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            – C’est terrible, le froid, n’est-ce pas ? dit-il en se penchant vers l’adolescent. Avant de l’avoir vécu, on ne s’imagine pas quel niveau de torture ça peut représenter.

            D’un coup de lame, il rompit le serre-flex qui meurtrissait les poignets de Romuald. Presque en rampant, l’adolescent sortit du frigo.

            Tarassov le suivit du regard. Il connaissait les ravages d’un changement brusque de température. Romuald avait le souffle coupé. Il toussait bruyamment, se frictionnait les épaules, les bras, le visage, mais il avait presque toujours aussi froid. Seules les grandes goulées d’air plus chaud qu’il inspirait lui procuraient un peu de réconfort.

            Tarassov ne lui laissa que quelques instants de répit.

            – Je ne vais pas te poser la question dix fois, prévint-il. L’alternative est simple : soit tu me réponds immédiatement, soit tu retournes dans le frigo pour ne plus jamais en sortir.

            Les yeux fermés, Romuald continuait à haleter. Tarassov poursuivit ses menaces :

            – Tu crois que ce que tu viens de vivre, c’est l’enfer, mais tu te trompes. Ce n’était qu’un amuse-gueule. Réfléchis bien : tu es au milieu de nulle part. Tu pourras crier aussi fort que tu veux, personne ne t’entendra. Si tu ne parles pas, tu vas crever tout seul, lentement et d’une façon atroce.

            Romuald ouvrit les yeux, jeta un rapide coup d’œil circulaire. Aucune issue pour espérer fuir. Aucun endroit pour se cacher.

            Le Russe se posta devant lui.

            – Je te le demande une dernière fois : pourquoi me suivais-tu ?

            L’adolescent fut pris d’une nouvelle quinte de toux. Tarassov s’impatienta et l’attrapa par les cheveux.

            – Tu vas me répondre ?

            Rassemblant toute son énergie, Romuald baissa brusquement la tête et, avec son crâne, donna un coup de boutoir dans le thorax de son agresseur.

            Surpris, le Russe encaissa l’attaque. L’adolescent en profita pour partir en courant, mais le cascadeur, d’un coup de pied, le stoppa dans son élan.

            – Et tu comptais aller où, comme ça ?

            Romuald s’étala lourdement sur la table métallique où Tarassov avait posé ses affaires.

            En une seconde, le tueur se jeta sur lui et lui administra une véritable raclée. Direct dans l’estomac, crochet, coude dans les côtes : les coups pleuvaient sans répit. La dérouillée se poursuivit au pied une fois Romuald à terre.

            Lorsque l’orage fut calmé, l’adolescent, sonné, n’eut pas la force de se relever. Tarassov l’empoigna par sa parka et le traîna de nouveau jusqu’à la salle frigorifique.

            – Иди к черту ! hurla-t-il en refermant la porte métallique.

            Il s’assura qu’elle était bien verrouillée et retourna dans l’entrepôt principal. Il remit sur ses pieds la table que l’adolescent avait renversée, ramassa son ordinateur, son paquet de cigarettes et ses clés. Il vérifia que le notebook n’était pas cassé et le rangea dans sa sacoche qu’il déposa sur la place passager du pick-up. Il sortit une clope et regarda sa montre.

            Plus tard, pensa-t-il en remettant la cigarette dans le paquet.

            Il se dirigea vers le fond du hangar qui débouchait sur une enfilade de box protégés par des portails métalliques. Il ouvrit le premier où était garée une moto à l’allure de chopper des années 1970 : une Harley Davidson « Fat Boy » au ventre jaune feu, chargée de chromes.

            Il sortit la moto du « garage » et la conduisit sous la lumière : c’était une machine au réservoir énorme, aux pneus larges, à la fourche agressive et aux jantes perforées.

            Il vérifia que son Glock était dans son holster, à droite de sa poitrine, puis glissa une autre arme, plus petite, dans un étui à sa cheville. Il enfila un casque et un gros blouson avant d’enfourcher son cheval d’acier.

            Il mit les gaz et activa le récepteur GPS du tableau de bord pour y entrer les coordonnées exactes de la maison de Matthew Shapiro. Presque instantanément, le système de géolocalisation calcula les différents itinéraires pour se rendre à Beacon Hill. Tarassov choisit le plus rapide. Il enfila des gants, regarda une nouvelle fois sa montre et avança jusqu’à l’entrée de l’entrepôt. Là, il actionna l’interrupteur pour éteindre l’éclairage et quitta les anciens abattoirs.

            *

            La moto s’était extraite des routes sinueuses qui entouraient Windham et filait sur l’Interstate 93 en direction de Boston. Le visage balayé par le vent, Oleg Tarassov conduisait visière ouverte, se laissant bercer par le son du bicylindre. La circulation était étonnamment fluide. À ce rythme-là, il serait en ville en moins de quarante minutes.

            Tout en restant concentré sur son trajet, il fit un point sur le contrat inhabituel qu’il avait à exécuter. Il aurait été plus simple de loger une balle dans la tête de Matthew Shapiro ou de lui trancher la gorge d’un coup de schlass. Mais Kate Shapiro avait été très claire : elle ne voulait pas d’une arme. Car une arme à feu ou un couteau signifiait presque immanquablement une enquête de police. Et elle tenait absolument à ce que les flics restent éloignés de cette « affaire ».

            Cet après-midi encore, elle lui avait répété que le solde du versement de la somme était conditionné au fait que le plan se déroule exactement comme elle l’avait prévu : son mari devait mourir dans un accident brutal. Un accident qui lui occasionnerait un traumatisme crânien suivi d’une hémorragie cérébrale.

            Oleg avala sa salive. Kate l’avait choisi parce que, lorsqu’il était plus jeune, en Russie, il avait commencé des études de médecine et avait travaillé comme infirmier. Il n’avait donc pas eu de mal pour comprendre précisément les instructions de la chirurgienne : détruire de façon totale et irréversible le système nerveux central situé dans la boîte crânienne de Matthew Shapiro, mais sans toucher au reste du corps. Autrement dit, simuler un accident pour lui détruire le cerveau, mais préserver ses organes. En cas de mort cérébrale, le cœur pouvait continuer à battre pendant plus de vingt-quatre heures, les machines de réanimation permettant de maintenir l’oxygénation du sang.

            Tarassov avait pour principe de ne jamais chercher à comprendre les motivations de ses clients. Il ne les jugeait pas non plus. Chacun a toujours ses raisons. Il n’empêche : le plan machiavélique imaginé par cette femme lui faisait froid dans le dos. Elle avait poussé le détail jusqu’à lui suggérer elle-même le lieu de l’accident. Et c’était une sacrée bonne idée…

            « La corniche » était une rampe étroite en béton, située non pas à flanc de falaise, mais sur une élévation de terrain qui permettait de contourner un nœud de circulation. Si vous connaissiez son existence, elle vous faisait gagner un temps précieux en reliant Connoly Avenue à Rope Street, une petite artère derrière la gare de Jamaica Plain.

            Bien que la configuration de la route n’autorise pas de pointes de vitesse, ces deux dernières années, trois motards y avaient trouvé la mort. La faute aux glissières de sécurité métalliques qui bordaient la route et dont les associations de motocyclistes n’avaient pas manqué de dénoncer la dangerosité. En cause, la distance séparant le rail du sol : un espace vide de cinquante centimètres qui pouvait aisément se transformer en guillotine si, après une glissade, le motard passait malencontreusement sous le rail. À quelques mois d’intervalle, deux hommes avaient ainsi vu avec horreur leur casque se coincer dans l’interstice de la glissière, tandis qu’un autre avait percuté de plein fouet l’un des poteaux de ces rails de sécurité. Ces trois décès au même endroit avaient interpellé l’équipe municipale. Un débat s’était alors engagé pour savoir comment améliorer la sécurité de ce tronçon. En attendant, la municipalité avait dégagé sa responsabilité en interdisant cette route aux motos.

            Mais qui respectait vraiment cette interdiction ?

            D’après Kate, pas son mari…

            Oleg baissa la visière de son casque. Il jeta un coup d’œil dans son rétroviseur et déboîta pour dépasser une file de camions. La multiplication des panneaux indicateurs annonçait la proximité de la ville. Il redoubla d’attention pour ne pas louper la sortie 26 en direction de Storrow Drive. Comme lui indiquait son GPS, il suivit l’expressway qui longeait la Charles River jusqu’à l’embranchement de Beacon Street. Il prit la direction de Copley Square, attrapa Mount Vernon Street et arriva à Louisburg Square. Il gara sa moto sous les arbres de la place, enleva son casque et mit une cigarette entre ses lèvres. Il retourna ses poches, mais fut incapable de retrouver sa boîte d’allumettes. Frustré de ne pas pouvoir s’en griller une, il regarda d’un œil mauvais la fenêtre que lui avait indiquée Kate Shapiro.