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— Quand l’épidémie de peste a été détectée, le Président et ses ministres ne sont pas allés dans cet abri, ils se sont enfuis en avion. Le palais de l’Élysée a depuis été pillé par des bandes armées, mais elles n’ont pas trouvé comment accéder à l’abri antiatomique qui est très bien protégé par un système de serrures électroniques à reconnaissance d’iris. Quand la peste a commencé ses ravages, les rues de Paris ont été désertées par les hommes et les rats ont vaincu les hordes de chiens.

— C’est vrai, confirme un vieux chat recouvert de cicatrices.

— Les rats ont chassé les corbeaux, les chauves-souris, les pigeons, les moineaux, et ils font même peur aux nouveaux cafards géants qui grouillent un peu partout. Du coup, ils ont bien mangé et ont proliféré. Là où il y avait dix rats, il y en a bientôt eu cent, et tous transportaient la peste.

— Je confirme que je les ai vus s’attaquer à des groupes de jeunes humains et les obliger à fuir, lance le vieux chat balafré.

— Continue de nous parler de ta réserve de nourriture ! intime la chatte tigrée.

Pythagore ne se fait pas prier.

— Un jour un rat a trouvé comment entrer dans l’abri anti-atomique : par un tuyau du système d’aération. Il a grignoté les filtres et découvert l’accès à cette réserve.

Tous les chats de l’assistance sont maintenant attentifs.

— Dès lors les rats ont formé une chaîne pour transporter la nourriture. Mais c’était trop lent, alors ils ont décidé de grignoter le mur à côté de la porte métallique. C’est ce qu’ils font actuellement. Ils creusent le béton avec leurs incisives pour atteindre cette énorme réserve de nourriture.

Personne ne réagit, et Nabuchodonosor en profite pour reprendre la parole.

— Et comment as-tu eu l’idée de questionner ton Internet à ce sujet ? demande-t-il, toujours méfiant.

— Ma servante pouvait émettre des messages que je réceptionnais.

— Tu veux dire qu’elle pouvait te parler ? Nous aussi nos serviteurs nous parlaient et nous pouvions les comprendre…

— Mais pas en détail. La mienne pouvait me parler et je recevais un message aussi précis que si elle miaulait en langage chat. Avant de décéder elle m’a révélé que dans cet endroit précis se trouveraient les dernières sources de nourriture de la ville. Elle le savait car son propre frère, un militaire, travaillait avec le Président. Hier soir, je m’en suis souvenu. Alors, pendant que vous dormiez, j’ai utilisé mon Troisième Œil pour aller voir ce qui se passait là-bas.

— Comment est-ce possible ? demande la chatte tigrée, impressionnée.

— Toujours grâce à son frère militaire, ma servante m’avait donné l’accès à un programme de leurs services secrets qui me permettait d’utiliser le réseau de vidéosurveillance. Ainsi j’ai vu, via les caméras de contrôle, les rats sortir la nourriture par les tuyaux d’aération et creuser dans le mur de béton.

— Ton histoire est trop compliquée, répond Nabuchodonosor, tu utilises trop de mots que nous ne comprenons pas : tu tentes de nous impressionner. Nous ne te croyons pas. Je préfère marcher pendant deux jours que lutter contre des multitudes de rats qui transmettent cette maladie probablement mortelle pour nous.

L’assemblée de chats commence à se regrouper autour du persan.

— Pythagore a raison ! déclare une voix forte, surmontant le brouhaha.

Nous nous retournons tous et avisons un chartreux au pelage pratiquement bleu.

— Je me nomme Wolfgang. Moi non plus je n’ai pas choisi mon nom ni ne suis doté d’un Troisième Œil. J’étais le chat personnel du président de la République qu’a évoqué ce siamois.

Maintenant qu’il s’est présenté, l’assistance lui prête attention.

— Quand la guerre a pris de l’ampleur, mon serviteur a préféré fuir que se cacher dans son abri. Dans la panique il a oublié de m’emmener.

Un murmure de réprobation générale se répand dans l’assistance.

— C’était le chef des humains. Il m’a toujours bien traité mais il a toujours eu très peur de mourir.

Certains approuvent car ils ont eu eux aussi des humains peureux comme serviteurs.

– À l’époque où tout allait bien, il m’avait emmené une fois dans cet abri antiatomique rempli de nourriture dont parle Pythagore. Et j’ai donc vu ce qu’il y avait à l’intérieur. C’est en effet de la nourriture de très bonne qualité.

Wolfgang monte au-dessus de la cascade et vient se placer près de Pythagore. Ils sont immédiatement rejoints par Esméralda (celle-là ne perd jamais une occasion de se faire remarquer).

La lune apparaît derrière eux en un grand cercle irisé. Le vent léger souffle dans leurs fourrures. Quelques lucioles ajoutent à la scène une dimension visuelle impressionnante. Je ne peux rester simple spectatrice, alors je monte moi aussi sur ce promontoire, prête à m’engager pour l’expédition à l’Élysée. Je miaule :

— De toute façon, si nous ne prenons pas de risques, comment va-t-on survivre ? Allons-nous rester là, à dormir dans la forêt en mangeant de moins en moins ? Moi je déteste le contact avec l’eau et je déteste attendre passivement, alors je m’engage avec Pythagore !

Un frémissement court dans la petite foule qui nous entoure. Certains nous rejoignent, d’autres se placent près de Nabuchodonosor.

La grande majorité cependant ne s’engage auprès d’aucun des deux et préfère attendre sans rien faire.

— Nous partirons en expédition dans quelques heures, annonce Pythagore, d’ici là je vous conseille à tous de vous reposer. S’il y a des peureux parmi vous, je préfère qu’ils ne viennent pas car je crois qu’il va nous falloir beaucoup de détermination et de combativité.

J’observe Esméralda de biais.

Demain, si la bataille est un peu confuse, j’essayerai de me débarrasser de cette rivale, comme ça le problème sera réglé.

À peine cette idée m’est-elle passée par la tête que je me dis que Pythagore pourrait m’en vouloir après. Il faudrait plutôt que j’accomplisse quelque chose qui suscite son admiration.

Comment l’aider dans son attaque de l’abri présidentiel ?

Je retourne plusieurs fois l’idée dans ma tête et je finis par trouver.

Hannibal.

Si nous pouvions bénéficier du renfort d’un lion, évidemment nous serions beaucoup plus performants.

Je m’éclipse discrètement de cette petite réunion. Et je profite qu’Angelo est toujours endormi dans son arbre pour partir à la recherche de notre sauveur.

Je le retrouve en lisière de forêt, pas loin de là où nous l’avons rencontré la première fois. Il est en pleine digestion. Il sent très fort le fauve. J’hésite à le déranger, mais me rappelant l’urgence de la situation je décide de ronronner tout près de son oreille droite :

— Bonjour, Hannibal. Je souhaiterais dialoguer avec vous. Est-ce possible ?

Je module mon message de différentes manières, et finalement une paupière s’ouvre et le lion pousse un petit grognement d’agacement.

Bon, le dialogue ne va pas être simple. Cependant je ne veux pas renoncer.

— Nous pouvons nous comprendre.

Il se calme enfin puis grogne :

— Pourquoi tu me déranges, chatte ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’exprime pas en miaulant. Chaque mot m’assourdit mais, au moins, nous communiquons.

— Hannibal, nous avons besoin de vous pour nous aider dans une expédition pour chercher de la nourriture.

— Je n’ai plus faim.

— Oui, mais nous avons faim, nous, les chats.