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            – Mais moi, je le fais pour vous aider, se défendit-il.

            – Moi aussi, je veux t’aider. Pourquoi es-tu allé chez Michele Berkovic ?

            – Parce que c’est ma mère.

            Elle leva les yeux au ciel et s’énerva contre lui.

            – Qu’est-ce que tu me sors encore comme connerie ? J’ai parlé à ta mère, cette nuit ! Elle s’appelle Marie-Noëlle Leblanc. Elle travaille à… la Caisse primaire d’assurance maladie de Beaune, affirma-t-elle en lisant les notes qu’elle avait prises sur son avant-bras.

            Romuald tourna son regard vide vers la baie vitrée et plongea dans un étrange mutisme.

            Emma le secoua par l’épaule.

            – Oh, tête de lard ! Tu m’expliques ?

            Il poussa un long soupir et se frotta les yeux. Il aurait préféré être ailleurs, même si une partie de lui-même avait envie de se délester de son secret.

            – Il y a trois ans, commença-t-il, en fouillant dans les affaires de ma mère, j’ai découvert que j’avais été adopté à la naissance.

            Emma marqua un mouvement de surprise.

            – Tes parents ne te l’avaient jamais dit ?

            – Non, mais je l’avais deviné.

            – Comment ?

            – Des petites choses, des réflexions, des remarques, des silences qui m’ont mis la puce à l’oreille…

            Emma se doutait de ce qui avait suivi.

            – Tu as essayé de retrouver tes parents biologiques ?

            – Ça m’a pris deux ans. Je me suis d’abord débrouillé pour dérober le dossier à la maternité d’Auxerre, mais, comme je le craignais, il ne mentionnait pas l’identité de ma mère. Puis j’ai piraté le service de l’Aide sociale à l’enfance du Conseil général de la Côte-d’Or. Là encore, je n’ai rien trouvé. La situation s’est débloquée lorsque j’ai pu m’infiltrer dans le système du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles. J’ai intercepté des courriers qui m’ont appris que ma mère biologique avait accouché sous X en 1993. À cette époque, elle s’appelait Michèle Roussel. À force de recoupements, j’ai retrouvé sa trace. Elle a refait sa vie aux États-Unis. Elle s’est mariée à un banquier et a pris son nom, Berkovic. Elle a eu deux enfants avec lui. Lorsque j’ai vu qu’elle dirigeait les services administratifs de l’Imperator, j’ai décidé d’aller à New York en espérant renouer le contact. J’avais besoin de la voir, de lui parler. C’était plus fort que tout. Obsédant. Il fallait que je sache d’où je venais…

            – Bon, et que s’est-il passé ?

            – Rien, justement. Je suis parvenu à me faire embaucher. Je la croisais tous les matins au bureau, mais elle ne levait jamais la tête vers moi.

            – C’est normal. Comment voulais-tu que…

            – Au bout de quinze jours, j’ai décidé de lui avouer la vérité. J’ai repéré son adresse en accédant aux fiches de paie du restaurant. J’ai attendu le week-end et j’ai acheté un billet de train pour Scarsdale. Je suis arrivé un peu après onze heures. J’ai dû marcher une bonne demi-heure de la gare jusqu’à leur quartier. Il faisait froid, il pleuvait et j’étais trempé. Mes jambes tremblaient, mon cœur battait la chamade. Finalement, j’ai sonné à la porte et c’est elle qui m’a ouvert. Elle a eu un mouvement de recul, presque de répulsion. Je crois qu’elle m’a pris pour un SDF à cause de mes habits mouillés et de ma dégaine.

            – Et ensuite ?

            – Ensuite, je lui ai dit…

            *

            – Bonjour, madame Berkovic.

            – Bon… bonjour, qui êtes-vous ?

            – Je suis Romuald Leblanc. Je travaille au service presse et communication de l’Imperator. C’est vous qui m’avez engagé.

            – Ah oui, je me souviens, le stagiaire français. Qu’est-ce que vous voulez ?

            Elle avait laissé la porte ouverte. Dans l’entrebâillement, j’apercevais un salon confortable, un sapin de Noël. J’entendais de la musique, des exclamations joyeuses d’enfants. Je sentais l’odeur d’un bon plat en train de mijoter.

            Pendant près d’une minute, je n’ai pas cessé de la regarder dans les yeux. Jusqu’au dernier moment, j’étais persuadé qu’elle me reconnaîtrait. Qu’elle décèlerait une ressemblance dans mes traits ou dans ma voix.

            Mais rien. Elle était devant un étranger. Un importun.

            – Bon, ça suffit maintenant, s’énerva Michele Berkovic. Vous n’allez pas rester planté là avec votre air niais. Partez, ou je demande à mon mari d’appeler la police.

            J’ai hoché la tête. J’ai hésité et je lui ai dit :

            – Je suis votre fils.

            D’abord, ses traits se sont figés, puis son visage s’est décomposé.

            – Qu’est-ce que tu racontes ? s’alarma-t-elle.

            Elle a fermé la porte derrière elle, puis a fait quelques pas pour m’inciter à la suivre dans le jardin.

            – Écoute, je ne sais pas qui t’a raconté ces sornettes, mais ce n’est pas vrai.

            J’ai fouillé dans ma poche et je lui ai tendu les documents que j’avais eu tant de mal à rassembler, dont le dossier d’adoption de l’Aide à l’enfance qui mentionnait son nom.

            Elle a parcouru le papier et j’ai vu apparaître de la panique dans ses yeux. Elle ne cessait de se retourner de crainte que son mari ou un de ses enfants ne vienne la rejoindre. J’étais venu chercher de l’amour, elle ne m’offrait que de la peur.

            Elle m’a rendu le document et elle m’a raccompagné jusqu’à la rue. Elle m’a expliqué que cette naissance n’était qu’une « erreur de jeunesse ». Elle n’avait que dix-huit ans et elle ne s’était pas aperçue tout de suite qu’elle était enceinte. Apparemment, elle avait pris ses précautions, mais…

            *

            – Je présume que tu lui as demandé qui était ton père.

            – Elle ne le savait même pas elle-même. « Un type d’un soir », a-t-elle prétendu, un militaire rencontré dans un bar à Besançon. À l’époque, elle était seule, mais elle avait de l’ambition : elle voulait à tout prix quitter l’est de la France et partir étudier aux États-Unis. Et il était exclu de s’encombrer d’un enfant…

            – Elle t’a posé des questions sur toi ?

            – Aucune. J’ai bien compris qu’elle voulait en savoir le moins possible. Elle m’a expliqué que ni son mari ni ses enfants n’étaient au courant de cette période de sa vie et qu’il était très important qu’ils ne sachent jamais rien, car c’était le type de révélation qui pouvait briser une famille. Puis elle s’est éclipsée un court moment. Lorsqu’elle est revenue, elle tenait dans ses mains un carnet de chèques. Elle m’a demandé de ne pas revenir travailler au restaurant le lendemain et elle m’a fait un chèque de 5 000 dollars. Elle me l’a tendu comme si on était quittes et m’a ordonné de ne plus jamais chercher à la revoir. Elle est retournée dans la maison et a fermé la porte. Moi, je suis resté là, sonné, tout seul sous la pluie. Puis j’ai marché jusqu’à la gare, j’ai jeté le chèque dans une corbeille publique et j’ai décidé de rentrer en France. Vous m’avez appelé au moment où je bouclais mes bagages…

            – Je suis désolée que ça se soit passé comme ça, Romuald. Mais tu dois essayer d’y trouver des points positifs. Tes vrais parents, ce sont ceux qui t’ont élevé, tu le sais très bien. Et au moins, à présent, tu sais qui sont tes parents biologiques. Tu peux aller de l’avant et…

            La sonnerie du téléphone portable de l’adolescent interrompit Emma dans son discours.

            Romuald regarda l’écran et décida d’y répondre. C’était Jarod.

            Il décrocha, échangea quelques mots avec l’informaticien et écarquilla les yeux.