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Tout le monde est épuisé.

Hannibal, notre héros, souffre de quelques blessures minimes mais il est entouré de tous les chats, et surtout de toutes les chattes admiratives qui miaulent de plaisir en se frottant contre lui.

Je ronronne et les autres se mettent à ronronner avec moi.

— Nous avons gagné !

Même Hannibal émet une sorte de ronronnement grave qui fait vibrer nos cages thoraciques.

J’aime la victoire.

Une centaine de chats parmi ceux qui étaient indécis et ne nous ont pas suivis arrivent en renfort. Après la bataille…

Je suis tentée de les repousser, mais nos troupes ont besoin d’être les plus nombreuses possible. Me présentant spontanément comme l’autorité de référence, je consens, même s’ils n’ont pas participé à la bataille des Champs-Élysées, à les laisser consommer nos adversaires vaincus. Quant à moi, je n’ai pas l’esprit à manger. Trop d’émotion coupe l’appétit.

Pythagore vient vers moi et m’entraîne un peu à l’écart.

— As-tu des symptômes de la peste ? me demande-t-il. Des vertiges, des bouffées de chaleur, des tremblements ? Nous avons été en contact avec des rats sans savoir si la peste, que la plupart de nos adversaires transportent, est néfaste pour nous.

J’écoute mon corps mais je ne repère aucun signe d’affaiblissement. L’énergie de vie semble circuler dans mon organisme de manière satisfaisante.

— Je me sens parfaitement bien, je réponds.

— Il faut attendre encore, tempère-t-il, mais il existe évidemment un risque non négligeable que nous soyons à notre tour contaminés.

— En tout cas, si je meurs maintenant, ce sera avec l’impression d’avoir vécu un instant extraordinaire.

Guidé par Wolfgang jusqu’à l’abri antiatomique, Hannibal accepte de continuer de creuser le trou commencé par les rats dans le mur proche de la porte blindée.

Le lion laboure de ses griffes le béton déjà bien effrité par les incisives des centaines de rongeurs. Il doit s’y reprendre à plusieurs fois avant que sa patte ne crève finalement la matière grise comme s’il s’agissait de carton-pâte.

L’orifice dévoile une pièce plongée dans l’obscurité. Pas besoin de lumière, notre sens olfactif nous suffit. C’est propre. Pas la moindre odeur de mort, de maladie ou de pourriture. En revanche, il plane une odeur de désinfectant derrière laquelle on devine des relents de nourriture fraîche.

Tout est parfaitement rangé dans des sacs, des caisses, des boîtes, des bouteilles. En dilatant au maximum mes pupilles et en profitant de l’infime lueur des lampes rouges indiquant les emplacements des portes, je distingue des bouteilles de lait, des sacs de farine, des boîtes de pâté. Aussitôt, tous les chats foncent, s’acharnent sur les couvercles, finissent par les faire céder et se régalent.

Pythagore, cependant, ne participe pas à l’allégresse générale.

Nous nous regardons, je miaule.

Il m’a comprise. Alors nous frottons nos joues, nos museaux, nos truffes, et après quelques caresses et ronronnements, il me semble soudain dans de meilleures dispositions à mon égard.

— Pas ici, décrète-t-il.

Nous montons les marches qui mènent dans les étages du palais de l’Élysée. Nous franchissons plusieurs couloirs et larges pièces (comme je l’envie de savoir sauter sur les poignées et utiliser judicieusement son poids pour les actionner). Nous découvrons des espaces remplis de dorures, de tentures, de tableaux, de meubles ouvragés. Le sol est recouvert de tapis chatoyants et moelleux.

Finalement Pythagore me désigne une chambre où trône un lit recouvert d’un tissu doré.

— J’ai repéré cet endroit sur Internet. Je veux te faire l’amour dans le lit à baldaquin du président de la République française, m’annonce-t-il.

Nous jouons un peu sur le matelas et roulons l’un sur l’autre, nous taquinant, nous mordillant comme des chatons. Il m’invite à venir sous le drap qui forme une sorte de hutte. Il tente de m’embrasser comme les humains et met sa langue dans ma bouche. Je surmonte mon dégoût puis finis par trouver cela agréable. Singeant encore les humains, il caresse mes tétons et m’enlace avec ses pattes avant.

Je me laisse faire.

Je lui présente ma croupe, mais au lieu de me prendre en montant sur moi, il me propose de faire l’amour de face. Il n’arrête pas de me caresser et de m’embrasser à la manière des humains.

Seul comportement vraiment chat, il joue avec sa queue, la mêlant à la mienne pour faire une tresse gris, blanc et noir.

Il me lèche et me renifle tout le corps. À chaque contact avec sa bouche, je suis parcourue d’une vague électrique.

Le pire est qu’il prend son temps, transformant ces préliminaires en véritable supplice.

— Viens ! je le supplie.

Mais non, il continue de jouer à me caresser, me lécher, me renifler, me toucher sans entamer l’étreinte. Tout mon corps est à bout de nerfs. Le moindre contact avec sa patte est délicieux.

— Prends-moi là, tout de suite ! je miaule.

Au lieu de m’obéir il semble prendre plaisir à me torturer. Si Félix oubliait les préliminaires et était trop rapide dans l’acte, on peut dire que Pythagore est l’exact opposé. Je suis impatiente.

Tout cela me semble trop progressif.

Mais lui agit par palier.

Il fait lentement s’effondrer un à un mes murs de protection.

Il m’embrasse les paupières, me plaque sur le lit. Je n’en peux plus.

Enfin il entre en moi, et peut-être parce que j’ai trop attendu cet instant ou parce que je suis surprise de cette manière bizarre d’unir nos corps face à face, je sens le plaisir m’envahir très vite.

Ma moelle épinière devient une fontaine de lumière qui monte jusqu’à mon crâne pour exploser en pluie d’étoiles.

Je vibre, tremble, me tétanise.

Je suis encore imprégnée des émotions intenses que je viens de vivre.

Le danger, le combat, Hannibal, la musique de la Callas, la peur et le défoulement que m’a apportés la bataille, la joie d’y avoir survécu, ce lit à baldaquin, ces draps dorés en soie, ces longs préliminaires qui ont mis mes nerfs en ébullition, tout rend cet instant magique. Je sens son sexe dans le mien, et alors qu’il me mord très fort le cou une deuxième vague de jouissance encore plus forte m’envahit. Je n’arrive pas à me retenir et me mets à hurler.

Je n’ai jamais connu une telle sensation.

Extase.

Dans mes yeux tout devient rouge.

J’en oublie qui je suis. J’oublie tout. Je suis en fusion totale avec Pythagore. Je suis Pythagore et il devient moi. Nous ne formons qu’un seul être à huit pattes et deux têtes caché sous un drap.

Il change alors de position et me prend « normalement » en me montant par-derrière. Je ressens un plaisir très différent du premier. Il grogne, me mord plus fermement dans une autre zone du cou, et je miaule encore plus fort. Je prends conscience que Pythagore est le lien entre le monde des humains et le monde des chats, jusque dans sa manière d’aimer physiquement. On s’accouple plusieurs fois, et à chaque fois la montée est plus rapide et m’emporte plus haut dans le ciel.

Le rideau rouge sous mes paupières devient orange, jaune, blanc, puis marron, puis noir.

Et là, j’ai une révélation.

À l’intérieur de moi, tout n’est que grains infimes de matière séparés par du vide. Je suis constituée essentiellement de vide. Et de cette énergie qui relie les grains. C’est cela qui fait que je suis moi, dans cette forme précise, et non un nuage diffus.

Mais ce qui organise la disposition de ces infimes poussières dans l’espace c’est, simplement… eh bien, une idée, l’idée que je me fais de moi-même.