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— Prends-moi, là, tout de suite ! je lui ordonne.

Il ne bronche pas.

— Tu ne me veux pas parce qu’à toi aussi ils ont enlevé les testicules pour les mettre dans un bocal, c’est ça ?

Il se couche sur le dos, exhibe ses attributs, et je peux constater qu’ils sont intacts.

— Alors pourquoi tu ne veux pas faire l’amour avec moi ?

— « Pas de désir, pas de souffrance », répète-t-il d’un ton qui m’agace de plus en plus.

— Tu ne sais pas ce que tu rates, je réplique, un peu vexée.

— Si, je le sais, et c’est précisément pour ça que je préfère te dire non, me répond-il.

Échaudée par son comportement, je décide de rentrer à la maison.

J’ai énormément envie de faire l’amour. Comment assouvir cette pulsion ? Dois-je partir sur les toits pour me faire prendre par le premier chat de gouttière venu ?

Depuis que j’ai accouché, j’ai encore plus envie de me rappeler que je ne suis pas que mère, je suis aussi femelle.

Finalement, je retrouve mon panier et m’endors en faisant des rêves très sensuels.

14

Haut-le-cœur

Je suis réveillée par Angelo.

Celui-là, il commence sérieusement à m’énerver. Il m’a déjà tétée alors que je dormais et maintenant il me tord et me mordille les moustaches (je ne supporte pas qu’on touche à mes moustaches).

Aucun respect pour sa mère.

J’attends qu’il soit pile à la bonne distance et lui allonge un coup de patte (sans les griffes, quand même) qui l’envoie valdinguer. Voilà comment je conçois l’éducation moderne. Une société où les nouvelles générations ne respecteraient pas ceux qui leur ont donné la vie serait une société condamnée.

Il revient me narguer et je le frappe derechef.

Je songe en me léchant que tout est un problème de communication. Parfois, il faut répéter pour se faire comprendre. Je communique mal avec mon fils. Je communique mal avec mon humaine. Je communique mal avec mon mâle. Je ne communique bien qu’avec… le prétentieux siamois d’à côté qui en retour… me méprise.

J’entends des bruits dans la rue face à ma maison. Le spectacle commence. Je retrouve ma place au coin du balcon et j’observe. Cette fois-ci c’est un groupe d’humains qui poursuit un type seul. Ils le rattrapent et le rouent de coups. Cela ressemble à ce qui s’est passé hier, sauf qu’ils sont plus nombreux. J’observe la scène, les trois ont des couteaux et crient un slogan que tous les autres reprennent.

Puis de nouveau des humains en uniforme bleu marine arrivent pour protéger le premier homme à terre, et d’autres gens habillés de plusieurs couleurs viennent aider le groupe des trois, et tous se battent avec des bâtons et des couteaux. Encore une fois des projectiles sont lancés, et de la fumée irritante se répand.

Tant pis si je tousse, je reste, je veux voir comment tout cela va finir.

Un humain du groupe des trois dégaine une arme. On entend une détonation, puis une silhouette en uniforme bleu marine s’écroule.

Je me penche pour voir en détail la suite des événements.

Des renforts habillés en bleu marine surgissent. D’autres en face accourent eux aussi à la rescousse. Un troisième groupe d’humains différents des deux premiers se met à tirer. Il y a des cris, d’autres détonations. La confusion est totale.

J’ai l’impression qu’ils déploient des armes inconnues plus volumineuses qui font davantage de dégâts. À un moment, un homme brandit un tube terminé par une poire, tire en direction d’une maison. Celle-ci explose et s’effondre dans un grand nuage de poussière.

Ceux d’en face répliquent aussitôt. Une camionnette surmontée d’une tourelle se met à tirer et fait exploser les voitures derrière lesquelles des hommes se cachaient.

Des combattants en uniforme vert viennent aider ceux en uniforme bleu marine. C’est le signal que m’avait donné Pythagore pour reconnaître le début de la guerre.

Ça court, ça crie, ça tire. Je perçois aussi des détonations en provenance des rues alentour.

Les humains se planquent derrière les murs ou derrière les voitures dont certaines commencent à prendre feu. Ils tirent depuis les toits. Une odeur de brûlé envahit l’atmosphère.

Puis, comme l’orage, tout ce grabuge cesse d’un coup. Ceux qui le peuvent s’enfuient tandis que les autres gisent au milieu des gravats. Tout devient silencieux.

Nathalie n’est pas rentrée.

J’observe toujours la rue. Un blessé rampe et un autre, lui aussi bien amoché, se traîne sur les coudes pour le rejoindre. Ils s’empoignent, roulent, tentent de se mordre.

Tout cela me semble hallucinant. Est-il seulement possible de faire en sorte que les humains s’aiment à nouveau ? Il faudrait que je produise une sorte de ronronnement à très basse fréquence qui, dans un premier temps, calmerait leurs élans guerriers, puis leur donnerait envie de se reposer.

C’est peut-être ce qu’a accompli jadis la déesse Bastet. En constatant la détresse des hommes, leur irrépressible besoin de s’autolimiter, elle leur a proposé une vibration pour leur donner envie de dormir. En remerciement ils lui ont bâti un temple et ont commencé à la vénérer.

Une onde. Oui, j’en suis sûre, il doit exister une onde d’amour que je pourrais émettre en ronronnant pour apaiser toutes ces tensions que je sens autour de moi.

Après une très longue attente, Nathalie réapparaît enfin sur le seuil de la maison.

Elle est encombrée de plusieurs sacs remplis de victuailles qu’elle dépose dans le couloir de l’entrée. Elle semble très nerveuse. Elle a la crinière ébouriffée, ses paupières battent rapidement, ses vêtements sont déchirés. Elle semble à bout de souffle.

Elle s’effondre dans un fauteuil. Ses joues sont striées de larmes.

Son esprit vibre dans la confusion.

Je m’approche, m’assois sur ses genoux et me mets à ronronner. Elle commence à retrouver le sourire. Nous, les chats, nous avons ce pouvoir d’absorber toutes les mauvaises ondes et de les transformer en bonnes. Là où les chiens préfèrent déguerpir nous nous installons, nous nous imprégnons, nous nettoyons. C’est notre pouvoir d’« hygiène vibratoire ».

Elle hésite, me caresse, et je sens sous cette main qui tremble fort une peur palpable.

Puis soudain elle s’empare du téléphone. Elle parle vite avec des trémolos dans la voix. Le nom « Sophie » revient plusieurs fois et j’en déduis qu’elle communique avec la voisine.

Quelques instants plus tard, nous déménageons tous dans la maison de Pythagore.

Je comprends qu’en cette période de crise, les deux femelles humaines ont décidé de réunir leurs réserves de nourriture, et leurs chats.

Évidemment je n’aime pas trop changer mes habitudes mais là, les circonstances sont exceptionnelles : il faut m’adapter.

Félix non plus ne râle pas. Angelo court partout dans la nouvelle maison, trouvant forcément plein de nouveaux jeux dans ce lieu.

Il arrache les franges du tapis.

Il mordille les fils électriques, grimpe aux rideaux.

Les deux femelles humaines ferment la porte d’entrée en tournant plusieurs fois la clef dans la serrure. Puis elles disposent des planches qu’elles fixent avec des clous sur toutes les fenêtres et les accès extérieurs. Même la chatière est bouchée.

On ne voit plus l’extérieur mais on peut quand même aller sur le balcon de la chambre. Les deux humaines établissent là une haie de protection avec des meubles.