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Je tente malgré tout une approche et envoie une pensée :

Bonjour… chiens

En retour nous avons droit à plusieurs aboiements inamicaux. Puis brusquement ils foncent vers nous en émettant une onde clairement hostile. Nous nous enfuyons dans le brouillard.

La meute s’élance à notre poursuite.

L’absence de visibilité n’arrange rien. Aux sons de leurs aboiements nous percevons qu’ils nous rattrapent rapidement.

Nous sommes sauvés par un réverbère, mais il n’est pas relié à d’autres points en hauteur. Tant pis, nous n’avons plus le choix, nous devons d’abord gérer la survie immédiate.

Nos griffes nous permettent de monter sur ce tronc métallique. Nous nous serrons sur l’étroit rebord de la partie supérieure, sans parvenir à vraiment trouver de prise solide. Nos pattes à coussinets patinent et nous devons sans cesse nous reprendre pour retrouver le point d’équilibre satisfaisant par rapport à notre centre de gravité. Notre queue, heureusement, nous sert de balancier.

En dessous de nous, les chiens hurlent et tentent de grimper pour nous attraper, mais leurs pattes à ongles non rétractiles dérapent sur le métal.

Le plus gros chien, comprenant qu’il ne pourra pas escalader, utilise son propre crâne comme bélier pour frapper la base de notre promontoire. Les chocs sont de plus en plus forts. À la plus grande joie des autres chiens, cela nous déstabilise. Les aboiements hostiles redoublent.

Combien de temps pourrons-nous tenir ?

Ils n’ont rien d’autre à manger que deux chats en vadrouille ?

J’aimerais leur dire de s’attaquer plutôt aux rats, beaucoup plus nombreux. Une fois de plus, je mesure la nécessité d’établir un dialogue inter-espèces. Dans le doute j’essaye d’émettre très fortement l’idée :

Bonjour, chiens. Nous ne voulons pas vous déranger. Laissez-nous passer.

Mais mon ronronnement a l’air de les exciter encore plus. Particulièrement le grand marron, qui pousse des aboiements gutturaux.

Plus que tout, j’ai conscience que si nous mourons tous les deux maintenant, c’est la possibilité d’instruire les autres chats des connaissances humaines qui disparaît également.

— Tu crois toujours que tout ce qui nous arrive est pour notre bien ? je miaule à mon compagnon d’un ton légèrement ironique.

— Oui, me répond-il.

— Tu crois toujours que nos ennemis et les obstacles qui se dressent face à nous servent à vérifier notre capacité de résistance ou de combat ?

— Oui.

— Et si nous mourons, là maintenant ?

— Cela voudra dire que nos âmes ont d’autres expériences à accomplir dans d’autres enveloppes charnelles. Nous nous réincarnerons.

— Et nous perdrons la mémoire de cette vie ?

Il ne répond pas.

— Moi, je ne voudrais pas t’oublier.

— Moi non plus, avoue-t-il.

Je déglutis puis demande :

— Est-il possible de se donner un signe de reconnaissance pour qu’à la prochaine vie nous puissions nous retrouver ?

— Encore faudrait-il que nous soyons des animaux similaires, vivant dans un quartier proche.

— La musique de la Callas ! je m’écrie. Quand nous l’entendrons nous nous rappellerons aussitôt que nous avons écouté cette musique dans notre vie précédente et que cela nous a fait vibrer.

Les chiens ne paraissent pas du tout se fatiguer à nous aboyer dessus. Où puisent-ils leur énergie ? Est-ce qu’ils mangent des chauves-souris eux aussi ? Et la réponse m’apparaît soudain, évidente. Ils se sont mangés entre eux. Des cannibales.

— Pourquoi les chiens sont-ils comme ça ? je demande au siamois.

— Parce que les chiens ont choisi de s’imprégner de l’esprit de leur maître humain. Ceux qui ont des maîtres violents sont violents. Ceux qui ont des maîtres doux et pacifiques le sont aussi. À leur manière ils ne sont pas responsables de leur caractère.

— Alors que nous, nous le sommes, car nous choisissons notre propre tempérament, n’est-ce pas ?

— Ceux qui sont en bas devaient avoir des maîtres humains vraiment durs.

J’ai de plus en plus de mal à conserver mon équilibre. Je commence à accepter l’idée que toutes mes ambitions peuvent s’éteindre ici.

Qu’est-ce qui me ferait vraiment plaisir à cet instant ?

Rester vivante.

Soudain, les aboiements cessent.

Mais le silence qui suit me laisse une impression encore plus inquiétante.

Tous les chiens ont tourné la tête dans la même direction, ils semblent pour la plupart hypnotisés devant l’apparition. D’autres, plus pugnaces, ont déjà les oreilles dressées en position de combat, ils grognent et montrent leurs crocs.

Et lentement, comme dans un rêve, surgit du brouillard un chat… Un chat énorme. Je n’en ai jamais vu un aussi gros et aussi grand.

La bête pousse un rugissement monstreux. Je le sens vibrer jusque dans ma cage thoracique.

Je n’en crois pas mes yeux, ni mes moustaches, ni mes oreilles.

Il avance vers nous.

Il est beau. Il est puissant. Il est doré.

Certains chiens urinent de peur ou placent leur queue entre leurs pattes pour se protéger le sexe.

Pythagore est lui aussi impressionné par cette apparition.

— Je n’en avais jamais vu un de près, souffle-t-il.

— C’est quoi ?

— Un lion. La branche des félidés qui a choisi la grande taille. Un de nos « ancêtres parallèles » en quelque sorte.

Nous restons subjugués.

— J’ai vu sur Internet qu’ils ont signalé la disparition d’un lion du cirque du bois de Boulogne, qui a décampé après la destruction de sa cage lors des troubles, mais je ne pensais pas qu’il était resté dans le coin.

— C’est quoi, un cirque ?

— C’est un endroit où les humains exhibent des animaux qu’ils ont domptés pour les faire sauter dans des cerceaux enflammés. Je crois même me souvenir que celui-ci se nomme Hannibal.

— Hannibal ? Joli nom.

— C’est en référence à un humain qui fut un grand libérateur de peuples durant l’Antiquité.

Sera-t-il notre « libérateur » ?

La meute, après avoir hésité sur la conduite à suivre, se décide à tenir la position et à faire front contre cet adversaire. Nouveau rugissement.

Misant sur leur supériorité numérique, les chiens se mettent à aboyer et à encercler le lion.

J’hésite à profiter de cette diversion pour sauter du réverbère mais Pythagore me fait signe d’attendre.

J’assiste alors à une scène incroyable. Synchrones, les chiens se jettent sur la bête. Vingt chiens contre un lion. Mais celui-ci se révèle un adversaire redoutable.

C’est un combat extraordinaire que celui de ce chat géant contre cette meute de chiens hargneux. La bête donne des coups d’une force inouïe. Elle se dresse sur ses pattes arrière, secoue sa crinière et se maintient à la verticale, debout comme un humain.

À chaque coup de patte, les griffes labourent la peau des chiens. Et ceux qui ne sont pas fauchés sont mordus par ses immenses canines.