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            Les blessures de la vérité

            Les vérités qu’on aime le moins apprendre sont celles qu’on a le plus d’intérêt à savoir.

            Proverbe chinois

            Boston, 2010

            17 heures

            Il faisait nuit. La neige s’entassait dans les rues de Boston en couches épaisses et silencieuses. De gros flocons duveteux tombaient sur le pare-brise du taxi avant d’être chassés par les puissants essuie-glaces. La voiture arriva sur Boylston Street et déposa Emma au pied du Four Seasons. Le portier l’aida à descendre de la berline et l’escorta avec son parapluie jusqu’aux portes de l’hôtel.

            Plongée dans ses pensées, la jeune femme traversa le hall sans s’arrêter. Alors qu’elle se dirigeait vers les ascenseurs, le réceptionniste en chef l’interpella :

            – Madame Lovenstein, votre petit frère est arrivé il y a une heure. J’ai pris l’initiative de l’installer dans une chambre attenante à votre suite.

            – Mon petit frère ? Comment ça, mon petit frère ?

            Elle monta jusqu’au septième étage et débarqua dans sa chambre pour y découvrir… Romuald Leblanc. Allongé sur le canapé, il grignotait les chips du minibar en buvant une canette de soda. Il avait branché ses enceintes sur lesquelles reposait un baladeur qui crachait un morceau de Jimi Hendrix.

            – Tête de blatte ?

            Emma regarda autour d’elle. Le gamin avait apporté avec lui tout son barda : une valise, un sac à dos, une besace… Même son drone était posé sur la table basse du salon.

            – Qu’est-ce que tu fous ici ? demanda-t-elle en baissant le son de la musique.

            – Chuis venu vous aider, répondit l’adolescent la bouche pleine.

            – M’aider à quoi ?

            – Je pense que vous avez des ennuis : vous ne venez plus travailler, vous recevez des e-mails étranges, vous vous introduisez en douce chez les gens… Visiblement, vous menez une enquête.

            – Et en quoi cela te concerne ?

            – Ça me concerne parce que vous finissez toujours par me demander de l’aide.

            Emma le regarda en plissant les yeux. Il n’avait pas forcément tort, mais elle refusait de rentrer dans cette logique.

            – Écoute, mon garçon, c’est très aimable à toi, mais tu vas me faire le plaisir de reprendre tes affaires et de te tirer de là, fissa !

            – Pourquoi ?

            – D’abord parce que tu es mineur. Ensuite parce que tu es sur le territoire américain illégalement et qu’en France, tes parents doivent s’inquiéter pour toi. Enfin, parce que j’ai déjà assez de problèmes comme ça sans me charger d’un poids supplémentaire : toi !

            Il se leva du canapé d’un bond, bien décidé à ne pas abandonner.

            – Mais je peux vous aider à enquêter ! À deux, on va plus vite et on réfléchit mieux. D’ailleurs, la plupart des grands enquêteurs forment un duo : Sherlock Holmes et le docteur Watson, Batman et Robin, Starsky et Hutch, Brett Sinclair et Danny Wilde…

            – Bon, ça va, tu ne vas pas tous me les citer ! s’énerva Emma.

            – Loïs et Clark, Hit-Girl et Big Daddy, Richard Castle et Kate Beckett… continua Romuald dans de grands gestes.

            – ÇA SUFFIT MAINTENANT ! cria-t-elle. Je t’ai dit non. Et non, c’est non !

            Elle sortit son ordinateur de son sac, le posa sur la table et souleva l’écran.

            – Tu m’as aidée, c’est vrai et je t’en remercie. Pour la peine, je vais t’offrir un billet retour pour Paris. Je veux bien aussi te payer une nuit d’hôtel, mais au Hilton de l’aéroport, pas ici.

            Le geek émit un grognement de colère. Joignant le geste à la parole, Emma fit glisser le curseur pour se connecter au site de Delta Airlines.

            – Attendez ! réclama Romuald.

            Emma interrompit son geste.

            – Quoi encore ?

            – Cette photo ! s’exclama-t-il en pointant l’ordinateur.

            C’était une capture d’écran de la scène filmée dans le pub représentant Kate en compagnie de son « amant ».

            – Quoi ? Tu connais cette femme ?

            – Elle non, mais l’homme, bien sûr !

            Emma sentit un frisson dans son ventre comme un shoot brutal d’adrénaline.

            – Je t’écoute.

            – Ce type, c’est Nick Fitch. C’est une véritable légende et l’un des hommes d’affaires les plus mystérieux et les plus riches du monde.

            *

            Boston, 2011

            Allongée sur un pouf moelleux en compagnie de son petit chien, Emily regardait enfin son film préféré : le fameux SOS Fantômes.

            – Ça fait peur, hein, Clovis ? rigola-t-elle en se blottissant contre le shar-pei.

            Assis sur l’un des tabourets entourant l’îlot de la cuisine, Matthew était plongé dans la lecture de la notice du kit qu’il venait d’acheter dans l’un des drugstores de Charles Street. April le regardait d’un œil réprobateur et consterné.

            Rien n’était plus simple que de faire un test de paternité aux États-Unis. Pour la somme de 30 dollars, vous pouviez acheter un kit sans ordonnance dans l’une des vingt mille pharmacies du pays. Même certaines grandes surfaces les commercialisaient.

            La réalisation du test était à la portée de n’importe qui : il suffisait de fournir deux échantillons de cellules exfoliées prélevés sur l’intérieur de la joue grâce à des sortes de gros cotons-tiges. Le premier échantillon était celui du père et le second celui de l’enfant.

            Matthew se lança le premier. Il enfonça le bâtonnet de coton dans sa bouche et, pendant une trentaine de secondes, frotta l’intérieur de sa joue avant de glisser l’échantillon dans l’enveloppe prévue à cet effet, sur laquelle il avait auparavant complété le formulaire imprimé. Puis il sortit de la poche de sa veste le paquet de sucreries acheté à l’épicerie.

            – Chérie, tu veux des oursons à la guimauve ?

            – C’est vrai, tu m’en as acheté ? s’écria la petite fille en écarquillant les yeux.

            Elle se leva de son pouf pour se précipiter vers lui.

            – Merci, papa !

            – Mais d’abord, il y a un tout petit exercice à faire.

            – Ah bon ?

            – C’est trois fois rien, tu vas voir, ouvre la bouche.

            La petite fille s’exécuta et, délicatement, il renouvela l’opération pour lui prélever quelques cellules de peau.

            – Je compte jusqu’à trente et tu as tes nounours, d’accord ? 1, 2, 3…

            April lui lança un regard plein de colère et de mépris.

            – Tu es vraiment misérable, murmura-t-elle.

            Il ne prit même pas la peine de lui répondre.

            – … 28, 29 et 30. Bravo, ma puce, tu as bien mérité tes bonbons.

            – Je peux en donner à Clovis ?

            – Juste un petit bout pour lui faire goûter, toléra-t-il en glissant l’échantillon d’Emily dans la deuxième enveloppe.