Выбрать главу

            Sur les murs et dans les cadres posés sur les étagères, on pouvait voir de nombreuses photos des membres de la famille dont des clichés en noir et blanc qui représentaient à coup sûr Kate enfant : une jolie petite fille blonde et sa mère autour d’un piano ou marchant main dans la main dans les rues d’une ville russe – sans doute Saint-Pétersbourg. Puis des clichés à la couleur passée : une frêle adolescente posant devant la Space Needle et plus tard une jeune étudiante presque diaphane en jean et sac à dos sur les pelouses qui s’étendaient devant le campanile de l’université de Berkeley. Un saut dans le temps faisait alors passer de l’étudiante timide à une jeune femme pleine d’assurance. C’était la Kate d’aujourd’hui, celle qu’elle avait aperçue, la chirurgienne sûre d’elle au physique avantageux, posant avec sa fille et son mari.

            Ces clichés soulevaient plusieurs questions, mais Emma réserva son analyse pour plus tard. Elle dégaina son téléphone et consacra trois minutes à fixer sur l’objectif toutes les photos affichées dans la pièce. Dans la cuisine, elle garda aussi une trace de l’emploi du temps hebdomadaire de Kate placardé sur un panneau de liège.

            Délaissant provisoirement le rez-de-chaussée jugé trop exposé, elle monta au premier étage.

            Il s’articulait autour d’une grande suite parentale à la décoration dépouillée, desservie par deux salles de bains et prolongée par un dressing, une chambre d’enfant et une pièce presque vide qui faisait office de bureau.

            La chambre du couple était envahie de livres posés à même le sol des deux côtés du lit. À gauche, des essais de philosophie ( Vie de saint Augustin, Lectures de Nietzsche…), à droite, des publications scientifiques ( Les Chirurgies de l’insuffisance cardiaque, Les Cardiopathies congénitales, Sang artificiel et cellules souches…). Pas difficile de deviner la place de chacun…

            Cette vision du lit conjugal raviva chez Emma les braises de la jalousie. Nerveuse, elle inspecta les étagères et fouilla les tiroirs de la commode. Dans l’un d’eux, elle trouva les passeports du couple. Elle ouvrit le premier : Matthew Shapiro, né le 3 juin 1968 à Bangor (Maine), puis le deuxième : Ekaterina Lyudmila Svatkovski, née le 6 mai 1975 à Saint-Pétersbourg (Russie).

            Kate est russe…

            Ça expliquait la blondeur, les yeux clairs, cette beauté froide et distante…

            Le bruit d’un moteur de voiture monta de la rue. Craignant un retour du couple, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre – fausse alerte – avant de poursuivre ses investigations.

            Elle ne perdit pas de temps dans la salle de bains de Matthew, mais s’attarda dans celle de « madame ». Elle ouvrit les portes, les tiroirs et les compartiments de tous les meubles. L’élément principal – une étagère suspendue – débordait de produits de beauté : crèmes, lotions, maquillage. Dans la colonne en bois peint qui faisait office d’armoire à pharmacie, elle trouva des tubes en plastique dont elle parcourut les étiquettes (aspirine, paracétamol, ibuprofène), des flacons d’alcool à 70°, de sérum physiologique, d’eau oxygénée. Derrière les boîtes de pansements adhésifs et de compresses, elle fit une découverte plus inattendue. Des molécules aux noms complexes, mais familiers, qui étaient ceux d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de somnifères. Emma n’en crut pas ses yeux : Kate et elle fréquentaient les mêmes sulfureux « amis ». Pendant quelques secondes, elle en éprouva un étrange réconfort.

            Malgré les apparences, Kate n’était pas la femme épanouie et sereine qu’elle s’était imaginée. Elle était sans doute comme elle : tourmentée, anxieuse, peut-être vulnérable. Son mari était-il au courant du contenu de l’armoire à pharmacie ? Probablement pas, sinon la chirurgienne n’aurait pas rangé si soigneusement les tubes. Et puis Matthew n’avait pas l’air d’être le genre d’homme à aller fouiller dans les affaires de sa femme.

            Elle poursuivit son exploration en pénétrant dans la salle-penderie.

            Mon rêve…

            C’était le dressing parfait : vaste, épuré, raffiné et fonctionnel. Des portes coulissantes en bois clair alternaient avec des panneaux de verre et des façades en miroir qui agrandissaient encore l’espace.

            Avec une curiosité assumée, elle ouvrit méthodiquement chaque penderie, fouilla chaque armoire, inspecta chaque tiroir, souleva des piles de vêtements, examina des dizaines de paires de chaussures et de pièces de lingerie. Posés contre le mur, une échelle en bois sombre et un marchepied permettaient d’accéder aux espaces les plus hauts. Elle s’y hissa pour passer au crible le contenu de cette partie du dressing. Assez vite, elle mit la main sur un blouson de cuir plié et posé à plat sur la plus haute des étagères. C’était une veste de motard usée avec un col en mouton retourné. Le même genre de veste que portait l’« amant » de Kate ce matin ! Emma l’examina avec attention. Elle palpa la doublure. Dans l’une des poches à rabat, elle trouva un cliché délavé. C’était une photo de Kate, seins nus, qui devait remonter à une quinzaine d’années. La pose sexy et provocante d’une jeune femme d’à peine vingt ans qui fixait l’objectif avec une intensité rare. Emma retourna la photo à la recherche d’une indication, mais rien n’était inscrit au verso.

            Son excitation monta de plusieurs crans. Comme elle l’avait fait précédemment, elle garda une trace du cliché sur son téléphone avant de le remettre dans la poche du blouson et de ranger ce dernier.

            Il faut partir à présent…

            Par acquit de conscience, elle alla jeter un œil au dernier étage. Cette partie de la maison n’était pas chauffée. Elle abritait ce qui devait être une chambre d’amis, une autre salle de bains et deux grandes pièces encore en travaux.

            Elle redescendit au rez-de-chaussée et effectua un dernier tour. Sur une petite table en bois marqueté se trouvait l’ordinateur familial. Elle l’avait déjà remarqué tout à l’heure, mais elle avait pensé qu’il était protégé par un mot de passe.

            Sait-on jamais…

            Elle fit bouger la souris pour mettre l’appareil sous tension. L’écran s’ouvrit sur la session de Kate. Pas de mot de passe, pas de protection.

            Donc pas d’infos intéressantes, pensa-t-elle.

            Elle fureta tout de même dans les différents dossiers. Kate n’utilisait apparemment cet ordinateur qu’à des fins professionnelles. Il regorgeait d’articles, de fichiers, de films se rapportant à la chirurgie et aux malformations cardiaques. Idem pour l’historique du navigateur Internet et le courrier électronique. Seule entorse à cet univers médical, Les Tribulations d’une Bostonienne, un blog « artisanal » sur les bonnes adresses de Boston (restaurants, cafés, magasins…) que la chirurgienne semblait tenir avec plus ou moins d’assiduité. Emma nota l’adresse du site sur son avant-bras et essaya d’ouvrir la session de Matthew. Celle-ci n’était pas plus protégée que celle de sa femme. Apparemment, la confiance régnait dans le couple, du moins sur ce point. Emma se livra à la même analyse et ne trouva rien de bien marquant. Il y avait néanmoins plusieurs centaines de photos, regroupées en désordre dans un dossier. Elle commença à les faire défiler, mais il y en avait trop pour les voir toutes. Elle fouilla dans la poche de son manteau pour y prendre son trousseau. Son porte-clés était une petite bouteille en métal représentant une bouteille de pinot noir californien. Un objet publicitaire qu’on lui avait donné lors de la visite d’un domaine viticole. En faisant coulisser la partie haute de la bouteille, l’embout d’une clé USB apparut. Emma la connecta à l’ordinateur pour y copier les photos, se laissant la possibilité de les regarder plus tard tout à son aise. La copie était en cours lorsqu’elle entendit la pétarade d’une moto. Elle retira la clé USB sans attendre et s’approcha de la fenêtre.

            Merde…

            Cette fois, c’étaient bien Matthew et Kate qui se garaient juste devant la porte d’entrée.

            Trop tard pour faire demi-tour !

            Une seule solution : battre en retraite.

            Elle empruntait les marches qui menaient aux chambres au moment où la porte d’entrée s’ouvrit.

            De l’étage, elle entendait distinctement les voix de Matthew et de Kate. Elle prit peur et se réfugia dans la chambre du couple. En essayant de faire le moins de bruit possible, elle souleva la fenêtre à guillotine. En jetant un dernier coup d’œil à la pièce, elle aperçut au loin, dans le dressing, quelque chose qui ne l’avait pas frappée la première fois, mais qui l’étonnait maintenant. Pourquoi y avait-il une échelle en bois posée contre le mur ? Le marchepied qu’elle avait utilisé suffisait largement pour accéder aux plus hautes étagères. Elle arrêta son mouvement et revint à pas de loup dans la salle-penderie.