– J’ai appelé Connie, ce matin. Elle n’est pas là ?
– Non, elle est restée à la maison. En ce moment, Paul nous fait des otites à répétition.
– Ça lui fait quel âge déjà ?
– Un an le mois prochain.
– Tu as une photo ?
– Oui, regarde comme il a grandi !
Vittorio sortit son portefeuille de sa poche pour en extraire la photo d’un beau bébé joufflu.
– C’est déjà un solide gaillard, sourit Matthew.
– Oui, c’est grâce à la pizza que je lui mets dans ses biberons ! plaisanta le restaurateur en jetant un coup d’œil sur sa liste des réservations.
– Ah, je vois que tu as demandé à Connie de te réserver notre « table des amoureux » ! Ça alors, j’espère qu’elle est jolie, ton invitée !
– Ne t’emballe pas, tempéra-t-il, gêné. Elle n’est pas encore arrivée ?
– Non, la table est vide. Viens, je t’installe. Je t’offre un apéritif ?
– Non, merci, je vais attendre Emma.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 16
Matthew Shapiro, vos parents ne vous ont visiblement pas appris que la ponctualité était la politesse des rois…reprocha Emma en regardant sa montre.
De la mezzanine, elle pouvait observer la porte du restaurant. Chaque fois qu’elle s’ouvrait, elle s’attendait à voir entrer Matthew et chaque fois elle était déçue. Elle tourna la tête pour regarder à travers la fenêtre. Il venait de commencer à neiger. Quelques flocons argentés et cotonneux tourbillonnaient dans la lumière des réverbères. Elle poussa un léger soupir puis sortit son téléphone de son sac pour voir si elle avait un message.
Rien.
Après une hésitation, elle se décida à envoyer un courrier depuis son smartphone. Quelques phrases légères qui masquaient son impatience :
Cher Matthew,
Je suis arrivée au Numéro 5.
Je vous attends à l’intérieur.
La pizza aux artichauts, au parmesan et à la roquette a l’air divine !
Venez vite, je meurs de faim !
Emma
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 29
– Eh bien, elle se fait attendre, ta princesse ! remarqua Vittorio en rejoignant son ami sur la mezzanine.
– C’est vrai, admit Matthew.
– Tu ne veux pas l’appeler ?
– Nous n’avons pas échangé nos numéros.
– Allez, ne t’inquiète pas : on est à Manhattan. Tu sais bien que nous autres, New-Yorkais, avons une conception élastique de la ponctualité…
Matthew eut un sourire nerveux. À défaut de téléphoner à Emma, il rédigea un message pour lui signaler son arrivée :
Chère Emma,
Mon ami Vittorio tient absolument à vous faire goûter un vin de Toscane. Un sangiovese produit dans une petite propriété près de Sienne. Il est intarissable sur les vins italiens qu’il considère comme les meilleurs du monde. Venez vite lui rabattre son caquet !
Matt.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 46
Emma se sentait mortifiée. Ce type était un goujat ! Trois quarts d’heure de retard et pas un mail ou un appel au restaurant pour s’excuser !
– Désirez-vous que j’essaie d’appeler Matthew sur son portable ? proposa Connie.
La restauratrice avait perçu son trouble. Mal à l’aise, Emma bredouilla :
– Je… je veux bien, oui.
Connie composa le numéro de Matthew, mais tomba sur son répondeur.
– Ne vous en faites pas, il va arriver. C’est sans doute à cause de la neige.
Un léger « bip » signala l’arrivée d’un courrier électronique.
Emma baissa les yeux vers son écran. C’était un message d’erreur de type « utilisateur inconnu » qui lui signalait que le mail qu’elle avait envoyé à Matthew n’avait pas pu être délivré.
Étrange…
Elle vérifia l’adresse et essaya un second envoi qui se solda par un nouvel échec.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
21 h 13
– Je pense qu’elle ne viendra plus, lâcha Matthew en acceptant la bouteille de bière que lui tendait Vittorio.
– Je ne sais quoi te dire, se désola son ami. La donna è mobile, qual piuma al vento2 …
– Ça, on peut le dire, soupira-t-il.
Il avait envoyé deux nouveaux mails à Emma et n’avait reçu aucune réponse. Il regarda sa montre et se leva.
– Tu m’appelles un taxi pour l’aéroport ?
– Tu es sûr que tu ne veux pas dormir à la maison ?
– Non, je te remercie. Désolé de t’avoir bloqué une table pour rien. Tu embrasseras Connie pour moi.
Matthew quitta le restaurant à 21 h 30 et fut à l’aéroport à 22 h 10. Il profita du trajet pour valider son vol retour. Il s’enregistra sur l’avant-dernier vol de la journée.
Le moyen-courrier quitta New York à l’heure prévue et se posa à Boston à 00 h 23. À cette heure-ci, Logan tournait au ralenti. Matthew attrapa un taxi dès sa descente d’avion et fut de retour chez lui avant 1 heure du matin.
Lorsqu’il poussa la porte de sa maison de Beacon Hill, April était déjà couchée. Il passa une tête dans la chambre de sa fille pour s’assurer qu’Emily dormait à poings fermés puis revint dans la cuisine. Il se servit un grand verre d’eau et, machinalement, alluma l’ordinateur portable qui était resté sur le comptoir du bar. En consultant sa messagerie, il remarqua qu’il avait un courrier d’Emma Lovenstein. Un courrier qui ne figurait étrangement que sur l’ordinateur et pas sur son téléphone.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
21 h 29