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            Et pourquoi l’échelle est-elle en bois sombre alors que tous les meubles de l’étage sont en bois clair ?

            Emma leva les yeux au plafond et, malgré les voix du couple qui montaient du salon, déploya l’échelle et grimpa sur les premiers barreaux.

            L’échelle n’est pas là pour accéder à la penderie, mais pour accéder… au plafond.

            Arrivée sur les derniers barreaux, Emma poussa la plaque de plâtre du faux plafond. En tendant la main, elle sentit quelque chose. Une lanière, la bandoulière d’un sac, plutôt. Elle tira et un gros sac en toile tomba. Par un réflexe désespéré, elle parvint à le rattraper.

            C’était un fourre-tout en toile rouge plastifiée avec un logo blanc représentant la « virgule » d’une célèbre marque de sport. Le sac était lourd, bourré à craquer. En équilibre sur l’escabeau, elle l’ouvrit d’un geste vif, regarda à l’intérieur, et sous le coup de la surprise faillit le lâcher.

            Le rythme de son cœur s’accéléra. Elle entendait des pas qui montaient dans l’escalier.

            Elle remit le sac dans sa cachette, replaça le faux plafond, descendit l’échelle et traversa la pièce en trombe. La fenêtre de la chambre était restée ouverte. Elle enjamba le cadre, dévala l’escalier de secours en fonte et s’enfuit à toutes jambes.

            *

            Boston, 2011

            9 h 45

            Le clavier de l’ordinateur baignait dans le chocolat chaud.

            – Pardon, papa, je suis désolée ! Pardon ! Pardon ! supplia Emily en constatant l’étendue de la catastrophe.

            D’un bond, Matthew se leva de son tabouret, débrancha l’appareil et le retourna à la verticale pour faire couler le liquide gluant.

            – J’ai pas fait exprès ! s’excusa la petite fille en se réfugiant dans les bras d’April.

            – Bien sûr, chérie, essaya-t-elle de la rassurer.

            Silencieux, Matthew épongeait l’ordinateur avec un torchon.

            Que faire ?

            Son cœur palpitait avec violence. Il fallait agir. Vite.

            April sortit de son sac à main plusieurs disques à démaquiller en coton et les tendit à Matthew pour terminer le nettoyage du clavier.

            – Tu crois que les circuits sont touchés ?

            – Je le crains.

            – Mais ce n’est pas certain, tempéra-t-elle. L’année dernière, j’ai laissé tomber mon téléphone portable allumé dans les toilettes. En le séchant et en enlevant la carte SIM, j’ai réussi à le rallumer et il marche toujours aujourd’hui !

            Matthew réfléchit. Inutile qu’il essaie de démonter l’ordinateur. Il ne connaissait pas grand-chose à l’informatique. Il eut la tentation d’essayer de rallumer la machine puis se ravisa.

            C’est le meilleur moyen de provoquer un court-circuit et de griller des composants…

             Je vais l’apporter chez un réparateur, décida-t-il en regardant sa montre. Tu peux garder Emily encore une heure ?

            Il appela un taxi, passa rapidement sous la douche, enfila un jean, un pull, un gros manteau et sortit dans la rue avec l’ordinateur dans une mallette en cuir.

            Débarquer dans un Apple Store à deux jours de Noël relevait de l’inconscience. Le MacBook n’était de toute façon plus sous garantie. Il demanda au chauffeur de le conduire chez un petit revendeur dans une rue derrière Harvard Square. Un magasin que fréquentaient certains de ses étudiants.

            La boutique venait à peine d’ouvrir et Matt était visiblement le premier client. Derrière le comptoir, un ancien hippie à la silhouette épaisse terminait son petit déjeuner.

            La soixantaine bien tassée, il arborait une crinière poivre et sel et portait un gilet en cuir ouvert sur un tee-shirt barré du drapeau cubain. Sa bedaine débordait d’un jean délavé orné d’un gros ceinturon.

            – J’peux vous aider, chef ? demanda-t-il en essuyant les paillettes de sucre glacé de son donut qui s’étaient collées dans les broussailles de sa barbe.

            Matthew sortit l’ordinateur de sa mallette, le posa sur le comptoir et raconta sa mésaventure.

            – Quelle idée aussi de laisser une boisson chaude à proximité d’un ordinateur ! s’exclama le vendeur.

            – C’est ma fille. Elle a quatre ans et demi et…

            Sentencieux, le vieux ne le laissa pas finir sa phrase.

            – J’crois que l’chocolat chaud, c’est l’pire substance à renverser sur du matos informatique.

            Matthew soupira. Il n’était pas venu ici pour qu’on lui fasse la leçon.

            – Bon, vous pouvez m’aider ou pas ?

            – Faut voir. Si la carte mère n’est pas bousillée, m’est d’avis qu’il faudra au moins changer le top case. Mais vu ce que ça va vous coûter, j’me d’mande si c’est rentable. L’est pas très récente, vot’ bécane.

            Ses yeux disparaissaient à moitié derrière de petites lunettes rondes cerclées de métal.

            – Elle a une grande valeur sentimentale. Vous pouvez l’ouvrir ?

            – C’est ce que j’vais faire. J’vous prépare un devis pour la semaine prochaine ?

            – La semaine prochaine ? Impossible ! J’ai besoin de cet ordinateur aujourd’hui.

            – Ah, ça va être difficile, chef.

            – Combien ?

            – …?

            – Combien pour vous y mettre tout de suite ?

            – Tu crois que l’argent peut tout acheter, chef ? Tu crois que ton pognon te donne tous les droits ?

            – Arrêtez de vous prendre pour Che Guevara et cessez de m’appeler « chef ».

            Le vendeur réfléchit un instant et finit par proposer :

            – Si t’es prêt à aligner cinq Benjamins1, on peut commencer à discuter. C’ton problème, après tout…

            – Très bien. Je vous donnerai cet argent, mais mettez-vous au boulot. Maintenant.

            Armé d’un tournevis, le vieux démonta l’habitacle en aluminium et entreprit de nettoyer les circuits avec une solution d’alcool isopropylique, éliminant consciencieusement toute trace de lait chocolaté, prenant garde de ne pas abîmer les connexions électroniques.

            – Faut à tout prix éviter qu’en rallumant l’ordinateur, la chaleur ne transforme en caramel l’sucre du chocolat, expliqua-t-il en marmonnant dans sa barbe.

            Une fois cette opération terminée, il brancha une sorte de vieille lampe radiateur munie d’un réflecteur de cuivre.

            – Pour faire sécher les composants, y a rien de mieux.

            – Il faut attendre combien de temps ? s’impatienta Matthew.

            – La patience est la vertu cardinale, chef. Va m’chercher mon fric et reviens d’ici trois quarts d’heure. Apparemment, le disque dur est intact. Pour 200 dollars supplémentaires, j’peux t’en faire une copie pour que tu puisses au moins récupérer tes données.

            Le type profitait honteusement de la situation, mais Matthew ne chercha même pas à marchander tout en se désolant que la vie de sa femme dépende désormais des manipulations de ce margoulin sans scrupules.

            – OK, à tout à l’heure.