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Tête en bas, je suis prisonnière de son poing serré.

Même en me débattant, je ne peux l’atteindre ni avec mes griffes ni avec mes dents.

C’est alors que Pythagore saute sur l’épaule de Thomas, dégringole sur son bras pour rejoindre son poignet et mord de toutes ses forces sa main jusqu’à ce qu’elle lâche.

Libérée, je fonce derrière le siamois, qui s’enfuit par le soupirail de la cave, bondissant hors de cet enfer. Nous traversons la rue et nous réfugions dans les branches hautes d’un arbre. Mon cœur bat fort. Mes poumons récupèrent doucement à l’air libre. Pythagore me touche la truffe.

— Joli duel ! Je n’ai jamais vu un humain aussi enragé, reconnaît-il. On aurait dit qu’il t’en voulait personnellement. C’est rare.

Je regarde la maison qui brûle. Thomas ne sort pas. Je lâche un soupir de soulagement — il me semble avoir vengé Félix. Je repense à ce pur angora blanc aux yeux jaunes. Il était nul, il était drogué à l’herbe à chat, il n’a rien fait de bien intéressant dans sa vie, mais il ne méritait pas de terminer à la broche.

Après avoir repris nos esprits, nous descendons de l’arbre. À cet instant, les deux comparses de Thomas nous repèrent. Ils s’élancent derrière nous et nous tirent dessus avec leurs fusils.

Nous galopons pour nous réfugier à l’angle d’une rue adjacente.

— Où sont les autres ? je lui demande alors.

— Après ton départ, ces trois-là ont défoncé la porte d’entrée avec leur voiture. L’effet de surprise leur a donné l’avantage. Sophie a essayé de s’interposer mais elle n’a pas été assez rapide et a été abattue. Et les mauvais réflexes de Félix ont fait de lui une cible facile. Quand ta servante a vu la mienne morte, elle a préféré fuir par la porte de derrière. Quant à moi, j’ai attrapé ton fils Angelo par le cou et j’ai filé par les toits.

— Angelo est vivant !

— Je l’ai mis en sécurité dans notre cachette en haut du Sacré-Cœur.

Je suis soulagée.

— Quand j’ai considéré que le petit était hors de danger, je suis revenu car je me doutais que tu allais rentrer.

Il est donc revenu pour… moi ?

— En route pour la basilique, alors ! Il me tarde de retrouver mon fils.

17

Naissance du Troisième Œil

Angelo n’est plus là.

Des traces d’urine et des petits excréments balisent le sol de la tour. Je reconnais son odeur, mais le chaton, incapable de tenir en place et d’attendre, a dû avoir faim et a fini par quitter sa cachette.

Pythagore, préoccupé, ferme les yeux pour se plonger dans une méditation rapide puis annonce :

— Je sais comment les retrouver, tous les deux. Angelo et Nathalie. Nous allons y parvenir grâce à ça.

Il désigne alors de la patte mon collier avec sa perle rouge.

— Comme je te l’ai déjà expliqué, c’est une balise GPS. On peut situer à tout moment celui qui la porte.

— Nathalie n’a pas de collier. Si j’ai bien compris, elle peut me repérer, mais pas moi.

— Elle est dotée d’un smartphone qui lui permet de localiser la balise de ton collier sur une carte. Donc en retour, je pourrai l’identifier sur Internet et dès lors je saurai retrouver aussi son emplacement. Nous pourrons également situer Angelo qui a le même collier que toi.

— « Internet » ? C’est quoi encore, ça ?

— Je t’expliquerai, pour l’instant le plus urgent est d’aller dans ma maison.

— Impossible. Les deux autres pillards ont déjà dû y retourner !

— Ils vont bien finir par partir. Nous allons guetter leur sortie depuis un toit à proximité. Nous retournerons dès que possible dans ma cave et je t’expliquerai ce que je n’ai pas eu le temps de t’expliquer la dernière fois.

Il va donc enfin me révéler son secret ? Je suis impatiente de résoudre ce mystère. Je n’aime pas qu’on me dissimule des choses. Et j’ai aussi hâte de retrouver Angelo. Quand il était en permanence dans mes pattes, ce chaton, je ne le supportais pas, mais maintenant qu’il a disparu il me manque énormément.

Nous nous replaçons devant l’arbre de la maison de Pythagore et regardons mon ancienne demeure, qui brûle encore. Comme personne n’est venu l’éteindre et que le vent souffle, l’incendie n’a fait que s’étendre. Bientôt, le toit s’effondre dans un grand craquement.

En revanche, plus aucune fumée ne s’échappe de la cheminée de la maison de Pythagore. Les deux humains sortent au bout d’un moment, mais nous préférons encore attendre un peu au cas où ils reviendraient.

La nuit a commencé à tomber quand nous franchissons le seuil.

De mon ancien colocataire il ne reste que des os épars… Et un crâne blanc aux yeux évidés. Quelle étrange vision. Suis-je moi aussi comme cela « sous ma peau » ?

J’improvise un petit hommage posthume.

— Mon pauvre Félix, ce n’aura assurément pas été ta vie la plus gratifiante. Tu n’auras pas vraiment profité de grand-chose, ni de moi, ni d’Angelo, ni de notre servante, mais au moins, en ne te posant pas de questions, tu auras connu une forme de sérénité. J’espère que ta capture n’a pas été douloureuse et que tu es mort rapidement.

Le corps de Sophie est toujours étendu dans le salon. Pythagore va s’asseoir sur son dos.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Puisque je ne pourrai lui offrir ni sépulture ni enterrement, je lui offre ce que seul un chat peut offrir à un humain décédé : j’accompagne son esprit vers l’« au-delà ».

Une fois de plus j’ignore complètement de quoi il parle, mais j’imagine que cela aussi il me l’expliquera bientôt.

Pythagore ferme les paupières. Ses yeux s’agitent en dessous. Ses oreilles frétillent. Ses griffes sortent et se rétractent dans d’infimes spasmes.

Il se contracte, se détend, se crispe à nouveau puis se calme et rouvre les yeux.

– Ça y est, annonce-t-il. Elle est « montée ».

— C’est-à-dire ?

— Parfois, les esprits des humains restent bloqués « en bas » parce qu’ils se sentent encore attachés à des êtres ou à des émotions. Avec mon esprit de chat, je lui ai indiqué que rien ne la retenait ici et qu’elle pouvait aller vers la Lumière.

— Tu t’y es pris comment ?

— Mon esprit a accompagné le sien jusqu’à l’entrée d’un tunnel avec une lueur au loin, et là je l’ai remerciée pour tout ce qu’elle a accompli pour moi, tous ses bienfaits que j’ai appréciés. Je lui ai rappelé que plus rien ne la rattachait à cette dimension. Pas même moi. Puis je lui ai souhaité bon voyage et bonne réincarnation.

— Donc tu peux t’adresser aux esprits humains ?

— Uniquement quand ils sont morts. C’est aussi pour cela que les Égyptiens nous vénéraient. Ils avaient remarqué que nous étions capables d’accompagner les esprits des morts. Ils nommaient cela le pouvoir d’être des « psychopompes ».

— Comment peux-tu connaître des termes et des détails aussi précis sur leur monde ?

— Internet. Sur Internet il y a des vidéos pour expliquer en détail ce processus compliqué.

Je réfléchis à tout ce qu’il vient de m’apprendre.

Si j’ai bien compris : le corps meurt, l’esprit survit et se réincarne ?

Donc l’esprit est… immortel.

(Donc je suis immortelle !)

Je me répète ces informations pour être sûre de ne pas les oublier. Je n’en reviens toujours pas !

Plus Pythagore me fait découvrir de nouvelles notions, plus je me rends compte de ma propre ignorance. Dire que je méprisais Félix alors que, comparée au siamois, je suis sans doute aussi ignorante que lui.