonctionner, il le jette au milieu des jeunes humains qui crient et s’effondrent sur le trottoir, puis il se met à courir.

D’autres humains le poursuivent dans la rue et parviennent à l’attraper, pratiquement devant la porte de ma maison. Ils se battent avec leurs poings et leurs pieds.

Des voitures surgissent maintenant de partout, alors que les cris et les gémissements résonnent de toutes parts.

Puis l’homme habillé en noir est emporté par une voiture très bruyante qui fait tournoyer une lumière bleue sur son toit. Pendant ce temps, la foule s’accumule autour de ma maison et de l’immeuble avec le drapeau. Les cris cessent enfin, mais les humains parlent vite et fort et je perçois une émotion, comme un nuage palpable : la douleur. Certains se disposent deux par deux, l’un parlant avec une boule à la main et l’autre l’éclairant à l’aide d’un objet surmonté d’une lampe. Les hommes à la boule s’expriment dans leur langue, seuls face à l’objet, puis la lampe s’éteint.

Un camion blanc surmonté lui aussi d’une lumière bleue arrive en produisant à son tour un terrible vacarme. Les jeunes humains à terre sont ramassés, puis déposés à l’intérieur de ce véhicule. Instinctivement j’aspire ce que je peux de la noirceur et des mauvaises ondes émises par cet incident. Tout mon corps absorbe l’agressivité, la douleur, le sentiment d’injustice des humains présents. Je ronronne pour nettoyer l’espace face à moi. Je sens toutes les vibrations alentour, et je ne peux m’empêcher d’être profondément perturbée.

Quels étranges comportements. Je ne les ai jamais vus accomplir cela auparavant. Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’ils se comportent ainsi ?

J’aime bien les humains, mais je ne les comprends pas toujours.

3

Ma servante

Les humains ne sont pas comme nous.

Physiquement, déjà, ils sont différents. Ils avancent sur leurs pattes postérieures dans une position verticale assez instable qui m’a toujours intriguée. Ils sont plus grands, plus hauts. Leurs bras sont prolongés par des mains elles-mêmes terminées par des doigts articulés, avec des griffes plates non rétractables. Leur peau est recouverte de tissus. Leurs oreilles plates et rondes sont placées sur les côtés, leurs moustaches sont très courtes, ils n’ont pas de queue visible. Au lieu de miauler ils produisent des sons de gorge accompagnés de clappements de langue. Une odeur de champignon émane d’eux. Ils sont, de manière générale, bruyants, maladroits, avec un sens de l’équilibre très restreint.

Ma mère m’a toujours dit : « Méfie-toi des humains, ils sont imprévisibles. »

Justement, fendant la foule qui s’est massée devant ma maison, voilà qu’arrive mon « humaine personnelle ».

Ma servante est un beau spécimen de femelle. Elle a une longue crinière de poils bruns luisants, réunis par un très joli élastique rouge.

Elle se nomme Nathalie. Elle franchit la porte, tenant tant bien que mal un grand carton dans ses bras. Pour lui montrer que si je pouvais, je l’aiderais, je cours vers ses jambes et zigzague entre ses pieds, en claquant gentiment des dents.

Étonnée, déséquilibrée et sur le point de tomber, elle se rattrape de justesse et émet plusieurs sons parmi lesquels je perçois mon propre nom « Bastet » (j’ai déduit que je me nommais ainsi à sa façon de s’adresser à moi). Son intonation me laisse penser qu’elle souhaite jouer. Je fais alors brusquement un pas sur le côté et la prends par surprise. Cette fois-ci elle s’étale de tout son long avec son carton. Franchement, quelle idée de marcher uniquement sur les pattes postérieures.

Je m’approche et me frotte à elle tout en ronronnant, espérant qu’elle consente à me caresser pour me remercier de cette facétie qui montre notre haut niveau de complicité. Nathalie prononce quelques mots dans sa langue incompréhensible. À son intonation, j’ai l’impression qu’elle est elle aussi bouleversée par ce qui s’est passé dehors. Je suggère aussitôt un moment de détente en jouant avec une chaussette qui traîne et que j’ai déjà bien mordillée — j’y avais trouvé une odeur de sueur humaine un peu aigre mais fort sympathique. Au lieu de cela, elle se relève et secoue le carton, comme pour vérifier l’état de son contenu.

Rassurée, elle poursuit son avancée vers le salon.