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            La salle de restaurant du St. Francis était un véritable écrin, meublé dans un style résolument moderne. Tous les éléments du décor déclinaient une palette de tonalités crème et argenté, depuis les paravents en satin, aux quatre coins de la pièce, jusqu’aux broderies métalliques qui pendaient aux tringles à rideaux. Même le lustre monumental, paré de cristaux taillés, avait des reflets ivoire.

            – Bienvenue, madame, avez-vous une réservation ? s’enquit le maître d’hôtel.

            – Je ne suis pas venue pour déjeuner. J’ai une communication urgente à adresser à votre sommelier, Mickaël Bouchard.

            – Veuillez patienter, je vous prie.

            Emma attendit moins d’une minute avant que le jeune sommelier vienne la rejoindre.

            – Lovenstein ? Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda son collègue québécois.

            Ils n’étaient pas amis, mais ils se rencontraient souvent au cours de séminaires, de dégustations ou de concours.

            – Salut, Mickaël. J’ai besoin de ton aide.

            – Je suis en plein service, là. Tu sais ce que c’est. On va prendre un verre après ? proposa-t-il.

            Elle se rapprocha de lui et insista :

            – Je suis désolée de te bousculer, mais c’est vraiment urgent.

            – OK, fais vite.

            – Peux-tu te renseigner pour connaître l’identité du client de la chambre 321 ?

            – Tu plaisantes, je suppose ? Qu’est-ce que tu fais de la confidentialité envers nos clients ? C’est comme ça que vous traitez les vôtres à l’Imperator ?

            – Je t’en prie, Mickaël, c’est très important. Appelle la réception ou le concierge.

            – Mais je risque mon poste !

            – N’exagère pas, je te demande juste son nom !

            – Et qu’est-ce que je gagne, moi, dans l’affaire ?

            – Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu veux ? Une petite pipe, là, tout de suite, derrière la porte de la cuisine ?

            Elle avait haussé volontairement la voix et quelques clients s’étaient retournés.

            Le Canadien devint blême et entraîna Emma dans le hall.

            – Tu fais chier, Lovenstein ! T’es une vraie malade !

            – Va à la réception et trouve-moi le nom du type qui occupe la chambre 321. S’il te plaît !

            Il s’exécuta de mauvaise grâce. La conversation fut brève. Moins de deux minutes plus tard, il revint vers Emma et lâcha :

            – Le type est descendu sous le nom d’Oleg Tarassov. Ça te va ?

            Elle sortit un stylo de la poche de son sac à dos.

            – Merci pour ta coopération, cher collègue, dit-elle en inscrivant le nom sur son avant-bras.

            – Va te faire foutre, Lovenstein, répondit Mickaël en tournant les talons.

            *

            Les yeux de Romuald brillaient d’une flamme intense derrière ses écrans. Il venait d’encoder l’enregistrement audio sur son ordinateur et s’apprêtait à le nettoyer en éliminant les parasites.

            Il lança un logiciel approprié qui ouvrit une fenêtre reproduisant une configuration de table de montage. Il écouta l’enregistrement pour isoler un passage où le bruit de fond était continu et persistant. Il se servit de cet échantillon pour paramétrer le « profil » du bruit en identifiant précisément sa fréquence et ses décibels. Dans un deuxième temps, il sélectionna l’intégralité pour y appliquer la suppression du bruit.

            L’adolescent réécouta le début du fichier sonore, mais ne fut pas convaincu par le résultat.

            C’est plus facile dans les séries télé…

            Sans se décourager, il tripatouilla les fréquences vocales pendant un bon quart d’heure, jouant avec leur amplitude pour parvenir à un résultat plus satisfaisant.

            Puis il lança de nouveau l’enregistrement.

            Et ce qu’il entendit lui fit froid dans le dos…

            *

            Emma s’installa au bar du St. Francis sur une banquette près de l’entrée qui lui permettait d’avoir une vue sur le hall au cas où Tarassov déciderait de ressortir. Elle commanda une caipiroska, puis sortit son ordinateur et se connecta au Wi-Fi de l’hôtel.

            Son esprit était en alerte. À présent, elle était totalement plongée dans son enquête. Elle n’avait jamais ressenti cette sensation. L’adrénaline et l’excitation la poussaient dans ses retranchements, lui donnaient toutes les audaces.

            Elle tapa « oleg tarassov » dans le moteur de recherche. Il y avait beaucoup d’occurrences : profils Facebook, LinkedIn, VK2… Elle bascula sur « Google images » et, divine surprise, tomba presque instantanément sur l’une des photos de l’Oleg Tarassov qu’elle cherchait. Sur le cliché, il était plus jeune d’une bonne dizaine d’années, mais avait déjà ce même visage impassible, comme coulé dans le marbre. L’image renvoyait à une fiche de la bible du cinéma en ligne : le site de l’ Internet Movie Database. À en croire IMDb, Oleg Tarassov était crédité comme « cascadeur » et « coordinateur de cascades » sur un nombre impressionnant de films d’action dans les années 1990. La plupart n’étaient pas des chefs-d’œuvre, loin de là : téléfilms, productions de série B, thrillers sans budget qui, même à l’époque, avaient dû sortir directement en VHS ou DVD. Il travaillait presque toujours avec son frère, Vassili, et la spécialité des frangins semblait être les cascades en moto. Leur carrière « artistique » avait pris fin une dizaine d’années plus tôt, mais, en quelques clics, Emma parvint à retrouver leur trace à Los Angeles où ils s’étaient apparemment recyclés dans la sécurité privée. D’après le site Web de leur agence, les Tarassov travaillaient désormais dans la surveillance et la protection de personnalités.

            Elle allait sortir son téléphone pour prévenir Romuald de sa découverte, mais le geek la devança. Elle n’attendit même pas la fin de la première sonnerie pour décrocher.

            – Tu as trouvé quelque chose, tête de blatte ?

            – Oui, répondit-il d’une voix blanche.

            – Tu as vu un fantôme ou quoi ?

            – J’ai nettoyé la bande de l’enregistrement, commença-t-il.

            – Bon, et alors ?

            – Je vous laisse écouter. C’est… effrayant.

            Emma fronça les sourcils. Elle plaqua le téléphone contre son oreille droite et se boucha la gauche pour ne rien perdre de la conversation.

            Kate : L’argent est dans le sac. J’ai respecté mes engagements à la lettre : un autre versement de 500 000 dollars. Cinq cents liasses compactes de billets de 100 dollars.

            Oleg : Et le reste ?

            Kate : Vous l’aurez une fois que je serai certaine que le travail a été réalisé en suivantexactement mes instructions.

            Oleg : Donc, c’est pour ce soir ?

            Kate : Oui, mais vous devez absolument attendre mon appel pour entrer en action. Et ce ne sera pas avant 21 heures. Si je ne vous contacte pas, vous laissez tomber, c’est compris ?

            Oleg : Et le lieu ?