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Je renonce donc à éduquer Félix et à lui faire partager mes projets.

Comme je me sens un peu nerveuse, je lui propose qu’il se rende utile et s’adonne à l’acte d’amour avec mon corps. Il ne se fait pas prier. Je le sens entrer en moi. Je sens les spicules pointus de son pénis se rigidifier à l’intérieur de mon vagin, ce qui est assez douloureux, mais je serre les mâchoires. Félix s’agite, tremble : il s’avère un partenaire sexuel médiocre. Aucune fougue, aucune imagination, il ne me mord même pas dans le cou alors que j’adore sentir deux bonnes canines me labourer la nuque.

Durant la montée du plaisir je pense à Pythagore pour m’inspirer.

C’est peut-être cela la principale différence entre la sexualité des humains et celle des chats. Nous, nous avons besoin de sentiments pour faire l’amour, alors que pour eux ça n’est qu’un acte reproductif servant à se soulager quand ils sont trop nerveux ou inquiets pour la survie de l’espèce.

Félix s’excite rapidement, avec une énergie mal contenue. Il ne sait pas encore canaliser ses sentiments à mon égard. Le frottement m’irrite. Je libère un miaulement que l’angora doit prendre pour un cri d’orgasme. Il se dégage. Ce fut bref. Tout au plus quelques dizaines de secondes. Normalement, après l’amour j’aime bien parler, mais cette fois-ci je préfère être seule, alors je lui fais signe de déguerpir. Heureusement, il n’insiste pas.

Je repense au siamois, il me plaît vraiment et la question me hante toute la soirée : comment peut-il savoir autant de choses que j’ignore ? Je monte m’installer sur la rambarde du deuxième étage pour observer le balcon d’à côté. Comme il n’apparaît pas, je miaule pour l’appeler. J’ai l’impression de distinguer une silhouette derrière les rideaux de la chambre. Serait-ce « lui » ?

Cependant, même si la fenêtre est entrouverte, il ne se montre toujours pas. Je suis sûre qu’il m’a entendue, et s’il reste calfeutré derrière les rideaux c’est qu’il ne souhaite pas reprendre la conversation avec moi.

Il regrette peut-être de m’avoir livré autant de connaissances sur les humains.

À moins que je ne l’intimide.

J’aimerais tellement qu’il continue à m’expliquer ce qu’est le terrorisme, et aussi cette guerre qui va progressivement arriver ici mais qu’on ne surveille pour l’instant qu’à la télévision.

Je cesse de miauler et fais revenir Félix pour qu’il m’honore encore, pour me détendre. Quant à toi, Pythagore, un jour, je le sais, je te posséderai, parce que rien n’arrête une chatte déterminée.

Je n’aime pas qu’on me snobe.

6

Chez « lui »

Chaque jour, il se passe quelque chose dans le monde. Et chaque jour j’ai l’impression que je dois être attentive à ce que cela peut m’apporter de positif ou de négatif.

Après l’attaque de l’école, l’arrivée de la télévision, la dégustation des larmes de Nathalie, la rencontre avec Pythagore et l’arrivée de Félix, je pensais que j’avais eu mon lot d’événements extraordinaires pour la semaine. L’histoire, pourtant, a continué de s’accélérer. Peut-être l’Univers, suite à la décision que j’ai prise de communiquer avec lui, me répond-il en m’envoyant des signes ?

Aujourd’hui, je me lève dans l’après-midi et rejoins le balcon. Un oiseau, du genre moineau, vient gazouiller près de moi. C’est un chant assez mélodieux avec des trémolos aux vibrations subtiles.

Je me dis que ce volatile souhaite peut-être communiquer et qu’ensemble, représentants les plus audacieux de nos espèces respectives, nous allons enfin réussir là où j’ai échoué avec les souris, les humains et les poissons.

Je marche dans sa direction, en équilibre sur la rambarde. Le moineau me laisse approcher en me regardant alternativement de son œil droit et de son œil gauche (il a les yeux sur les côtés et ne peut donc rien fixer de face).

Je ronronne un Bonjour, moineau.

Il ne bouge pas et répond en gazouillant une mélodie encore plus harmonieuse.

Est-ce possible qu’il ait compris et me réponde ? Je continue d’approcher.

À ma grande surprise, il recule en sautillant sur ses petites pattes. J’avance donc un peu plus.

Pouvons-nous dialoguer ensemble ?

Il ne répond pas et se place à l’extrémité de l’angle du balcon. Je sais que je vais bientôt arriver dans une zone où je risque de tomber. Normalement je sais me rattraper, mais à cette hauteur ce n’est pas garanti et nous, les chats, avons les os fins donc fragiles.

Il recule encore un peu et émet un long gazouillis complexe bien modulé : on dirait une invitation.

Une question pointe tout à coup dans mon crâne : ce moineau ne serait-il pas en train de profiter de ma volonté de dialogue inter-espèces pour me tendre un traquenard ? Plus je l’écoute gazouiller plus j’en viens à la conclusion qu’il se fiche ouvertement de moi.

Alors que j’approche de la zone dangereuse, il s’envole d’un coup, me laissant en équilibre instable sur le bord du balcon. Pas de doute, cette sale bestiole a voulu profiter de mon goût pour la communication pour essayer de me faire choir. Je me récupère de justesse (même pas peur, même pas mal) et, de là, je me force à penser à autre chose pour ne pas laisser la colère monter.

Je scrute le balcon de la maison de Pythagore. Comme cet endroit me semble intrigant !

Soudain, en contrebas, la porte d’entrée s’ouvre et une femelle humaine à poils blancs en sort, effectue quelques pas dans la rue et vient sonner chez moi.

J’entends ma servante accourir dans le hall et l’accueillir. Les deux femelles humaines se parlent dans leur langage incompréhensible. J’ai à peine le temps de descendre de mon promontoire et de foncer au rez-de-chaussée pour venir trotter dans leurs jambes que, déjà, Nathalie a enfilé son manteau et qu’elles sortent. Les deux femelles franchissent la petite distance qui sépare leurs deux maisons. Je les suis dans la rue. Il y a encore plus de fleurs, de bougies et de photos qu’hier devant l’école maternelle.

Je me faufile entre leurs pattes et nous entrons dans « sa » maison. Je perçois des odeurs exotiques au milieu d’un décor singulier.

Les deux humaines s’assoient dans des fauteuils et celle aux poils blancs propose à ma servante de l’eau chaude tintée de jaune (j’ai humé, ce n’est pas de l’urine) dans des petits récipients. Pendant ce temps, j’analyse notre hôtesse — ma servante l’appelle « Sophie ». C’est une vieille humaine toute ridée, mais ses yeux marron sont vifs et mobiles. Il émane d’elle un parfum de rose. Elle appelle : « Pythagore ! » Et comme il ne se montre pas, elle part le chercher, puis une fois revenue au salon le dépose face à moi.

L’espoir renaît. Peut-être que nos servantes souhaitent que nous ayons une relation sentimentale approfondie entre chats voisins ?

Nous nous reniflons mutuellement, faisons semblant de nous rencontrer pour la première fois et, alors que je m’apprête à entamer la conversation, il déguerpit. Je le suis dans sa cuisine et le provoque en mangeant dans sa gamelle (moi, il ne faut pas me chercher, je suis comme ça), mais il ne daigne pas m’empêcher de le faire, ni même me regarder.

Même si ses croquettes sont moins bonnes que les miennes, je fais semblant de m’en délecter, puis je vais pisser dans sa litière. Cette fois encore, il ne fait rien pour m’empêcher d’agir. Au contraire, il disparaît comme s’il n’avait même pas vu que j’étais là. Je pars à sa recherche et, dans une des pièces à l’étage, je tombe sur une congénère cachée derrière la porte vitrée d’un meuble. C’est une chatte avec une fourrure similaire à la mienne.