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— J’ignorais que cela pouvait être aussi simple.

— Je pense que les chamanes chats existent depuis longtemps, mais contrairement aux humains vous n’en gardez pas la mémoire. Chez nous, quand quelqu’un a des pouvoirs, on raconte son histoire oralement, ou dans des livres, des films… Mais chez vous cela s’oublie car vous n’avez pas de support pour la mémoire. Quand tu mourras, Bastet, la prochaine chatte chamane croira elle aussi qu’elle est unique et qu’elle est la première.

Bon sang, elle a raison.

J’ai depuis ma naissance ce talent particulier, et à ce jour je ne fais que découvrir comment je peux l’utiliser. Mon esprit sait instinctivement communiquer avec tout, mais pas dans le monde normal, il doit rejoindre des univers parallèles comme celui des rêves.

— Patricia, j’aimerais échanger avec toi beaucoup d’autres informations, mais il y a une urgence.

— Je t’écoute, Bastet.

— Où se trouve ton corps physique ?

— Depuis l’alerte à la peste, je vis calfeutrée dans un appartement et je survis grâce aux réserves alimentaires que j’ai pu stocker. Je peux tenir encore quelques jours. Et toi ?

— Je suis dans un campement au bois de Vincennes. Il faudrait que tu me rejoignes et que tu interviennes pour transmettre aux hommes des informations que seuls nous, les chats, possédons.

— Je t’écoute.

— Nous avons créé une armée qui a déjà vaincu les rats dans une bataille sur les Champs-Élysées. Nous avons découvert un trésor, une grande réserve de nourriture dans l’abri antiatomique du palais présidentiel. Maintenant nous voulons bâtir un sanctuaire pour les humains et les chats sur l’île aux Cygnes. Un endroit où les rats ne pourront pas nous déranger et où vous serez sûrs de ne pas risquer d’attraper la peste.

— Attends, attends, raconte-moi tout dans le détail et explique-moi ce que tu attends exactement de mon intervention.

Alors je lui narre mes aventures récentes. Patricia est très intéressée. Notre dialogue est naturel, instinctif, d’esprit ouvert à esprit ouvert. Ce que j’ai toujours espéré échanger avec Nathalie dans la vie réelle, je l’obtiens avec cette chamane en rêve.

Une fois mon récit terminé, je lui demande :

— Tu as déjà eu un chat ?

— Non, quand j’étais petite j’avais un chien que j’adorais, répond-elle.

— Jamais de chats ?

— J’ai toujours trouvé qu’ils étaient trop… hautains.

— Nous, « hautains » ? Au regard de la soumission des chiens on doit vous sembler plus indépendants, et cela vous frustre.

— Désolée, je n’ai jamais compris pourquoi les chats n’étaient pas plus aimables envers les humains.

— « Aimables » ? Imagine que des êtres censés te servir te séquestrent dans un appartement. Imagine que ces mêmes êtres censés t’obéir s’autorisent à te castrer, seulement pour ne pas être dérangés par tes odeurs ou tes cris. Imagine qu’ensuite on t’empêche d’exprimer tout ce qui est ta nature profonde. Quand tu as la bonté d’offrir une souris morte tu n’es même pas remercié. Imagine qu’on te nourrisse avec des croquettes dont tu ignores la composition.

— Ce sont des déchets broyés et mélangés. Des os de vache, des yeux de porc, des cartilages de mouton, du soja, de la farine et même parfois un peu de sciure, reconnaît-elle.

— En plus ! Imagine, Patricia, qu’après t’avoir privé du plaisir de manger de la vraie nourriture et d’avoir une sexualité, on t’impose un maître, un nom, une place. Et vous nous trouvez « hautains » ! Moi je trouve que nous ne sommes pas tellement rancuniers envers ces êtres censés nous servir.

— Qu’est-ce qui vous dit que les humains sont censés vous servir ?

— Eh bien ce sont nos… serviteurs.

— Non.

— Pardon ?

— La plupart des humains se considèrent eux-mêmes comme vos maîtres et vos maîtresses.

Ai-je bien entendu ?

— Mais ils…

— Je pense qu’aucune espèce animale n’a d’ordre à donner à une autre espèce. La terre appartient de manière équitable à toutes les formes de vie, animale ou végétale, qui la recouvrent. Et aucune espèce n’a objectivement le droit de se déclarer « au-dessus des autres ». Ni les humains ni les chats.

— Reconnais quand même, Patricia, que les humains sont moins subtils que les chats. Ils perçoivent si peu de choses. Ils ont tous leurs sens atrophiés. Ils n’y voient pas la nuit.

— C’est vrai. Ils ne perçoivent qu’un spectre réduit de couleurs. Ils n’entendent pas les ultrasons. Ils n’arrivent pas à détecter les champs magnétiques ou les déplacements d’énergie.

— Voilà. C’est exactement ça.

— Cela ne veut pas dire que nous sommes inférieurs, cela signifie juste que nous sommes différents. En fait, dans mon esprit, toutes les espèces animales sont complémentaires, d’où mon émerveillement permanent devant l’extraordinaire biodiversité de cette planète. Ces milliers d’espèces différentes d’insectes, de mammifères, d’oiseaux, de poissons, de plantes sont pour moi ce qui est le plus important à préserver.

— Si nous ne réagissons pas ensemble, humains et chats, la biodiversité va se réduire. Les rats vont détruire les espèces qui pourraient leur sembler concurrentes. Alors s’il te plaît, maintenant que nous avons réussi à communiquer, toi et moi, Patricia, explique la situation actuelle à tes congénères afin que nous réussissions ensemble à sauver ce qui peut être sauvé.

Patricia accepte et me promet d’agir dès son réveil.

Je poursuis le reste de ma nuit avec le délicieux sentiment du devoir accompli.

Enfin.

26

Diplomatie dans la forêt

Quand j’ouvre les yeux, Pythagore est face à moi. Il m’observe avec attention.

— J’ai réussi ! J’ai trouvé la passerelle et j’ai dialogué avec une humaine. Je lui ai tout raconté.

Il ne semble pas impressionné, et il se lèche la patte.

— Je sais, dit-il. Ils en parlent tous ici.

— Ah, Patricia est venue ?

— En effet.

— Et elle a transmis mes directives ?

— Presque.

— « Presque » ?

— Ta Patricia a peut-être un esprit capable de communiquer avec celui des animaux mais malheureusement elle a un léger handicap pour communiquer avec celui de ses congénères.

Il me guide vers un point d’où je peux apercevoir Patricia. C’est bien elle. Elle porte un vêtement très coloré avec des plumes. Son corps est couvert de bijoux clinquants. Cependant, quand elle ouvre la bouche, aucun son n’en sort.

— Elle est muette, m’explique Pythagore.

— Je ne comprends pas, dis-je. Dans le monde des esprits elle est…

— Elle a développé un talent de communication dans le monde des esprits précisément parce qu’elle ne peut pas communiquer dans celui des humains. On appelle cela « compenser ». Dans leur monde, elle avait une fonction de…

— Chamane.

— Je dirais plutôt « sorcière ». Je suis allé voir sur Internet ce qu’on dit sur elle. De ce que j’ai compris, c’est une sorte de folle New Age qui vit seule dans une maison isolée. Elle est sourde-muette. Les gens viennent la voir pour qu’elle lise leur avenir dans les lignes de leur main. Elle communique avec eux par écrit. Mais on dit aussi qu’elle aurait fait plusieurs séjours dans des centres psychiatriques et aurait déjà eu plusieurs plaintes pour escroquerie déposées contre elle.

— Alors, elle serait folle ?

— En tout cas, il est difficile de la prendre au sérieux.