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            Elle profita de l’absence de l’adolescent pour fouiller les poches de sa parka. Au milieu des barres chocolatées, elle découvrit plusieurs choses intéressantes. D’abord, un billet de train aller-retour de New York à Scarsdale, une banlieue cossue de Manhattan. Le titre de transport avait été composté la veille. Aller à 10 h 04, retour à 13 h 14 presque dans la foulée. Sur un Post-it, elle trouva le nom et l’adresse de Michele Berkovic, la directrice générale de l’Imperator. Elle vivait bien à Scarsdale avec son mari, un financier de Wall Street, et ses deux enfants. Berkovic était une gestionnaire, hautaine et peu chaleureuse, qui avait été nommée à l’Imperator après le départ de Jonathan Lempereur. Qu’était donc allé faire Romuald un dimanche chez les Berkovic ?

            L’autre chose étonnante était un billet d’avion retour vers Paris CDG. Le voyage portait la date… d’aujourd’hui. Emma ferma les yeux pour réfléchir. Cela expliquait que l’adolescent ait débarqué à Boston aussi rapidement avec toutes ses affaires. Ses bagages étaient déjà faits parce qu’il s’apprêtait à repartir en France, mais il avait dû annuler son voyage lorsqu’elle l’avait appelé pour désactiver le système d’alarme des Shapiro. Elle ne sut pas comment interpréter ce geste et s’empressa de remettre tous les documents dans les poches du manteau.

            On lui apporta son cocktail qu’elle vida d’un trait. Le mélange de vodka et de citron lui brûla délicieusement l’œsophage. Elle était en train d’en commander un autre lorsqu’elle aperçut Romuald qui franchissait la porte du bar.

            Elle lui fit signe, mais il ne l’aperçut même pas. Dans sa bulle, les yeux baissés sur son téléphone portable, il pianotait sur son petit terminal.

            Quelle génération… En permanence derrière un écran, le téléphone ou la tablette tactile greffés comme un prolongement de leur corps… Mais suis-je très différente ?

            Romuald bouscula un serveur, marmonna de vagues excuses et aperçut enfin Emma.

            – Je peux goûter votre cocktail ? demanda-t-il en s’asseyant en face d’elle.

            – Non, tu es un enfant et les enfants ne boivent pas d’alcool. Prends une limonade ou un lait chaud…

            – Un enfant ? Pfff. Je suis certain que tout le monde nous prend pour un couple.

            – C’est ça, dans tes rêves…

            Il redevint sérieux.

            – Bon, j’ai réfléchi. Ce qui nous manque, c’est une source fiable sur la jeunesse de Kate. C’est là que se trouve la clé du mystère : on ne peut comprendre les gens qu’en connaissant leur passé. C’est une règle qui ne souffre pas d’exception, asséna-t-il solennellement.

            – On croirait entendre mon psy, souffla Emma. Mais vas-y, continue, je veux bien te suivre sur ce terrain.

            – Je parie que son idylle avec Nick Fitch ne date pas d’aujourd’hui. Je suis même certain que c’est lui qui a pris cette photo, affirma-t-il en montrant le cliché glamour en noir et blanc qu’il avait transféré sur son smartphone.

            Celui où Kate portait le tatouage de licorne.

            – C’est possible, admit Emma.

            – On devrait essayer de retrouver l’ancienne copine de Kate pour l’interroger.

            – Quelle ancienne copine ?

            – Souvenez-vous : parmi les trois questions pour désactiver l’alarme, il y en avait une concernant le nom de sa meilleure amie lorsqu’elle était étudiante.

            – Exact, dit-elle en retroussant sa manche pour relire les réponses qu’elle avait marquées sur son avant-bras.

            – Sympa, votre carnet, j’avais le même quand j’avais huit ans…

            – Ta gueule, tête de fouine, gronda Emma. La fille s’appelle Joyce Wilkinson. Mais ça va nous prendre des heures pour la retrouver. En plus, cette femme est sûrement mariée aujourd’hui et…

            – Ça va nous prendre trois minutes, la coupa Romuald.

            Il se connecta au site Web de Berkeley, mais l’accès aux données concernant les anciens élèves était protégé.

            – Tu ne peux pas le pirater ?

            – Pas d’un simple claquement de doigts, mais je vais la jouer classique.

            L’adolescent tapa simplement « Joyce Wilkinson + MD2 » sur un moteur de recherche qui délivra presque instantanément l’information demandée.

            – Il y a une Joyce Wilkinson, professeur de neurosciences, titulaire d’un Ph. D. délivré par l’université de Stanford. Elle a fait sa Medical School à Berkeley de 1993 à 1998.

            – C’est elle, c’est certain !

            – C’est une spécialiste de la maladie d’Alzheimer, compléta-t-il en parcourant les informations de la page. Cerise sur le gâteau : elle travaille au Brain and Memory Institute, un organisme dépendant du MIT spécialisé dans la recherche sur les maladies cérébrales.

            Emma se mordit la lèvre d’excitation. C’était trop beau pour être vrai : le MIT avait ses locaux à Cambridge, à quelques dizaines de kilomètres seulement de Boston…

            – Joyce était à la fac avec Kate, c’était sa meilleure amie, peut-être même sa voisine de chambre. Il faut que vous alliez l’interroger.

            – Je veux bien, mais pourquoi répondrait-elle à mes questions ? Je n’ai pas les moyens pour la forcer à me répondre.

            – Il faut lui faire peur. Les gens parlent à la police.

            – Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis sommelière, pas flic.

            – Ça, c’est un détail. Je peux vous faire une carte de police plus vraie que nature.

            Emma secoua la tête.

            – On est le 23 décembre. Joyce est certainement en vacances.

            – Il n’y a qu’un moyen de le savoir, trancha l’adolescent.

            Il s’était connecté sur le site de l’Institut du cerveau et composait sur son téléphone le numéro du standard.

            – À vous de jouer, dit-il en tendant l’appareil à Emma.

            – Brain and Memory Institute, que puis-je faire pour vous ? lui demanda la standardiste.

            Emma s’éclaircit la gorge.

            – Bonjour, pourrais-je avoir le poste du docteur Wilkinson ?

            – De la part de qui ?

            – Euh… sa mère, répondit-elle, prise au dépourvu.

            – Ne quittez pas, je vous la passe.

            Emma raccrocha dans la foulée.

            – Au moins, on sait qu’elle se trouve à son travail, dit-elle en levant la main pour réclamer sa note de bar.

            Puis elle demanda à Romuald :

            – Tu étais sérieux pour cette carte de flic ?

            Il hocha la tête.

            – Il y a des imprimantes couleur de bonne qualité au Business Center. Rejoignez-moi là-bas dans cinq minutes.

            Alors qu’il s’éclipsait, elle consulta sa messagerie. Toujours aucune réponse de Matthew à son courrier de ce matin. C’était étrange. En attendant l’addition, elle repensa à tous les événements qui avaient bouleversé sa vie ces derniers jours.

            Comment ai-je pu me laisser entraîner dans ce tourbillon ?