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            La petite fille grimpa sur le tabouret pour s’asseoir à côté de son père.

            – La gamelle de Clovis est vide. Je pourrai la remplir de croquettes ?

            Matthew émit un grognement d’approbation.

            – On le fera toutes les deux, promit April en versant le lait dans un mug. Mais en attendant, bois ton chocolat.

            Elle posa la tasse à côté de la petite fille.

            – Fais attention, c’est très chaud !

            – Tu m’as mis des petits marshmallows ! Miam ! Merci, April.

            Matthew leva un sourcil réprobateur à l’intention de sa colocataire.

            – On va se calmer avec les sucreries, d’accord ? Cette gamine va finir par ressembler au bonhomme Michelin !

            – C’est Noël, papa ! s’exclama la petite fille.

            – La bonne exc…

            Le tintement signalant l’arrivée d’un courrier électronique lui fit interrompre sa phrase. Son regard glissa sur son écran. Il parcourut le mail d’Emma au titre provocateur.

            De :Emma Lovenstein

            À :Matthew Shapiro

            Objet :Connaissez-vous réellement votre femme ?

            Cher Matthew,

            Je suis ravie de savoir que votre petite fille aime beaucoup mon Clovis. C’est un chien fidèle et affectueux. Cela va peut-être vous étonner, mais je suis très heureuse de le savoir chez vous. Pas une seule seconde je n’imagine que vous lui ferez du mal. Vous êtes un type bien, Matt, et je ne vous vois pas torturer ce pauvre animal innocent.

            J’ai beaucoup hésité avant de vous envoyer ce petit film en pièce jointe. J’espère qu’il ne vous heurtera pas trop. Veuillez me pardonner cette intrusion dans votre vie intime, mais savez-vous qui est l’homme en compagnie de votre femme ?

Emma

            De quoi parle-t-elle ?se demanda-t-il en copiant le fichier sur le bureau. Puis il cliqua pour lancer le film.

            Après quelques secondes, une image un peu floue apparut à l’écran.

            – Qu’est-ce que tu regardes, papa ? demanda Emily en se penchant vers l’écran.

            – Fais attention, ma puce, la mit en garde April, tu vas…

            Trop tard.

            Pleine à ras bord, la tasse de chocolat se renversa sur l’ordinateur, projetant sur le clavier près de 400 millilitres de liquide brûlant et gluant.

            L’image se figea, puis l’écran devint noir.

            Désespéré, Matthew dévisagea sa fille avec des yeux exorbités. Son cœur se serra dans sa poitrine, sa respiration se bloqua et des larmes de rage lui embuèrent le regard : il venait de perdre l’unique moyen de communiquer avec Emma.

            L’unique moyen de sauver sa femme.

 13

            La traversée du miroir

            La vie a besoin d’illusions, c’est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités.

            Friedrich NIETZSCHE

            Boston, 2010

            Bip, bip, bip…

            En entrant dans la maison, Emma avait déclenché un léger signal sonore qui ressemblait à un sonar.

            Elle ferma la porte et se tourna vers le boîtier de l’alarme. Impossible de rentrer le code pour désactiver le système : elle ne le connaissait pas.

            Bip, bip, bip…

            Encore combien de temps avant que le bruit discret du détecteur ne laisse la place à un signal plus intimidant ? Elle tenta d’avaler sa salive, sans succès. Elle avait la gorge sèche, le front couvert de sueur. Elle resta immobile quelques secondes, dans la peau du condamné attendant l’office du bourreau. Enfin, les bips de mise en garde s’interrompirent et le hurlement assourdissant d’une sirène fit vibrer les murs.

            Vloiiiiing ! Vloiiiiing ! Vloiiiiing !

            Elle avait beau s’attendre à ce déferlement, la violence de la sonnerie provoqua une coulée d’angoisse dans ses veines. Elle sentit un début de panique. Elle frissonna. Le sang battait dans ses tempes de plus en plus fort. À ce moment, son téléphone vibra dans sa poche. Elle décrocha et parla le plus fort possible pour couvrir le bruit de la sonnerie.

            – Allô.

            – Madame Kate Shapiro ?

            – Elle-même.

            – Société de surveillance Blue Watcher, nous venons de…

            – Mon alarme, oui, je suis désolée. Mon mari a dû changer le code sans m’en avertir. Pouvez-vous la faire cesser ?

            – Pas avant d’avoir procédé aux vérifications d’usage.

            Vloiiiiing ! Vloiiiiing ! Vloiiiiing !

            Si Romuald n’avait pu désactiver le système à distance, il avait néanmoins réussi à pénétrer dans le serveur de l’entreprise. Il avait subtilement modifié le numéro à contacter en cas de déclenchement de la sonnerie, remplaçant les portables de Kate et de Matthew par le seul numéro d’Emma. Il avait aussi réalisé une copie d’écran du dossier révélant les réponses aux trois questions secrètes nécessaires pour authentifier le correspondant et couper la sirène.

            – Dans quelle ville vos parents se sont-ils rencontrés ? demanda l’employé.

            Emma baissa les yeux pour lire les réponses que lui avait communiquées Romuald et qu’elle avait notées au stylo sur son poignet.

            – À Saint-Pétersbourg.

            – Quel était votre film préféré lorsque vous étiez enfant ?

            –  Les Aventures de Bernard et Bianca.

            – Comment s’appelait votre meilleure amie lorsque vous étiez étudiante ?

            – Joyce Wilkinson, répondit-elle sans hésiter.

            Instantanément, la sirène cessa de hurler.

            – Je vous remercie, madame Shapiro. À l’avenir, demandez à votre mari de vous prévenir en cas de changement de code.

            Emma raccrocha et essuya les perles de sueur sur son front. Elle s’avança vers la fenêtre, tout en restant dissimulée derrière le rideau. Aucun mouvement ne troublait Louisburg Park, mais cela risquait de ne pas durer.

            Que dirait-elle si un flic sonnait à la porte ? Ou si Matt ou Kate rentraient chez eux à l’improviste ? Elle refoula cette idée et décida de commencer son exploration.

            Sa colère envers Kate la motivait et avait eu comme premier bénéfice de la faire sortir de son état dépressif en lui donnant l’envie de se battre, pour elle, pour son avenir, pour Matthew…

            Emma ne savait pas très bien ce qu’elle cherchait. Une confirmation de l’infidélité de Kate ? Un indice qui pourrait la mettre sur la piste de l’identité du mystérieux inconnu ? En tout cas, elle devait aller au-delà des apparences. Fouiller dans l’inconscient de la maison : les placards, les armoires, les tiroirs, les ordinateurs, la cave…

            Le rez-de-chaussée était aménagé comme un loft avec un grand salon et une cuisine ouverte. Le chauffage diffusait une douce chaleur. La pièce était agréable, accueillante, familiale. Près du canapé, un beau sapin de Noël aux lumières clignotantes, sur le comptoir de la cuisine, des miettes de pain, un pot de confiture qu’on avait oublié de ranger, un dessin d’enfant à moitié colorié, le New York Timesdu jour ouvert au cahier Culture.