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            – Bonjour, mademoiselle euh… Lovenstein, l’accueillit-il avec un accent franchouillard.

            – Je vois que tu me reconnais, c’est un bon début, fit-elle en avançant vers lui, menaçante.

            Elle jeta un coup d’œil à l’écran d’ordinateur.

            – C’est pour baver devant des photos de femmes nues que le restaurant te paie ?

            – Euh, non, madame, mais là… c’est… c’est ma pause.

            Mal à l’aise, le Français s’affaissa sur sa chaise et, pour tenter de se donner une contenance, croqua dans une barre chocolatée déjà entamée, qui traînait sur le bureau.

            – Arrête de bouffer, tête de blatte, lui ordonna-t-elle.

            Elle tira la facture de sa poche et la lui agita devant le nez.

            – C’est toi qui as passé cette commande ?

            Les épaules de l’adolescent se tassèrent et il baissa les yeux. Emma insista.

            – Tu m’as entendue lorsque je parlais au journaliste, n’est-ce pas ?

            Comme Romuald restait silencieux, la sommelière haussa le ton.

            – Écoute-moi bien, sombre crétin, je n’ai pas l’intention de perdre mon job. Alors, libre à toi de ne pas me répondre, mais, dans ce cas, je vais demander à la direction de prévenir les flics et tu t’expliqueras avec eux.

            Cette menace eut sur le gamin l’impact d’une décharge électrique.

            – Non, s’il vous plaît ! C’est… c’est vrai, j’ai été intrigué par votre façon de parler de ces vins et j’ai voulu les goûter.

            – Tu as voulu goûter des bouteilles à plus de 3 000 dollars, tête de flan ? Mais tu as du yaourt dans la tête ou quoi ? Et comment as-tu fait pour les commander ?

            D’un mouvement de tête, Romuald désigna son écran.

            – Rien de plus facile : vos bécanes et votre système ne sont pas sécurisés. Ça m’a pris vingt secondes pour pirater la comptabilité du restaurant.

            Emma sentit les battements de son cœur s’accélérer dans sa poitrine.

            – Et ces bouteilles, tu les as ouvertes ?

            – Non, elles sont là, répondit-il en se levant de sa chaise.

            Il traîna les pieds jusqu’à une armoire métallique d’où il tira une caissette en bois clair qui contenait les trois précieux millésimes.

            Dieu soit loué !

            Emma inspecta chacune des bouteilles avec attention ; elles étaient intactes.

            Sans attendre, elle appela son fournisseur pour lui expliquer que le compte client de l’Imperator avait été piraté. Elle proposa de renvoyer à ses frais l’intégralité de la commande contre une annulation de la facture. Elle ressentit un immense soulagement lorsqu’on lui annonça que son offre était acceptée.

            Pendant quelques secondes, elle resta immobile, soulagée d’avoir sauvé son emploi. Elle s’autorisa alors à repenser à son rendez-vous de ce soir et l’angoisse la saisit. Pour se rassurer, elle chercha des yeux son reflet dans la surface miroitée de la vitre, mais l’image qu’elle aperçut produisit l’effet contraire : elle était affreuse. Ses cheveux étaient abîmés, leur couleur, terne, sa coupe, informe. Ce n’est pas avec une tête pareille qu’elle parviendrait à plaire à Matthew Shapiro. Elle soupira et prit soudain conscience de la présence du stagiaire.

            – Écoute, je vais être obligée de signaler ta faute au chef du personnel. C’est très grave ce que tu as fait.

            – Non ! S’il vous plaît !

            Subitement, l’adolescent se liquéfia et fut pris d’une crise de larmes.

            – Pleure, tu pisseras moins, soupira-t-elle.

            Elle lui tendit néanmoins un mouchoir et patienta jusqu’à ce qu’il ait cessé ses gémissements.

            – Quel âge as-tu, Romuald ?

            – Seize ans et demi.

            – D’où viens-tu ?

            – De Beaune, au sud de Dijon, c’est…

            – Je sais où est Beaune. Certains des meilleurs vins français viennent de ta région. Depuis quand travailles-tu à l’Imperator ?

            – Quinze jours, dit-il en enlevant ses lunettes pour frotter ses paupières.

            – Et ça t’intéresse, ce boulot ?

            Il secoua la tête et pointa du menton l’écran de son PC.

            – La seule chose qui m’intéresse vraiment, c’est ça.

            – Les ordinateurs ? Qu’est-ce que tu fais dans un restaurant alors ?

            Il lui confia avoir suivi sa petite amie qui, après son bac, était partie travailler à New York comme fille au pair.

            – Et cette fille t’a laissé tomber ? devina Emma.

            Un peu honteux, il acquiesça en silence.

            – Tes parents savent que tu es aux États-Unis, au moins ?

            – Oui, mais en ce moment, ils ont d’autres chats à fouetter, affirma-t-il en restant évasif.

            – Mais comment as-tu réussi à te faire embaucher ici, à New York ? Tu n’as pas de papiers pour travailler, tu n’es pas majeur…

            – Je me suis bricolé un visa de travail temporaire en me vieillissant un peu.

            Bricoler un visa. Pas étonnant qu’il craigne la police et qu’il ne souhaite pas attirer sur lui l’attention de la DRH.

            Emma regarda l’adolescent avec un mélange de fascination et de compassion.

            – Où as-tu appris à faire ça, Romuald ?

            Il haussa les épaules.

            – On peut faire beaucoup de choses si on sait utiliser un ordinateur.

            Comme elle insistait, il lui raconta plusieurs anecdotes. À treize ans et demi, Romuald avait passé quelques heures en garde à vue pour avoir diffusé sur Internet une traduction pirate du dernier tome d’ Harry Potter. Un peu plus tard, c’est le site Internet de son lycée qu’il avait piraté, s’amusant à changer ses notes et à envoyer des messages loufoques sur les boîtes mail des parents d’élèves. En juin dernier, il avait déniché en quelques clics les sujets du bac scientifique pour offrir une mention à sa petite amie. Enfin, début juillet, il avait brièvement détourné le compte Facebook du président français, Nicolas Sarkozy. Une blague potache qui n’avait pas été du goût de l’Élysée. Les autorités étaient parvenues à remonter jusqu’à lui. Au vu de son dossier, il avait écopé d’une peine avec mise à l’épreuve, assortie du conseil très ferme de se tenir désormais éloigné d’un ordinateur.

            En l’écoutant parler, Emma eut une idée fulgurante.

            – Installe-toi devant ton écran, ordonna-t-elle.

            Il s’exécuta et tapa sur une touche du clavier pour mettre l’appareil sous tension.

            Elle tira une chaise pour s’asseoir à côté de lui.

            – Regarde-moi bien dans les yeux, Romuald.

            Nerveux, l’adolescent chaussa ses lunettes, mais ne soutint son regard que deux secondes.

            – Vous êtes… vous êtes très jolie, bredouilla-t-il.