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            À travers la vitre, par intermittence, il distinguait la silhouette d’un homme et d’une petite fille.

            C’était fâcheux pour lui, mais dans moins de vingt minutes, cet homme serait mort.

            *

            – Ils sont beaux, mes dessins ? demanda Emily en tendant à son père trois plaquettes cartonnées.

            Matt les regarda attentivement : au milieu d’une symphonie de couleurs chaudes jaillies de la pointe de feutres, on distinguait nettement les rennes qui tiraient le traîneau du père Noël, une princesse et un bonhomme de neige. Plutôt pas mal pour une petite fille de trois ans et demi.

            – C’est magnifique, chérie ! s’enthousiasma-t-il en lui caressant les cheveux. Maman sera contente de voir que tu as si bien illustré nos menus. Tu vas les placer sur la table ?

            Emily acquiesça et se précipita dans la partie salle à manger pour grimper sur une chaise et disposer dans chacune des trois assiettes le menu de cette soirée spéciale, constitué des plats préférés de sa mère :

            Carpaccio de Saint-Jacques rafraîchi au caviar

            Soupe d’artichauts accompagnée de sa petite brioche à la truffe

            Huîtres Rockefeller

            Cocotte de homard du Maine et ses pommes de terre rattes de Noirmoutier

            Tarte aux noix de pécan et au chocolat

            – Fais attention de ne pas tomber ! lança Matthew en la surveillant de loin.

            Il s’essuya les mains sur son tablier tout en récapitulant dans sa tête les ingrédients de la farce pour garnir ses huîtres Rockefeller : ail, beurre, persil, estragon, échalote, bacon, chapelure, huile d’olive, poivre de Cayenne…

            Matt regarda la pendule. À présent, Kate n’allait plus tarder. Il vérifia qu’il avait bien mis au frais la bouteille de champagne qu’il gardait pour l’occasion, se demanda s’il devait commencer à préchauffer le four, contrôla la cuisson de ses pommes de terre…

            – Papa, j’ai faim ! se plaignit Emily.

            Il leva les yeux. La petite fille était retournée jouer au pied du sapin.

            – Dans quelques minutes, chérie, assura-t-il.

            Les guirlandes qui scintillaient déclinaient des variations de rose, d’argent et de bleu, créant un halo féerique autour de sa fille qui la faisait ressembler à une princesse.

            – Je vais te prendre en photo à côté du sapin, et je vais l’envoyer à maman pour la faire venir plus vite, décida-t-il.

            Il venait de se saisir de son téléphone lorsque celui-ci vibra dans ses mains.

            C’était sa femme.

 25

            Dans la vallée des ombres

            L’adversité, tel un vent furieux, nous empêche d’aller où nous voulons, nous dépouille et nous laisse face à nous-mêmes tels que nous sommes, et non tels que nous pensions être.

            Arthur GOLDEN

            24 décembre 2010

            Jamaica Plain (banlieue de Boston)

            20 h 59

            La chambre d’hôpital baignait dans une lumière blanche. En attente d’une greffe, Nick Fitch était plongé dans le coma. Désormais, la vie de l’homme d’affaires ne tenait plus qu’au respirateur artificiel branché à côté du lit. Kate plissa les paupières, vérifia l’enchevêtrement de perfusions, les constantes et la bonne marche de l’électrocardiographe. Puis elle se pencha et déposa un rapide baiser sur la bouche de son amant.

            À tout à l’heure. Ne t’inquiète pas. Je m’occupe de tout.

            Elle ferma les yeux pour puiser dans ses réserves d’énergie, puis respira profondément, retira sa blouse blanche et sortit de la chambre.

            Surtout ne pas flancher. Suivre le plan.

            Elle prit l’ascenseur jusqu’au rez-de-chaussée et salua les rares collègues qu’elle croisa dans le couloir qui menait aux urgences.

            Ne pas perdre de temps.

            Comme elle s’y attendait, l’hôpital était calme. À part les plaies par couteau à huîtres, le soir du réveillon de Noël était toujours beaucoup moins agité que celui du 31 décembre. Même la salle de repos, malgré ses décorations, paraissait frappée d’une sorte de langueur.

            Dans son casier, Kate récupéra son manteau, son sac et son téléphone portable. Son premier appel fut pour son mari. Elle lui parla tout en continuant à marcher, remontant le long corridor translucide qui conduisait au parking, jouant à la perfection son rôle d’épouse modèle, anticipant parfaitement chaque réaction de Matt.

            – Hello, chéri. Je sors à l’instant de l’hôpital, mais ma voiture est encore en rade sur le parking ! mentit-elle. Comme toujours, c’est toi qui avais raison : il faut vraiment que je me débarrasse de cette guimbarde.

            – Je te l’ai dit mille fois… remarqua Matthew.

            – Mais j’y suis tellement attachée, à mon vieux coupé Mazda ! Tu sais que c’est la première voiture que j’ai pu me payer lorsque j’étais étudiante.

            – C’était dans les années 1990, mon cœur, et à l’époque, c’était déjà une « seconde main »…

            – Je vais essayer d’attraper un métro.

            – Tu plaisantes ? Dans le coin, à cette heure-ci, c’est trop dangereux. Je prends ma moto et je viens te chercher.

            – Non, il fait vraiment très froid. Il tombe un mélange de pluie et de neige, c’est pas prudent, Matt !

            Elle savait très bien qu’il allait insister. Elle le laissa jouer son rôle d’homme protecteur avant de lui « céder ».

            – D’accord, mais fais attention, alors ! Je t’attends, dit-elle en franchissant les portes automatiques.

            Elle raccrocha et sortit sur le parking.

            Le froid lui mordit le visage, mais elle ne le sentit pas.

            *

            21 h 03

            Sameer Naraheyem tourna la clé de contact de son camion-citerne et quitta le site de la minoterie AllWheat, à l’ouest de la zone industrielle de Jamaica Plain.

            Il effectuait sa dernière livraison avant de rentrer rejoindre sa femme, Sajani. La journée avait été longue et pénible. Sameer ne devait normalement pas travailler en cette veille de Noël, mais son patron lui avait téléphoné en catastrophe en début de matinée pour lui demander de remplacer au pied levé un chauffeur qui manquait à l’appel. Bien que lui et son épouse aient prévu de passer la journée en famille, Sameer n’avait pas osé refuser la « proposition » de son chef. Avec la crise économique et la grossesse de Sajani, ce n’était pas le moment de risquer de perdre son emploi.

            Il n’empêche que c’est galère…

            Il regarda l’horloge de son tableau de bord.

            Faut pas que je traîne !

            Il devait livrer sa cargaison de farine dans une usine de Quincy, au sud de Boston, avant 22 heures.

            Sameer accéléra légèrement, flirtant avec la limite autorisée.

            Il n’imaginait pas que, dans quelques minutes, il allait tuer quelqu’un avec son camion…