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            La bataille fut longue, mais à force d’acharnement, il parvint à prendre le contrôle de l’Intranet et de toutes les caméras de surveillance du centre hospitalier. Il poursuivit son piratage en obtenant les autorisations pour accéder aux données médicales des patients ainsi qu’au dossier professionnel et à l’emploi du temps de tous les membres du personnel.

            Mécaniquement, il vérifia celui de Kate. La chirurgienne avait fini sa journée et ne reprenait son service que le lendemain matin à huit heures : la matinée dans le bâtiment principal du Heart Center, l’après-midi et la soirée au Children’s Hospital de Jamaica Plain dans la banlieue sud-ouest de Boston.

            Romuald fit un effort pour se rappeler ce que lui avait raconté Emma : c’était bien en sortant du parking de l’hôpital pour enfants que Kate devait être percutée par le camion de livraison de farine. En suivant le même « mode opératoire », il ne lui fallut qu’un quart d’heure pour pirater le système informatique de l’antenne de l’établissement. Il passa près d’une heure à se balader de caméra en caméra pour « prendre possession » des lieux, puis se souvint du blog de Kate qu’Emma lui avait demandé de consulter.

            Il se connecta donc aux Tribulations d’une Bostonienne.Il s’agissait d’un blog amateur, une sorte de catalogue de bonnes adresses conseillées par la chirurgienne. On y trouvait principalement des recommandations de restaurants, de cafés ou de magasins, chaque article étant illustré d’un ou de plusieurs clichés. Romuald passa une demi-heure à parcourir les billets dans l’ordre de leur publication. Au cours de sa lecture, quelque chose le frappa : l’hétérogénéité du ton des billets. Certains étaient très écrits, d’autres rédigés dans un style beaucoup plus relâché et truffé de fautes d’orthographe. Difficile de croire que c’était la même personne qui avait composé tous ces textes. D’autre part, comment une femme comme Kate – qui ne vivait que pour son travail – trouvait-elle le temps de s’offrir autant d’escapades ?

            En approfondissant ses recherches, l’adolescent découvrit que les textes du site n’étaient en réalité que des « copiés /collés » d’autres blogs. Kate s’était visiblement contentée de dupliquer les articles d’autres auteurs.

            Mais dans quel but ?

            Cette fois, il séchait. Il consacra encore quelques minutes à lire les commentaires du blog. Celui-ci n’était pas très fréquenté, même si un certain « Jonas21 », un visiteur assidu du site, laissait un bref commentaire à chaque article : « intéressant, nous aimerions en savoir davantage », « nous connaissions déjà cet endroit », « restaurant sans intérêt », « nous nous sommes régalés, bravo pour vos conseils ! ».

            Romuald écrasa un bâillement. Tout cela devenait trop obscur pour lui. À tout hasard, il envoya à Jarod, son ami informaticien, le lien du blog accompagné d’une petite note lui demandant de vérifier s’il ne trouvait rien d’étrange dans le site. Il lui dit que c’était urgent et lui promit la somme de 1 000 dollars pour son travail.

            Il était plus de 1 heure du matin lorsqu’il s’endormit devant ses écrans.

 18

            Lieutenant Lovenstein

            A woman is like a teabag, you never know how strong she is until she gets into hot water.

            Eleanor ROOSEVELT

            Boston, 2010

            Avec sa structure en double hélice qui brillait dans la nuit, l’immeuble de verre de l’Institut du cerveau et de la mémoire ressemblait à une gigantesque molécule d’ADN.

            Les portes vitrées du bâtiment s’ouvrirent dans un souffle puissant. Emma s’avança vers l’accueil avec assurance.

            – Lieutenant Lovenstein, police de Boston, annonça-t-elle en dégainant sa carte.

            – Que puis-je pour vous, lieutenant ?

            Emma demanda à s’entretenir avec Joyce Wilkinson.

            – Je vais prévenir le professeur, répondit l’hôtesse en décrochant son téléphone. Je vous laisse patienter.

            Un peu nerveuse, Emma ouvrit la fermeture éclair de son blouson et fit quelques pas dans le hall dont les murs opalescents et laiteux donnaient l’impression de déambuler dans un vaisseau spatial. De chaque côté des parois, des panneaux lumineux mettaient en scène l’histoire récente de l’institut tout entier dédié à l’étude de l’organe le plus mystérieux et fascinant qui soit.

            Le cerveau humain…

            Le projet de l’établissement de neuroscience était clair : regrouper certains des plus grands chercheurs de la planète pour faire avancer la connaissance des maladies du système nerveux (Alzheimer, schizophrénie, maladie de Parkinson…).

            – Lieutenant, si vous voulez bien me suivre.

            Emma emboîta le pas à la réceptionniste.

            Un ascenseur silencieux en forme de capsule vitrée les conduisit jusqu’au dernier étage de la tour. Au bout d’un couloir de verre se trouvait un espace tout en transparence : le lieu de travail de Joyce Wilkinson.

            La scientifique leva les yeux de son ordinateur portable lorsque Emma franchit la porte de son bureau.

            – Entrez donc, lieutenant. Je vous en prie, dit-elle en désignant de la main le siège devant elle.

            Comme les photos le laissaient deviner, Joyce Wilkinson était d’origine indienne. Sa peau mate et ses cheveux de jais coupés court contrastaient avec le regard clair et rieur qui luisait derrière ses fines lunettes à monture translucide.

            Emma lui montra sa carte sans ciller.

            – Je vous remercie de m’accorder quelques minutes de votre temps, professeur.

            Joyce hocha la tête. Sous sa blouse ouverte, elle était vêtue simplement d’un pantalon de toile kaki et d’un pull à grosses mailles qui lui donnait l’allure presque enfantine d’un garçon manqué. Son visage carré et juvénile attirait la sympathie.

            Avant de s’asseoir, Emma jeta un regard circulaire à la pièce. Les murs étaient tapissés d’écrans plats sur lesquels s’étalaient des dizaines de plans de coupe de cerveaux humains.

            – On dirait des toiles d’Andy Warhol, remarqua-t-elle en faisant référence aux couleurs vives des marqueurs d’activité cérébrale qui rendaient les clichés « vivants », presque gais.

            Joyce expliqua :

            – Il s’agit d’une étude médicale réalisée en Amérique du Sud sur plusieurs milliers de personnes d’une famille élargie dont les membres ont une prédisposition héréditaire à développer la maladie d’Alzheimer.

            – Et quelles sont ses conclusions ?

            – Elle montre que les signes précurseurs de la maladie apparaissent plus de vingt ans avant les premiers symptômes.

            Emma approcha très près d’un des clichés. Elle eut une pensée pour son père, en phase terminale de la maladie, hospitalisé dans une institution du New Hampshire. Comme en écho à ses réflexions, Joyce lui confia :

            – Mon père adoptif a développé une forme précoce de la maladie. Ça a bousillé mon enfance, mais ça a aussi déterminé ma vocation.

            La « flic » poursuivit l’échange :

            – Le cerveau… Tout se passe là-dedans, n’est-ce pas ? fit-elle en désignant son crâne. Des signaux électriques, des connexions entre groupes de neurones…

            – Oui, répondit Joyce en souriant. Le cerveau gouverne nos décisions et détermine nos comportements et nos jugements. Il établit la conscience que nous avons de notre entourage et de nous-mêmes et va jusqu’à régler notre façon de tomber amoureux !

            Elle avait une voix chaude, légèrement rauque. Un charme puissant. Le médecin hocha la tête en se balançant dans son fauteuil.

            – C’est un sujet passionnant, mais ce n’est pas pour discuter de ça que vous êtes venue me voir, n’est-ce pas, lieutenant ?