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À l’avenir, Nathalie, je souhaiterais :

1. Dialoguer avec toi pour que tu m’expliques ce qui s’est passé dans l’immeuble en face avec cet homme en noir qui faisait du bruit.

2. Que tu m’expliques ce qu’est ce monolithe lumineux où l’on voit des humains morts et où l’on entend des voix.

3. Que tu m’apportes à manger dès que je te sollicite, sans me faire attendre.

4. Que tu cesses d’allumer des cigarettes dont la fumée puante colle à ma fourrure.

5. Que tu me caresses le ventre dès que je te le présente.

6. Et surtout que tu ne fermes jamais les portes. Ça me coince dans une zone de l’appartement et je déteste ça.

Je répète le message plusieurs fois pour augmenter mes chances d’être comprise.

Dehors le ciel est devenu sombre, c’est la nuit. Et comme je suis un être nocturne, je ne compte pas rester immobile dans le lit comme ma servante. Je rejoins donc mon point d’observation stratégique, en équilibre sur la rambarde du balcon du deuxième étage (cela rend en général Nathalie très nerveuse, mais moi j’aime bien l’inquiéter pour vérifier son attachement).

La rue est désormais fermée par des voitures qui émettent des lumières bleues. Les ondes négatives se sont dispersées. Des rubans jaunes sont tendus pour empêcher d’approcher les groupes d’humains qui se sont agglutinés des deux côtés de la rue. Cinq humains en combinaison blanche examinent le sol et recueillent différents petits objets qui traînent par terre. L’un d’entre eux trace des dessins blancs sur le bitume alors qu’un autre y recouvre les taches de sang avec de la poudre beige.

Je lève la tête. J’observe, je renifle, je hume, j’écoute.

Le vent souffle fort et fait vibrer les feuilles des arbres. Dans mon champ visuel, je distingue quelque chose de nouveau et d’intéressant. La maison voisine, qui était inhabitée depuis quelques mois, est maintenant éclairée. Je vois une ombre se mouvoir derrière les rideaux du deuxième étage. La silhouette franchit la porte-fenêtre entrebâillée et vient se positionner sur le bord de la rambarde de son balcon, juste en face de moi.

Œil bleu. Tête à fourrure noire. Reste du corps à poils gris clair. Oreilles pointues. C’est un congénère siamois qui observe lui aussi la rue et les hommes en blanc. Il se tourne vers moi et me fixe ostensiblement.

4

Mon mystérieux voisin

J’aime les nouvelles rencontres.

Un mâle qui me regarde de cette façon, c’est évident qu’il désire attirer mon attention. Ce n’est pas le premier, ce ne sera pas le dernier. Mon charme, une fois de plus, agit malgré moi.

Je consens à miauler dans sa direction, mais à ma grande surprise l’impudent ne miaule pas en retour. J’affectionne les siamois, bien qu’il faille reconnaître qu’ils sont quand même très prétentieux.

Je prends ma posture amicale : oreilles légèrement pointées en avant, moustaches largement déployées sur les côtés, queue verticale.

Il ne change rien à la sienne.

Normalement, quand on me manque de respect à ce point je déguerpis. Cependant, je n’ai rien à faire d’autre de la nuit et je suis d’un naturel curieux, alors je ravale ma fierté et prépare mes appuis pour sauter jusqu’au balcon d’à côté.

Je me tasse, je vise, propulsion, extension, je me déploie au-dessus du vide entre nos deux maisons, j’écarte les doigts et mes griffes. Je vole une demi-seconde. La distance est importante et j’ai mal calculé ma détente. Je rate de quelques centimètres à peine la rambarde où je comptais atterrir. Je brasse l’air.

Mes griffes frôlent le métal mais ne trouvent pas de prise.

Le siamois m’observe toujours sans bouger.

L’humiliation est totale.

Je me rattrape heureusement au lierre et, à coups de griffes ravageurs, je remonte jusqu’au balcon.

Le siamois ne bronche toujours pas.

Enfin j’atteins mon objectif, me hisse et marche sur la rambarde, m’avance vers lui en miaulant.

Il reste parfaitement stoïque.

De près, je le vois mieux. C’est un siamois qui, au vu de son allure générale, doit être âgé d’environ dix ans (pour moi qui n’en ai que trois, c’est un vieux). Détail étonnant : il a une plaque de plastique de couleur mauve fixée au sommet du crâne.

Surmontant ma susceptibilité, j’entame la conversation comme si de rien n’était.

— Vous êtes le nouveau voisin ?

Pas de réponse. Pourtant je perçois ses ondes très chaleureuses.

— Pouvons-nous discuter ensemble ? J’habite à côté et je suis contente qu’il y ait un chat dans la maison la plus proche.

Il se lèche la patte puis la passe sur son oreille droite, signe de réflexion légère. Je prends cela pour un oui. J’ai eu assez de difficultés à communiquer avec autrui aujourd’hui pour échouer avec un être qui parle le même langage que moi.

— C’est quoi cette plaque mauve au sommet de votre crâne ?

Il me fixe puis consent enfin à me répondre.

— C’est mon Troisième Œil.

— Et c’est quoi un « Troisième Œil » ?

— C’est une prise USB qui me permet de me connecter aux ordinateurs pour communiquer avec les humains.

Ai-je bien entendu ?

— Une… quoi ?

Je ne veux surtout pas avouer que je suis dépassée par ses références, mais il ne se donne même pas la peine de répéter.

De la patte, il arrache le capuchon de plastique mauve, baisse la tête et m’invite à venir me rendre compte par moi-même.

Je me penche et distingue un orifice parfaitement rectangulaire cerné d’un liseré de métal s’enfonçant directement à l’intérieur de son crâne.

— C’est une blessure suite à un accident ? Cela doit faire mal.

— Non. C’est volontaire et très pratique.

— Et vous leur dites quoi aux humains avec ce Troisième Œil ?

Il continue de se lécher et de passer sa patte derrière l’oreille.

— Rien.

— Alors quel avantage y a-t-il à posséder cela ?

— Je ne leur dis rien, mais eux m’apprennent beaucoup. Ainsi je peux comprendre comment fonctionne l’humanité et, à travers elle, tout l’Univers.

Il a prononcé cette phrase sur un ton si détaché que je suis estomaquée par son assurance et sa suffisance. Mais ce n’est pas tant ce qu’il raconte que la manière dont il s’exprime qui m’impose le respect. Est-il possible qu’il puisse vraiment comprendre les humains ?

— Moi, j’ai essayé de leur parler, aux humains, ils ne comprennent que peu d’éléments. Ce soir, ma servante a oublié de me nourrir à l’heure et elle m’a enfermée dans une pièce dont je ne pouvais sortir seule. Tout ça pour observer une grande plaque noire fixée au mur, qui fait de la lumière et du bruit. J’ai bien regardé moi aussi, et j’ai fini par comprendre que, dans cette plaque noire, on voyait d’autres êtres humains… morts !

Le siamois inspire comme s’il cherchait l’intonation la plus adaptée pour s’adresser à moi. Il sort sa longue langue rose et l’étire pour s’humecter les babines.