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            Satisfaite de ne pas avoir cédé à son impulsion, elle se dirigea vers la sortie du magasin. En jetant un dernier coup d’œil au rayon des chaussures, elle contempla avec admiration une paire d’escarpins Brian Atwood en cuir rose poudré. Le modèle d’exposition était à sa pointure. Elle glissa son pied dans la chaussure et se transforma en Cendrillon. En python vieilli, les escarpins avaient des reflets violets et des talons laqués vertigineux. Le genre de chaussures capables de sublimer n’importe quelle tenue. Oubliant ses bonnes résolutions, Emma sortit sa carte de crédit pour régler le prix du rêve : 1 500 dollars. Avant de passer à la caisse, elle revint impulsivement sur ses pas pour acheter le manteau en brocart. Bilan de cette escapade shopping : un mois et demi de salaire parti en fumée en quelques minutes.

            En sortant sur la 5 eAvenue, Emma fut saisie par le froid. Le corps transi, elle noua son écharpe et baissa la tête pour se protéger du vent, mais la morsure était trop vive. Un souffle glacial la congelait sur place, anesthésiant son visage, engourdissant ses membres. Ses yeux pleuraient, ses joues la brûlaient. Elle n’eut pas le courage de continuer à pied. Elle s’avança sur le bord du trottoir pour héler un taxi, donna au chauffeur l’adresse du salon de coiffure en lui demandant de faire d’abord un détour par le Rockefeller Center où elle laissa au portier de l’Imperator le sac contenant son vieux manteau et ses anciennes chaussures.

            Le salon de coiffure d’Akahiko Imamura était un espace vaste et lumineux en plein cœur de l’Upper East Side : murs beiges, étagères en bois blond, grands canapés en cuir, consoles transparentes ornées d’orchidées.

            Emma donna son nom à l’hôtesse d’accueil qui vérifia le rendez-vous sur sa tablette tactile. Tout était en ordre, la manipulation informatique de Romuald avait fonctionné. En attendant le maître, un assistant lui lava les cheveux, prenant le temps de masser délicatement son cuir chevelu. Sous l’effet des doigts agiles, Emma se détendit, oubliant ses dépenses, sa fébrilité et ses soucis pour s’abandonner voluptueusement au confort douillet et raffiné de l’endroit. Puis Imamura fit son entrée et la salua, le dos plat et le regard vers le bas. Emma sortit de son sac une photo de Kate Beckinsale qu’elle avait découpée dans un magazine.

            – Vous pouvez me faire quelque chose dans ce genre ?

            Imamura ne s’intéressa pas au cliché. À la place, il observa longuement le visage de sa cliente et murmura quelques mots en japonais à son collaborateur, spécialiste de la coloration. Puis il s’arma d’un ciseau et commença à couper quelques longueurs. Il travailla une vingtaine de minutes avant de passer la main au coloriste qui appliqua une audacieuse couleur auburn des racines jusqu’aux pointes. Une fois la teinture terminée, Imamura rinça lui-même les cheveux d’Emma et reprit l’initiative sur sa coupe. Mèche par mèche, il tortilla les longueurs sur de gros rouleaux et sécha l’ensemble avant de les délier pour retravailler la coiffure avec ses doigts.

            Le résultat était stupéfiant. Ses cheveux étaient relevés en un élégant chignon torsadé. Une coupe délicate et sophistiquée qui rendait son visage lumineux et faisait ressortir ses yeux clairs et sa féminité. Emma se rapprocha du miroir, fascinée par sa nouvelle image. Quelques mèches rebelles et ondulées s’échappaient du chignon et rendaient la coiffure plus naturelle. Quant à la couleur, elle était tout simplement parfaite. C’était mieux que Kate Beckinsale ! Jamais elle n’avait été aussi belle.

            C’est donc le cœur léger qu’elle prit son taxi pour se rendre dans l’East Village. Dans la voiture, elle sortit sa trousse de maquillage et compléta sa tenue d’un peu de blush rosé, d’un voile doré sur les paupières et d’une touche de rouge à lèvres corail.

            Il était 20 h 01 lorsqu’elle poussa la porte du Numéro 5, ce petit restaurant italien au sud de Tompkins Square Park…

            *

            Le vol Delta 1816 se posa à l’aéroport Kennedy avec quelques minutes de retard. À l’arrière de l’avion, Matthew regarda nerveusement sa montre. 19 h 18. À peine débarqué, il se rua sur la file des taxis et patienta une dizaine de minutes pour avoir une voiture. Il donna l’adresse du restaurant au chauffeur et, comme dans un film, lui promit un bon pourboire s’il arrivait à l’heure. À New York aussi, il faisait incroyablement doux pour un mois de décembre. Il y avait de la circulation, mais pas autant qu’il se l’était imaginé. Assez rapidement, le yellow cabparvint à s’extraire du Queens et à rejoindre le Williamsburg Bridge avant de se faufiler dans les petites rues de l’East Village. Il était 20 h 03 lorsque la voiture s’arrêta devant Le Numéro 5.

            Matthew inspira profondément. Il était à l’heure. Peut-être même arriverait-il le premier. Il régla sa course et sortit sur le trottoir. Il se sentait à la fois nerveux et excité. Il respira de nouveau pour retrouver son calme et poussa la porte du restaurant italien.

6

            Le hasard des rencontres

            Le temps est le maître absolu des hommes ; il est tout à la fois leur créateur et leur tombe, il leur donne ce qu’il lui plaît et non ce qu’ils demandent.

            William SHAKESPEARE

            Restaurant Le Numéro 5

            New York

            20 h 01

            Le cœur battant, Emma se présenta au comptoir du restaurant. Elle fut accueillie par une jolie jeune femme au sourire engageant.

            – Bonsoir, j’ai rendez-vous avec Matthew Shapiro. Il a réservé une table pour deux.

            – Vraiment, Matthew est à New York ? s’exclama la femme. C’est une excellente nouvelle !

            Elle regarda sa liste des réservations. Visiblement, le nom de Matthew n’y figurait pas.

            – Il a dû appeler directement le portable de mon mari, Vittorio. Cet étourdi a oublié de m’en parler, mais ce n’est pas grave, je vais vous trouver une belle place en mezzanine, promit-elle en quittant son comptoir.

            Emma remarqua qu’elle était enceinte. Dans un état de grossesse avancée, même.

            – Voulez-vous que je vous débarrasse de votre manteau ?

            – Je vais le garder.

            – Il est superbe.

            – Vu ce qu’il m’a coûté, je suis contente de voir qu’il fait son effet !

            Les deux femmes échangèrent un sourire.

            – Je m’appelle Connie.

            – Enchantée, moi, c’est Emma.

            – Suivez-moi.

            Elles montèrent les marches d’un escalier en bois qui menait à une mezzanine au plafond voûté.

            La restauratrice désigna à sa cliente une table en bordure qui surplombait la salle principale.

            – Je vous offre un apéritif ? Avec ce froid, ça vous dirait un verre de vin chaud ?

            – Je vais attendre Matthew.

            – Très bien, fit Connie en tendant un menu avant de s’éclipser.

            Emma regarda autour d’elle. Le restaurant était chaleureux, cosy et intime, dégageant de bonnes ondes. Sur le menu, un petit texte expliquait que l’endroit s’appelait « Le Numéro 5 » en l’honneur de Joe DiMaggio. Lorsqu’il jouait pour les Yankees, le mythique joueur de base-ball portait en effet un maillot floqué de ce numéro. Sur le mur en brique, une photo du champion et de Marilyn Monroe laissait penser que le couple avait autrefois partagé un dîner dans ce restaurant. C’était difficile à croire, mais l’idée était belle.

            Emma regarda sa montre : il était 20 h 04.

            *

            Restaurant Le Numéro 5

            New York

            20 h 04

            – Matthew ! Ça alors, c’est une sacrée surprise ! s’exclama Vittorio en voyant son ami franchir la porte du restaurant.

            – Vittorio, ça me fait plaisir !

            Les deux hommes s’étreignirent.

            – Pourquoi tu ne m’as pas prévenu que tu passais ?