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            – Qui veut du yaourt aux céréales ? demanda joyeusement April en descendant l’escalier.

            – Moi ! Moi ! lança Emily en sautant de son tabouret et en se précipitant pour embrasser la jeune femme.

            Elle l’attrapa au vol et lui fit un câlin.

            – Tu viens avec nous au magasin de jouets ? demanda Emily.

            – April travaille aujourd’hui, lança Matthew.

            – Mais on est dimanche ! remarqua la petite fille.

            – C’est le dernier week-end avant Noël, expliqua April. On est ouverts tous les jours pour que les adultes puissent eux aussi faire leurs cadeaux, mais je ne vais à la galerie qu’à partir de midi, donc je peux vous accompagner ce matin.

            – Génial ! Et tu peux me préparer un grand mug de chocolat chaud avec des mini-marshmallows ?

            – Si papa est d’accord…

            Matthew ne s’opposa pas à cette sucrerie. April lui fit un clin d’œil et alluma la radio en préparant le petit déjeuner.

            – Alors, cette soirée ? demanda-t-elle.

            – Un fiasco, murmura-t-il en glissant une capsule de café dans la machine à expresso.

            Il jeta un coup d’œil à Emily. En attendant son cacao, elle jouait avec sa tablette tactile, dézinguant des cochons verts avec ses Angry Birds. À voix basse, Matthew raconta à sa colocataire son invraisemblable aventure de la veille.

            – Ça sent mauvais, cette histoire, reconnut-elle. Qu’est-ce que tu comptes faire ?

            – Rien, justement. Oublier cette déconvenue en espérant ne plus recevoir de message de cette femme.

            – Je t’avais prévenu : le badinage sur Internet, c’est trop dangereux.

            – T’es gonflée ! C’est quand même toi qui m’as encouragé à l’inviter au restaurant !

            – Pour ne pas vivre dans l’illusion, justement ! Reconnais que c’était un peu trop beau pour être vrai, cette femme qui avait le même humour que toi, qui partageait exactement tes goûts et qui est parvenue si vite à te faire baisser la garde au mépris de toute prudence.

            – J’aurais dû me méfier davantage, concéda-t-il.

            Comme pour remuer le couteau dans la plaie et attiser son inquiétude, April lui raconta une série de faits divers glauques liés à des escroqueries sur la Toile. Des histoires sordides de personnes crédules qui avaient cru rencontrer en ligne l’élu de leur cœur avant de réaliser, un peu tard, qu’elles étaient tombées dans un traquenard visant à leur extorquer des fonds.

            – Soit cette fille est folle, soit elle a des intentions néfastes, reprit-elle. Dans les deux cas, elle s’est obligatoirement renseignée sur toi pour te piéger avec autant de facilité. Ou alors, c’est quelqu’un qui te connaît bien et qui opère sous une fausse identité.

            Une de mes élèves ?se demanda Matthew.

            Il se rappela soudain un épisode dramatique survenu l’année précédente à l’Emmanuel College, une université catholique de Boston. Croyant bavarder en ligne avec son petit copain, une étudiante avait accepté de se dévêtir et de se caresser devant sa webcam. Manque de chance, ce n’était pas son fiancé qui se trouvait derrière la caméra, mais quelqu’un qui avait usurpé son profil. Le salopard avait enregistré la scène pour faire chanter la jeune fille. Il lui avait réclamé une forte somme d’argent pour ne pas diffuser la vidéo. Pour rendre sa menace crédible, il avait envoyé dans la nuit des extraits du film à certains des contacts de l’étudiante. Écrasée par la honte et terrifiée par les conséquences de son geste, elle avait été retrouvée pendue dans sa chambre le lendemain matin…

            Le souvenir de cette tragédie provoqua chez Matthew un frisson d’effroi. Une coulée de sueur lui glaça l’échine.

            Je ne me suis pas suffisamment méfié !se reprocha-t-il de nouveau. À bien y réfléchir, il aurait aimé que cette femme soit seulementune arnaqueuse, mais il penchait plutôt pour une malade mentale. Quelqu’un qui croit vivre en 2010 est forcémenttrès dérangé.

            Donc potentiellement dangereux.

            Il fit la liste de toutes les choses qu’il lui avait confiées : son nom, la rue dans laquelle il habitait, l’université où il enseignait. Elle savait aussi qu’il avait une enfant de quatre ans et demi, qu’il faisait son jogging dans le parc les mardi et jeudi matin, que sa fille fréquentait l’école Montessori, dans quelles circonstances il avait perdu sa femme…

            Elle savait tout…Suffisamment en tout cas si elle voulait lui nuire ou l’agresser. Ou faire du mal à Emily. En se livrant ainsi, il avait soudain l’impression d’avoir mis en péril une partie de son existence.

            Non, tu es parano, se raisonna-t-il. Vraisemblablement, il n’entendrait plus parler de cette Emma Lovenstein et, à l’avenir, cette mésaventure lui servirait de leçon. Il mit sur un plateau la tasse que lui tendait April et décida d’oublier définitivement cette histoire.

            – Viens t’asseoir, chérie, ton chocolat est prêt.

            *

            – Souriez !

            Une heure plus tard, April faisait des photos d’Emily et de Matthew devant l’entrée de Toys Bazaar, l’une des institutions de la ville.

            Situé à l’angle de Copley Square et de Clarendon Street, le Bazaar était le temple du jouet à Boston. À quelques jours de Noël, l’ambiance battait son plein : animations, musique, distribution de bonbons… Emily donna une main à son père et l’autre à April. Des deux côtés de la porte à battants, des portiers habillés en personnages sortis de Max et les Maximonstresles accueillirent en leur offrant des sucettes. Ils parcoururent les premiers rayons avec émerveillement. Si les étages du magasin étaient réservés aux appareils high-tech (consoles, figurines à reconnaissance vocale, jeux électroniques…), le rez-de-chaussée faisait, lui, la part belle aux jouets traditionnels : peluches, constructions en bois, LEGO, poupons…

            Emily écarquillait les yeux devant les animaux en peluche grandeur nature.

            – C’est doux ! s’émerveilla-t-elle en caressant une girafe haute de six mètres.

            C’était indéniable : l’endroit était magique, spectaculaire et faisait rapidement retomber en enfance. April s’extasia un long moment devant l’impressionnante collection de poupées Barbie, tandis que Matthew resta bouche bée en apercevant un train électrique géant dont les rails serpentaient sur plusieurs dizaines de mètres.

            Il laissa Emily courir encore quelques minutes entre les rayons, puis il s’agenouilla pour se mettre au niveau de la petite fille.

            – Bon, tu connais les règles : tu peux choisir deux cadeaux, mais ils doivent rentrer dans ta chambre.

            – Donc, pas la girafe, devina Emily en se pinçant la lèvre.

            – Tu as tout compris, chérie.

            Accompagnée d’April, la petite fille passa un temps fou à choisir un teddy bearparmi la centaine de modèles proposés. D’un air distrait, Matthew déambula dans l’espace où étaient exposés des modèles métalliques de type Meccano puis échangea quelques mots avec un magicien qui enchaînait des tours devant l’escalator. Même de loin, il gardait toujours un œil sur sa fille, heureux de la voir si enthousiaste. Mais ces moments de bonheur ravivaient la douleur de la perte de Kate. Il ressentait une telle injustice de ne pas pouvoir partager ces instants avec elle. Il s’apprêtait à rejoindre April lorsque son téléphone sonna. Le numéro de Vittorio Bartoletti s’afficha sur l’écran. Il décrocha et essaya de couvrir de sa voix le brouhaha ambiant.

            – Salut, Vittorio.

            – Bonjour, Matt. Où es-tu, là, dans une pouponnière ?

            – En pleines courses de Noël, mon vieux.

            – Tu préfères me rappeler ?

            – Donne-moi deux minutes.

            De loin, il adressa un signe à April pour la prévenir qu’il sortait fumer une cigarette, puis il quitta le magasin et traversa la rue pour rejoindre Copley Square.