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— Tu avais disparu, je m’inquiétais, j’ai eu peur que tu ne reviennes plus jamais, je lui avoue.

— Ma servante avait besoin d’accomplir des expériences précises sur moi. Elle m’a emmené dans sa maison de campagne pour procéder à des manipulations avec un matériel qu’elle ne possède pas ici.

— Des expériences ?

— Elle souhaitait améliorer encore plus mon Troisième Œil.

— Pour te rendre encore plus intelligent ?

— Pour me rendre encore plus apte à comprendre leur monde. Car l’histoire s’accélère et il faut que je sois prêt à intervenir.

À nouveau il prend cet air mystérieux qui m’impressionne. Je ne sais pas de quoi il parle, mais il semble impliqué dans un processus qui me dépasse.

— Tu es rentré quand ?

— Il y a à peine quelques instants. J’ai senti que je devais venir te voir.

À son tour, sans m’en demander l’autorisation, il procède à un léchage de mes chatons.

Je lui désigne le plus agressif, l’orange.

— Félix — qui est probablement le père — est blanc, moi je suis blanc et noir. Comment est-il possible que celui-ci ait cette teinte ?

— Les lois de la génétique, élude-t-il.

Je lui montre mon nouveau collier.

— Très beau, mais ce n’est pas qu’un bijou. Ta servante t’a offert ce collier bien particulier car il s’agit d’une balise GPS. Elle a probablement dû s’inquiéter suite à la virée que tu as effectuée sur son chantier, et fait en sorte que cela ne puisse pas se reproduire.

Bien que cela soit très agaçant, ça n’en reste pas moins rassurant de savoir que je ne pourrai plus jamais me perdre.

Pythagore me désigne mes chatons.

— Tu ne pourras pas les garder tous, signale-t-il.

— Hein ? Comment ça ?

— Les humains gardent rarement toute la portée.

— Ils en font quoi alors ?

— Ils les vendent, les offrent, ou les… noient.

— Quoi !

— C’est ainsi que font les humains depuis toujours. Cela n’a rien d’extraordinaire. Ta servante a deux chats adultes : toi et Félix, elle ne peut pas en gérer cinq de plus.

— Mais ce sont mes enfants !

— Dans son esprit d’humaine, elle pense que tes chatons lui appartiennent.

— C’est ma maison et c’est ma servante.

— C’est une humaine, elle fonctionne avec les règles des humains. Et n’oublie pas qu’ils se prennent pour l’espèce supérieure.

— Il est donc plus que jamais nécessaire que je réussisse à lui parler, ne serait-ce que pour lui dire que je souhaite garder mes chatons et que je me sens prête à les assumer, seule, tous autant qu’ils sont.

– Ça m’étonnerait que cela marche.

— Aide-moi, Pythagore, puisque tu es pourvu d’un Troisième Œil.

— Je te rappelle que je maîtrise la réception des informations humaines, pas l’émission.

— Un jour j’arriverai à émettre, d’esprit à esprit, je lui affirme, déterminée. Et alors je leur dirai ce qu’ils doivent faire.

Pythagore me fixe de ses grands yeux bleus.

— Je pense qu’actuellement ils ont d’autres préoccupations que d’écouter l’opinion des chats. Je ne sais pas si tu as perçu les actualités humaines récentes, mais après le terrorisme, les manifestations, les échauffourées, la vraie guerre approche.

— La « vraie » guerre, cela fait encore plus tousser et vomir que les « manifestations » ?

— Au lieu de lancer des fumigènes et des cocktails Molotov, ils se tirent dessus au fusil (tu sais, ces bâtons qui crachent du feu) et se lancent des grenades ou des bombes qui explosent comme celle que nous avons vue de loin. Cela génère beaucoup plus de dégâts.

— Donc la journée commence avec deux informations intéressantes : ma servante veut offrir (vendre ou tuer) mes enfants et la guerre va bientôt arriver ici.

— J’aurais préféré t’apporter de meilleures nouvelles, Bastet.

On sonne à la porte. Sophie, la voisine, vient rendre visite à Nathalie. Celle-ci attrape immédiatement mes enfants pour les poser sur un coussin de velours. Les deux humaines s’extasient devant ma progéniture en répétant mon nom. Elles font des photos avec leurs smartphones qui envoient des flashs. Puis le nom de Pythagore est prononcé.

— Je vais devoir abréger cet échange, dit le siamois, je crois que ma servante s’inquiète dès que je viens ici.

— Elle a peur de quoi ?

— Que je t’instruise « trop ».

Nous nous frottons l’extrémité du museau en signe d’adieu. J’adore le contact avec sa petite truffe. Dans le même mouvement nous mêlons nos poils de moustache, puis il place sa tête dans mon cou et remonte par à-coups comme s’il me repoussait.

J’aime bien quand il fait ça.

Puis sa servante le soulève et le prend dans le creux de ses bras, et ils quittent ma maison. Nathalie replace les chatons près de moi, qui aussitôt se remettent à téter.

Le contact avec leurs bouches affamées me donne l’impression qu’ils sont soudés à moi et que personne ne pourra nous séparer.

J’attends qu’ils aient fini de boire et qu’ils soient endormis pour les lécher puis les attraper par la peau du cou, comme ma mère le faisait avec moi.

Cela ne les réveille même pas.

Je les dissimule dans un coin de la cave pour éviter que Nathalie ne puisse les trouver.

Ensuite je ronronne pour les habituer à ce repère sonore.

Je réfléchis. Il y a forcément une solution. Il faut que je trouve une stratégie pour les sauver de la mort.

Je m’assure que tous mes chatons sont bien paisibles, puis je remonte dans la chambre de ma servante. Elle est étendue sur le lit, le visage recouvert d’une crème qui sent le concombre. Je me place sur son cœur que je sens palpiter.

Je ronronne en fréquence médium.

Il ne faut pas donner ou tuer mes chatons. Je souhaite les garder et m’en occuper moi-même.

Je répète plusieurs fois le message.

Je distingue ses cornées qui bougent sous ses paupières, signe qu’elle a une activité cérébrale intense. Elle rêve. Comme j’aimerais influer sur ses rêves pour la faire renoncer à son sombre projet. Sa main gauche s’ouvre et se ferme.

Elle se retourne et se met à ronfler. Son corps se détend.

J’espère qu’elle a compris.

Je retourne auprès de mes chatons et m’endors à mon tour.

Mon rêve du soir est particulièrement agréable. Dans ce songe je suis à nouveau svelte, musclée et souple, et je cours dans la forêt avec mes cinq chatons. Nous galopons côte à côte sur un sentier. Nous arrivons dans une clairière recouverte de fleurs jaunes et nous roulons ensemble dans les herbes.

Les rayons du soleil filtrent à travers les fougères, et des poussières de pollen montent dans les airs, propulsées par la chaleur. Au-dessus de nous, un rouge-gorge chante. Des papillons volettent. Les cinq chatons courent partout, s’émerveillant de chaque bout de bois ou du moindre caillou.

12

Crime

On me pince.

Je suis réveillée par les petites bouches de mes enfants qui se mettent à téter. C’est douloureux et rassurant à la fois.

Ils ont toujours les yeux fermés. Je miaule, mais ils ne réagissent pas. Il semblerait que les premiers jours ils ne soient pas qu’aveugles mais aussi sourds. Seul l’odorat leur permet de se guider jusqu’à mes distributeurs de lait maternel.