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            – Tu sais qu’on peut aller en prison pour ça, Matt ?

            – On va être suffisamment malins pour ne pas se faire prendre. C’est pour ça que j’ai besoin de ton cerveau sexy.

            – Si tu crois que c’est avec ce genre de compliments que…

            – Allons-y maintenant, s’il te plaît. C’est très important pour moi.

            – Un clébard, ça mord, tu es au courant ?

            – C’est un tout petit chien.

            – C’est-à-dire ?

            – Tu t’en souviens peut-être : c’est celui du frère d’Emma Lovenstein. Tu l’as vu lors du vide-grenier sur la pelouse.

            – Le shar-pei ! Tu parles que je m’en souviens ! Ce n’est pas un petit chien, Matt. Ce molosse pèse au moins 40 kilos et c’est une boule de muscles !

            Emily lâcha la main de son père et se précipita pour entourer April par la taille.

            – Je t’en supplie, April, aide-nous ! Aide-nous ! Je veux un petit chien depuis si longtemps. S’il te plaît ! S’il te plaît !

            La galeriste dévisagea Matthew d’un air de reproche.

            – Tu n’as pas le droit d’instrumentaliser cette gamine ! lança-t-elle en attrapant son manteau.

            *

            Matthew s’était mis au volant de la Camaro. La voiture quitta le centre de Boston et prit la direction de Belmont.

            – Bon, tu m’expliques ? réclama April.

            Il attendit d’être arrivé à un feu de signalisation ; là, il se tourna vers Emily pour lui tendre un baladeur.

            – Tu veux écouter de la musique, chérie ?

            Bien sûr qu’elle le voulait !

            Il attendit que sa fille ait mis le casque sur ses oreilles pour informer April de ses intentions. Elle le laissa terminer son raisonnement avant de résumer :

            – Donc, tu penses que le fait d’enlever ce pauvre chien va te ramener ta femme ?

            – Oui, indirectement, comme je viens de te l’expliquer.

            – Je ne crois pas un seul instant à toute cette histoire d’ordinateur qui permettrait de communiquer à travers le temps.

            – Et comment expliques-tu le film de surveillance de Vittorio, l’article de journal sur le casino, les…

            – Je n’explique rien, le coupa-t-elle. Et je veux bien t’aider parce que tu es mon ami, mais je pense que personne n’a jamais ramené les morts à la vie et que personne ne le fera jamais. Kate est morte. Tu ne la reverras plus, Matt, et crois bien que j’en suis désolée. Sa disparition t’a dévasté, mais à un moment donné, il faut laisser partir les gens. Ne t’accroche pas à cette idée stupide, je t’en prie. Tu commençais à aller mieux. L’achat de cet ordinateur a provoqué une rechute ; si tu persévères dans cette voie, tu vas te faire encore plus de mal et tu vas surtout faire du mal à ta fille.

            Matthew jeta un regard sombre à son amie et ne lui adressa plus la parole jusqu’à Belmont. Comme la veille, il se gara devant le cottage en bardage de bois du petit quartier résidentiel. Par chance, Emily s’était endormie sur la banquette arrière. Matthew et April sortirent pour repérer les lieux. Il était quatre heures de l’après-midi. La rue était déserte. Matthew avança jusqu’au portail et sonna pour s’assurer que la maison était vide. Aucune réponse sauf les aboiements du shar-pei qui, en bon chien de garde, se précipita à la clôture pour dissuader les visiteurs de s’approcher trop près de la maison.

            – Salut, Clovis, lança Matthew.

            – Non seulement ce n’est pas un petitchien, mais en plus, il est en train d’ameuter tout le quartier. Bon, tu as un plan au moins ?

            – Absolument, répondit-il en sortant de la poche de son manteau un sac en plastique.

            – C’est quoi, ce truc ? Ça pue, c’est une infection !

            – Ce sont deux steaks hachés décongelés au micro-ondes que j’ai roulés en boulettes de viande…

            – … mélangés à des somnifères, devina April. Vachement original.

            – Mon médecin m’en avait prescrit lorsque Kate est morte. Il m’en restait quelques comprimés.

            – Ça ne marchera jamais, décréta-t-elle. Et ton plan B ?

            – Bien sûr que ça marchera.

            Elle secoua la tête.

            – À supposer que le chien ne vomisse pas tes boulettes et que tu les aies suffisamment dosées, il va mettre trois plombes avant de s’endormir, et encore, il sera tout juste vaseux. D’ici là, son propriétaire sera revenu ou l’un des voisins aura appelé les flics…

            – Ne sois pas défaitiste. Je tente le coup, décida Matthew en balançant les deux grosses boulettes de viande de l’autre côté de la clôture.

            Sceptique, Clovis les renifla longuement. Vaguement dédaigneux, il en avala la moitié d’une, mais guère convaincu par leur saveur, les abandonna aussitôt et se remit à aboyer en redoublant d’ardeur.

            – Qu’est-ce que j’avais dit ?

            – Attendons quelques minutes dans la voiture, proposa Matthew.

            En silence, ils patientèrent trois longs quarts d’heure sans aucun résultat. Le chien semblait les narguer, Cerbère fidèle gardant la porte des Enfers. Le soir tombait doucement. Eux-mêmes commençaient à s’assoupir lorsque la sonnerie psychédélique du téléphone d’April fit sursauter tout le monde. La galeriste refusa la communication, mais Emily s’était réveillée en tressaillant.

            – On est arrivés, papa ? On est chez le petit chien ? demanda-t-elle en se frottant les yeux.

            – Oui, chérie, mais… je ne suis pas certain qu’il soit d’accord pour venir avec nous.

            – Tu m’avais promis… commença-t-elle avant de fondre en larmes.

            Matthew soupira et se massa les tempes.

            – Ça, tu l’as bien cherché, lui lança April d’un ton plein de reproches. Ça t’apprendra à…

            Soudain, elle s’interrompit brièvement avant de s’exclamer :

            – Hé, Matt, il est passé où, le clebs ?

            Il jeta un coup d’œil à travers la vitre. Il avait suffi qu’ils relâchent leur surveillance une petite minute pour que Clovis disparaisse subitement.

            – Je n’en sais rien, mais je vais aller voir.

            Il sortit de la voiture et ouvrit le coffre pour accéder à la boîte à outils qu’il avait apportée avec lui. Il s’empara d’une grosse pince capable de cisailler le grillage.

            – Je laisse le coffre ouvert, prévint-il. Allume le moteur au cas où.

            Il s’approcha du portail qui se prolongeait par une palissade en bois et une clôture grillagée. Avec la pince, il fit sauter un à un tous les fils de fer du treillis et s’aventura sur la pelouse.

            – Clovis ?

            Il s’avança prudemment jusqu’au perron.

            – Clovis ? Gentil chien…

            Personne.

            Il fit le tour de la maison et découvrit le corps du chien, inerte, couché près d’une grande niche en bois peint.

            Merde, j’espère qu’il n’est pas mort…

            Il s’agenouilla, le prit dans ses bras.

            Bordel, il pèse trois tonnes !